Gustave Flaubert a dénoncé le travers humain très répandu qu’il définit comme «la rage de vouloir conclure». Je vais essayer de ne pas y tomber dans cette chronique qui est la dernière. Après cinq ans et demi, j’arrête ce blog. Pas de quoi faire une dissertation sur le sujet – je vais donc me limiter à quelques mots-clés.
Spécialiste. Je ne le suis de rien, ou si je le suis, tout de même, d’une ou deux choses, mon projet n’a jamais été de consacrer ce blog à un quelconque domaine d’expertise. J’ai tenté, au contraire, dans la mesure de mes moyens, de susciter quelques associations d’idées, pour faire pièce à la pensée en silo et aux interprétations univoques des événements et des notions. C’est ainsi que procèdent, chez nous toutes et tous, l’inconscient et l’imagination – d’où le choix du titre Imaginaires. Le monde est compliqué, je suis la première à n’y rien comprendre, mais je ne crois pas que la bonne solution soit de faire comme s’il était simple.
Pas facile de faire place à la complexité dans des chroniques de 300 ou 400 mots, mais surtout dans une culture où l’on ne consomme plus que la nourriture qui nous est servie dans nos «niches» respectives. Dont acte.
Féminisme. On peut être féministe, antiféministe ou indifférent.e à la question. Dans ce blog, je n’ai jamais fantasmé de transformer une personne antiféministe en féministe, par contre j’ai essayé de faire passer l’idée que la troisième option n’est pas tenable. Le féminisme est une révolution anthropologique qui vise, excusez du peu, à dynamiter le fondement sur lequel s’est construite l’évolution humaine depuis l’apparition d’Homo Sapiens : la division de l’humanité en deux moitiés hiérarchisées. Comme on le dit de la politique, vous ne vous intéressez peut-être pas au féminisme, mais le féminisme s’intéresse à vous.
Quand l’invite à la réflexion suscite rarement autre chose que des réflexes pavloviens antiféministes hors sujet, je dois reconnaître qu’à la longue, c’est déprimant.
Images. Il paraît que les blogueuses et les blogueurs auraient intérêt, à chaque parution, à mettre en avant une image appropriée, pour favoriser la reprise de leur post par les réseaux sociaux. C’est embêtant pour quelqu’un comme moi qui défend bec et ongles la spécificité irréductible de l’écrit.
Dans de nombreux cas, illustrer un post de blog par une photo fait sens – mettons, une image de marée noire venant appuyer une chronique sur la pollution des océans ; mais dans d’autres cas, notamment si le sujet est abstrait, par exemple la notion de liberté, il ne peut s’agir que d’une photo prétexte, une œuvre iconographique dégradée en produit d’appel, dont la plus-value informative et réflexive égale zéro. Très peu pour moi.
Je remercie Le Temps de m’avoir invitée à participer à l’aventure de ses blogs. J’y ai eu longtemps du plaisir, avant de me rendre compte que poursuivre cet exercice n’est plus dans mes priorités. Bon vent à toutes et tous mes «collègues» présents et futurs, et bonne année !