Sexisme dans l’art: moins de censure et plus de pédagogie, svp!

Je ne sais pas si la direction de la Haute Ecole Alice Salomon de Berlin a bien fait d’effacer de sa façade, comme le lui demandaient certains élèves, le poème Avenidas du Suisse Eugen Gomringer (Le Temps du 29 janvier). Ce texte exhale bel et bien un doucereux sexisme, puisque son auteur semble percevoir les femmes comme des éléments de décoration urbaine, et ce n’était certes pas le meilleur choix pour un établissement portant le nom d’une figure du féminisme allemand. Mais j’aurais personnellement préféré que les responsables prennent une autre option : instaurer un séminaire obligatoire, avec lecture et décodage approfondi du poème, sur la colonisation de l’art par l’imaginaire masculin.

Je viens de visiter la nouvelle exposition permanente de la Galerie d’Art Moderne de Rome, où une présentation thématique a remplacé la présentation chronologique. L’un des thèmes choisis, occupant plusieurs salles, est celui du nu féminin, avec une série de toiles illustrant le sujet complaisamment associées à d’autres œuvres (paysage marins avec vagues, par exemple) caractérisées par la prédominance des lignes courbes. J’ose espérer que personne n’aura jamais la crétinerie de vouloir bannir les femmes à poil des musées ; par contre, il serait judicieux de proposer aux visiteuses et visiteurs un complément pédagogique, sous la forme d’une vidéo passée en boucle, ou de textes muraux, les incitant à se poser des questions qu’ils et elles ne se posent jamais dans ce genre d’endroits.

Pourquoi le nu féminin est-il un thème en soi en peinture, et pas le nu masculin ? De quel sexe sont la totalité des peintres qui s’y sont consacrés ? Que signifie la représentation obsessionnelle des femmes comme des corps alanguis et passifs offerts au regard possessif et démiurgique de l’artiste homme?

Notre patrimoine artistique est ce qu’il est, il nous constitue, et le censurer, même dans ses manifestations mineures, n’est en principe pas une bonne idée. Purifier artificiellement notre culture, c’est le pire cadeau à faire aux générations actuelles et futures. Mais si on encourageait les gens à réfléchir sérieusement sur l’héritage mental qui nous est transmis, en matière de rapports entre les sexes, par des œuvres comme, allez, au hasard, L’Enlèvement des Sabines de Nicolas Poussin, ça les aiderait peut-être à avoir une approche moins naïve de phénomènes qui focalisent actuellement l’attention comme le harcèlement sexuel. Sauf que cela demanderait beaucoup plus de travail, de compétences, d’inventivité, d’engagement et d’argent que d’effacer un poème d’un mur d’école.

 

C’est le moment de lire Anna Felder

L’écrivaine tessinoise (et argovienne d’adoption) Anna Felder vient de recevoir le Grand Prix Suisse de Littérature 2018. C’est une très bonne nouvelle. Je laisse à d’autres le soin de faire un bilan de son œuvre, où l’inventivité de la langue fait écho à une perception du monde toujours originale, jusque dans les plus fines nuances du quotidien. Mais j’aimerais vraiment encourager le public romand à découvrir une auteure qui a l’art, rare, de faire vibrer, l’air de de ne pas y toucher, la corde des émotions universelles, tout en faisant constamment, obstinément, un pas de côté par rapport au sens commun.

J’ai eu la chance, n’étant pas moi-même traductrice, de collaborer à la traduction française du premier roman d’Anna Felder, quarante ans (!) après sa parution en italien et en allemand. Tra dove piove e non piove (en français, Le Ciel est beau ici aussi, éd. Alphil) est l’histoire d’une jeune institutrice italienne qui débarque dans le canton d’Argovie à la toute fin des années 1960, c’est-à-dire à l’époque de l’initiative Schwarzenbach contre la surpopulation étrangère, pour enseigner leur langue aux enfants des immigrés italiens. Le livre a eu un grand succès à l’époque à cause de son sujet, bien sûr, mais aussi à cause de son style, à la fois touchant et déroutant : première étape de la carrière d’une écrivaine qui a toujours continué, par la suite, à faire de l’écriture elle-même, dans sa dimension esthétique au sens propre (sensible) la matière même des histoires qu’elle raconte.

D’autres traductions françaises sont en cours, en particulier celle d’un roman intitulé en italien La Disdetta. En attendant, commencez par Le Ciel est beau ici aussi, le seul livre signé par une femme qui figurait dans une brochure parue en 2015 sur les dix livres les plus importants de la littérature tessinoise. Anna Felder a aussi servi de brise-glace pour l’actuelle génération d’écrivaines suisses de langue italienne, riche de nombreux talents. Personne ne mérite mieux qu’elle le titre de grande dame des lettres tessinoises – dans lequel le mot dame est aussi important que le mot grande.

De Billag à…? Attention au symbolique!

J’ai reçu un rappel de Billag, j’ai oublié de payer ma dernière facture, qui arrivait à échéance le 15 décembre. La honte pour l’opposante acharnée que je suis à l’initiative «No Billag» ! Dès que ce papier a émergé de la pile que j’avais coupablement laissé s’accumuler pendant les Fêtes, je me suis empressée de régler mon dû.

Cela étant dit, ce petit épisode m’a rappelé l’agacement que j’avais éprouvé quand le nom de cette société était apparu sur mes factures. Je suis d’une génération qui croyait (qui croit encore) aux bienfaits d’une SSR forte, et j’avais trouvé navrant de devoir payer ma redevance par l’intermédiaire d’une société dont le nom et la raison sociale n’évoquent en rien le service public audiovisuel. J’avais beau comprendre, intellectuellement, les raisons pour lesquelles il avait fallu confier le recouvrement de la redevance à un organisme dont le nom était parfaitement inconnu à la quasi-totalité des citoyennes et des citoyens, quelque chose de mon lien identitaire, et même affectif, avec l’«Idée Suisse» s’était rompu.

Les promoteurs et promotrices de «No Billag» n’en ont rien à battre du service public audiovisuel, et ce n’est évidemment pas ce petit déchirement symbolique qui les a motivés à lancer leur initiative. Mais pour celles et ceux qui, comme moi, restent profondément attachés à «leur» SSR, ne faudrait-il pas réfléchir à un moyen (si l’initiative, comme je l’espère ardemment, ne passe pas) de restaurer la perception immédiate, sur les factures, du rapport entre l’argent versé et la cohésion nationale ?

Billag va de toute façon sortir de scène, puisque dès 2019 le mandat qu’elle détenait, s’il a toujours lieu d’être, sera attribué à une autre société, Serafe SA. Prions pour qu’au moins Serafe SA n’aille pas faire figurer sur ses factures le nom de la société mère à laquelle elle appartient : Secon.