Les patrons des «géants du SMI» que Le Temps nous a présentés toute cette semaine gagnent entre 1,2 et 13,8 millions par an (à moins que les deux salaires non communiqués au Temps ne soient supérieurs ou inférieurs à cette fourchette). Je connais l’argument massue pour expliquer, voire justifier, ces montants faramineux qui ébahissent le bon peuple (dont je fais partie) : c’est le marché des dirigeants qui détermine les salaires. Si on veut des talents au sommet, il faut y mettre le prix, sinon ils partent ailleurs.
J’avais voté en faveur de l’initiative 1.12 (demandant que, dans une entreprise, le salaire le plus haut ne soit pas supérieur au salaire le plus bas multiplié par 12) mais je connais trop peu les lois de l’économie libérale pour m’embarquer dans un débat sur le sujet. J’ignore en particulier quels sont les critères permettant d’affirmer qu’un individu acceptant de gagner la moitié, ou même un tiers, de ce que gagnent ces poids lourds serait nécessairement moins performant. En revanche, comme je tiens un blog intitulé Imaginaires, j’essaie d’imaginer, justement, ce que ces messieurs peuvent bien faire de leurs pactoles annuels respectifs.
Ils travaillent tous beaucoup et, s’ils sillonnent la planète, «c’est pas par plaisir qu’ils voyagent», comme le chantait Michel Bühler à propos d’une catégorie moins fortunée de la population mondiale (comme quoi il arrive que les extrêmes se rejoignent). Même si les top managers dont Le Temps dresse le portrait n’entrent pas en matière, ou si peu, sur leur vie privée, je subodore qu’ils se lèvent tôt, prennent peu de vacances et ne font pas de détox numérique le week-end. Admettons que certains d’entre eux s’achètent des yachts stationnés sur la Costa Smeralda, des villas somptueuses à Marrakech, des hélicoptères pour faire du ski dans les Rocheuses ou d’autres gâteries que mon train de vie de membre de la classe moyenne ne me permet même pas de concevoir, la question est : QUAND en profitent-ils ?
Première possibilité : c’est pour leur retraite (sûrement tardive, d’où arthrose des genoux handicapante pour descendre l’échelle du yacht). Deuxième possibilité : ce n’est pas pour eux, c’est pour leurs enfants et leur épouse (j’ai oublié de dire, tellement ça allait de soi, qu’il n’y a que des hommes parmi ces happy ( ?) few).Troisième possibilité : ce n’est pas la jouissance de l’argent et des biens auxquels il donne accès qui les intéresse, c’est son équivalence en termes de pouvoir (y compris le pouvoir d’en dépenser une partie, le cas échéant, en œuvres philanthropiques). Là, je sens que je tiens une piste. J’ai oublié quelque chose ? Experts en économie libérale, aidez-moi !