Vous avez dit «convergence des luttes»?

Je suis féministe, préoccupée par le désastre climatique, révoltée par les injustices économiques et sociales, par le racisme. Mais l’idée de la «convergence des luttes» revendiquée, notamment, par la Grève pour l’Avenir vendredi dernier me laisse perplexe.

Il est certain que l’exploitation destructrice des ressources de la planète et celle, tout aussi destructrice, des êtres humains, découlent des mêmes mécanismes, en particulier de la recherche effrénée et sans vergogne du profit. Et elles vont souvent de pair. Il est certain que le système capitaliste et le système patriarcal ont toujours marché main dans la main. Dans notre sensibilité personnelle, au niveau émotionnel, ces causes peuvent «converger». Mais philosophiquement et politiquement, le slogan de la Grève pour l’Avenir est pour le moins approximatif.

Il y a quelques années, j’ai arrêté net de faire des dons à Greenpeace quand cette organisation dont j’appréciais jusque-là le mordant a lancé sa campagne en faveur des mouchoirs en tissu cousus à la maison pour remplacer les mouchoirs en papier qui détruisent les forêts boréales. S’imaginer que Kevin Tartempion, qui déjà renâcle à vider le lave-vaisselle et à emmener la petite dernière chez le coiffeur, va délaisser ses écrans le week-end pour coudre des mouchoirs – trop c’est trop, je préfère mettre mon argent ailleurs.

C’est une anecdote, mais elle est révélatrice des contradictions et des conflits de priorité qui demandent à être pensés avant de se lancer tête baissée dans cette «convergence» fantasmée. Pour donner un autre exemple, l’idée que l’on puisse associer l’antispécisme à l’antiracisme me fait personnellement grimper aux murs. A chacun.e ses opinions, toutes sont respectables et doivent être mises en débat – pas cachées sous une «convergence» de pacotille qui noie la spécificité et parfois l’incompatibilité, en tout cas stratégique, des causes défendues.

Marre de l’«effet femme»

Je ne suis pas Neuchâteloise, ni politicienne d’aucun parti, c’est dire que je n’ai observé que d’assez loin les élections de ce dimanche au Conseil d’Etat du Canton de Neuchâtel. De suffisamment près, tout de même, pour souhaiter que les électrices et électeurs qui ont voté pour Crystel Graf l’aient choisie parce qu’elle représente vraiment leurs convictions, et pas parce qu’elle possède deux chromosomes X.

Il fut un temps où la présence des femmes sur la scène politique était si récente et si fragile que toute nouvelle élue, de n’importe quel bord, pouvait passer pour incarner une avancée du féminisme. Mais ce temps est révolu et désormais il faudrait se mettre dans la tête que l’augmentation du nombre d’élues n’est pas un objectif féministe en soi. C’est prendre les électrices et les électeurs pour des imbéciles que de tenter de le leur faire croire, afin d’instrumentaliser au service d’intérêts partisans ce fameux «effet femme» qui pourrait avoir joué un rôle à Neuchâtel (encore une fois, j’espère le moins possible).

Les Neuchâtelois.e.s ont élu une femme qui, entre les deux tours, a déclaré publiquement ne pas être féministe. La droite a gagné l’élection et il est normal qu’elle s’en réjouisse. En revanche, les féministes (femmes et hommes) n’ont strictement rien à fêter. Le féminisme est un programme politique, et être biologiquement femme n’en est pas un.

A l’époque du combat suffragiste, des personnalités de tous bords se sont unies pour supprimer une discrimination basique intolérable frappant la totalité d’un groupe social. Aujourd’hui, une telle union sacrée n’est plus possible sur quasiment rien, parce que d’un bout à l’autre du spectre politique et selon la place que l’on occupe dans la société les opinions divergent : sur la nature et même sur l’existence des discriminations, sur les moyens et même sur la nécessité de les combattre. Tant mieux pour la reconnaissance de la diversité des femmes et tant pis pour celles et ceux qui en sont encore à vouloir faire du chiffre au détriment des idées.