Je suis tombée récemment sur ielles dans un texte littéraire, et ça m’a drôlement plu.
En littérature, l’écriture inclusive est difficilement praticable, il faut l’admettre. Ils et elles (ou elles et ils), ça va une fois toutes les vingt pages, en guise de piqûre de rappel : hé, je vous signale que l’humanité est mixte, et que le masculin universel est une arnaque. Mais trois fois par page, c’est affreusement lourd et ça détourne l’attention de l’essentiel de ce que vous essayez de dire. Ielles, c’est fluide, musical, et si tout le monde l’adoptait, au bout de cinq ans on ne s’en apercevrait même plus.
Ce qu’on essaie de dire quand on écrit un roman, ou a fortiori un poème, c’est quelque chose qui s’adresse à l’imagination, qui tend à susciter des émotions, des pensées impalpables qui ne se résument pas aux faits éventuellement racontés. On se meut pour cela dans un univers linguistique dont on a hérité, qui est l’univers commun à toute la société. Cet univers linguistique, malheureusement, surtout en français, est intrinsèquement sexiste. Mais en littérature on ne peut pas le changer par une démarche obstinément volontariste, comme il est par contre, à mon avis, recommandé de le faire, par exemple, dans les textes administratifs, qui ne veulent dire que ce qu’ils disent.
En littérature, la langue est un instrument excessivement fragile et subtil. On ne peut pas y aller sans autre avec les gros sabots de l’écriture inclusive systématique, il faut utiliser toutes sortes d’astuces narratives et stylistiques pour rappeler, mettons, que des villageois terrifiés par le grondement d’une avalanche sont des femmes et des hommes – sans pour autant casser le rythme des phrases ou suggérer que le sexe des villageois est plus important que leur terreur de l’avalanche. La reconnaissance par les dictionnaires d’un néologisme simple et élégant comme ielles permettrait d’enfoncer un coin dans ce monument du patriarcat qu’est la langue française.