Isabelle Moret: une campagne ratée

Je ne suis de loin pas toujours d’accord avec les éditos du Temps, mais là je trouve que son rédacteur en chef a trouvé l’expression juste, au lendemain de l’élection d’Ignazio Cassis, pour qualifier la campagne d’Isabelle Moret : «ratée tant du point de vue de la clarté de son message que de son ambivalence quant au fait d’être une femme en politique». Si seulement ce verdict impitoyable mais incontestable pouvait stimuler la réflexion sur les mécanismes de tant d’échecs vécus par des politiciennes, en particulier au PLR, ce parti plus sournoisement misogyne que l’UDC !

Isabelle Moret a raté sa campagne, en particulier s’agissant du deuxième point de vue, parce qu’elle n’a pas su jouer la carte femme qu’elle avait pourtant en mains. Mais pour une femme dans sa situation la carte était pipée, et c’était trop tard pour réclamer un nouveau jeu.

Pour être un tant soit peu portée par son parti (ce qu’elle a été du reste très médiocrement), la candidate devait lui donner des gages de «PLR- compatibilité», dans ses positions politiques (y compris s’agissant des vrais intérêts des femmes dans la société) comme dans son profilage personnel. Elle ne pouvait pas se déclarer féministe (ce qu’elle n’est du reste pas), parce que c’est une race fort peu prisée chez les siens, et elle ne pouvait dès lors pas réagir comme il aurait fallu à l’innommable traitement qui lui a été réservé. Elle a avalé toutes les couleuvres avec un sourire de porcelaine, se contentant de mettre en avant l’argument le plus nul qu’une femme puisse brandir en politique, son expérience de mère. Ça, ça passe, ça ne mange pas de pain, à la limite ça rassure, surtout quand on s’abstient de tout positionnement politique un peu offensif sur le sujet.

Faite comme une rate, Isabelle Moret. Les femmes de gauche, et la gauche en général, ne l’ont pas assez soutenue ? Evidemment, à cause de ses positions politiques très droitières mais aussi à cause de son manque total d’intelligence et de combativité féministe. Dans un parti ou plus largement dans une société qui accule systématiquement les femmes ambitieuses à se justifier de l’être, il faut choisir son camp. Espérons que cet épisode serve de leçon à toutes celles, en politique ou ailleurs, qui s’imaginent pouvoir faire leur chemin en se calquant sur le modèle dominant.

On ne naît pas Pierre Maudet, on le devient

Pierre Maudet est présenté par les médias et par ses pairs politiciens des deux sexes, même hors de son parti, comme un brillant sujet, plus brillant que sa concurrente romande Isabelle Moret. Pierre Maudet est  intelligent, déterminé, ambitieux pour lui-même mais aussi pour la Suisse, c’est un animal politique, il a des idées, de l’envergure et de l’autorité, il incarne une certaine idée de la modernité.

Pierre Maudet est un homme, avec un petit h.

La question idiote à ne pas poser, c’est : est-ce que les médias et les milieux politiques se répandent en louanges sur Pierre Maudet parce qu’il est un homme ? Bien sûr que non. Pierre Maudet est bel et bien, objectivement, brillant, intelligent, déterminé etc. Il a même d’autres mérites dont, curieusement, on ne parle jamais : se lancer dans la bataille du Conseil Fédéral en ayant de jeunes enfants, n’est-ce pas faire preuve d’un courage extraordinaire ? Mais bon, laissons de côté ce détail, qui doit avoir été réglé avec l’épouse du candidat. La vraie question qu’il faudrait poser, et que personne ne pose, c’est : en quoi le fait d’être un homme a-t-il permis à Pierre Maudet de devenir le brillant sujet qu’il est sans doute, et d’être reconnu comme tel ?

Si personne ne se risque à poser et à se poser cette question, c’est qu’elle est horriblement difficile. Il faudrait disposer d’un logiciel capable d’analyser l’itinéraire de Pierre Maudet en tenant compte de toutes les variables et de toutes les interactions entre ces variables qui ont permis à ses qualités intrinsèques de s’épanouir sans entraves et d’être unanimement saluées – de transformer en somme un petit garçon doué en bête à succès. On verrait alors comment, justement, le fait d’être un garçon a créé autour de lui un climat propice, à la fois, à son développement personnel et à la légitimation de ses aspirations.

Pour ne donner qu’un seul exemple, rappelé à plusieurs reprises par les médias, il a été remarqué et soutenu par Pascal Couchepin ; or, il est rarissime qu’un homme (mâle) de pouvoir, en politique comme partout, par exemple dans les hautes sphères académiques, se choisisse un poulain femelle (Helmut Kohl ne mesurait probablement pas le potentiel de sa poulaine quand il a favorisé la carrière d’ Angela Merkel…).

Il faudrait non seulement fournir à ce logiciel tous les détails de la biographie de Pierre Maudet, mais le programmer pour qu’il sache décoder les encouragements informels qui alimentent l’assurance intérieure d’un individu, les attentes différenciées de la société à l’égard, respectivement, des candidats et des candidates à l’exercice du pouvoir, l’influence du modèle viril dans la sphère publique. Nous pourrions ainsi mesurer concrètement la force du vent qui pousse dans le dos les garçons doués, alors que ce même vent, les filles douées se le prennent le plus souvent en pleine figure….

Pour l’instant, ce logiciel n’existe pas. Un beau défi pour tous ceux qui déplorent le retard de la Suisse en matière de numérisation.