Succession Leuthard: qui représente qui?

Quand Doris Leuthard va partir, la Suisse pourrait se retrouver avec une seule femme au Conseil Fédéral. Est-ce grave ? Certainement. Pourquoi ? Parce que les Suissesses, qui constituent 52% de la population, ne seraient plus représentées au gouvernement que par une personne sur sept…. Non, désolée, cette manière de dire les choses n’est pas correcte. Doris Leuthard et Simonetta Sommaruga ne représentent pas les femmes de ce pays, ce sont des femmes qui ont été choisies pour représenter l’ensemble de la population. Nuance.

Le terme de représentativité est utilisé à mauvais escient plus souvent qu’à son tour. Le problème n’est pas d’arriver à faire élire des personnes qui, de par leur sexe, seraient automatiquement représentatives de la moitié féminine de la population. Cet automatisme n’existe pas, bon nombre des politiciennes ne défendent pas du tout les intérêts des femmes et n’ont aucun titre à les représenter. Le problème est d’arriver à faire en sorte que, dans le fonctionnement du système, il y ait autant de femmes que d’hommes, quelles que soient leurs positions politiques – même frauenfeindlich –  qui seraient appelées à représenter le peuple dans sa totalité. C’est d’ailleurs ce même principe qui devrait être clairement rappelé quand on élit, par exemple, un Ignazio Cassis au Conseil Fédéral. Les Tessinois ont droit à ce qu’un.e des leurs figure parmi les autorités exécutives du pays tout simplement parce que le pouvoir doit être réparti entre les différentes composantes du dit pays. Point barre.

Si on avait le courage de poser la question en ces termes, on s’apercevrait que ce qu’on appelle la sous-représentation des femmes en politique ne tient pas à la difficulté de reconnaître à la majorité discriminée de la population le droit d’être représentée au gouvernement en fonction de son importance numérique, mais bien à la résistance inavouée des hommes, dans la plupart des partis, à admettre que des femmes peuvent les représenter. Eux.

 

Camions comestibles et koalas dans les branches

J’apprécie beaucoup le remarquable talent de chroniqueur d’Alexis Favre, mais pourquoi diable cet esprit acéré veut-il absolument enseigner à son fils de deux ans et demi la différence «entre la réalité et le pays imaginaire» (Le Temps du 9 février) où ce petit garçon a mangé un camion et lancé une grenouille à la tête d’un monstre ? Une fois, un de mes petits-enfants, âgé alors de quatre ans, m’a fait remarquer le plus sérieusement du monde que des koalas étaient perchés sur les arbres de la place de jeu. Et j’ai pensé : pourvu qu’il ne remette pas trop vite les pieds sur terre.

J’ai l’impression que notre époque formidable, capable de transformer les délires d’Elon Musk en réalité, est paradoxalement néfaste pour l’imagination. La réalité, justement, occupe trop de place depuis qu’on peut l’augmenter par la technologie, par la consommation, aussi, de plus en plus facile, de toutes sortes de biens matériels et immatériels. On ne fantasme plus d’assister à l’éruption d’un volcan, on chausse des lunettes 3D et on est au bord du cratère. On ne rêve plus de voir Naples et mourir, on y va vite fait avec un vol low-cost (et on revient vivant.e). Moi la première, bien sûr. Mais cela mérite réflexion.

Je suis frappée par la formule «d’après une histoire vraie» qui prolifère dans le générique des films et qui est aussi devenue une arme de séduction massive en littérature. Après, tout dépend de la capacité du/de la cinéaste ou de l’écrivain.e de recréer artistiquement cette «histoire vraie» (c’est ce qui a apparemment manqué à Clint Eastwood dans son dernier film, que je n’irai pas voir) ; mais on dirait que, pour plaire au public, dans un monde saturé de réalité disponible, miser sur l’invention devient de moins en moins porteur.

Imaginer, comme le font les enfants quand ils et elles jouent aux pirates ou au supermarché, mangent des camions et voient des koalas dans les branches, c’est se tenir en équilibre entre le vrai et l’inventé (pas le faux, ça, on le laisse aux producteurs de fake news). L’ambivalence est bénéfique, créatrice de désirs, nourricière pour le cerveau, qui ne sera que trop colonisé plus tard par un excès toujours croissant de réalité.