Il faut que tout change pour que tout reste comme avant (Noël aussi)

Ce dimanche, je me suis offert le pur bonheur d’aller revoir Il Gattopardo (Le Guépard), qui était projeté à Lausanne pour une unique séance, dans le cadre de la rétrospective Visconti de la Cinémathèque. La fameuse sentence emblématique du film, «Il faut que tout change pour que tout reste comme avant», garde certainement toute sa pertinence en Sicile, vu que cent soixante ans après la chute du monde ancien, avec l’unification politique de l’Italie, la vie civique à Palerme, même sans les Bourbons, ne ressemble toujours pas à la vie civique à Oslo ; mais soyons lucides, point de vue résistance au vrai changement, nous sommes toutes et tous des Siciliens.

Le prince Salina trouverait peut-être que je suis hors sujet, mais j’y pense beaucoup en observant la course aux achats de Noël. Notre cerveau informé et rationnel sait parfaitement que la coutume de l’orgie de cadeaux est dévoreuse d’énergie en amont et productrice, en aval, de montagnes de déchets non recyclables. Une grande partie des objets que nous offrons et recevons sont fabriqués aux antipodes par des personnes exploitées, dans de mauvaises conditions de travail ; et leur transport dégage ces fameux gaz à effet de serre qui sont en train d’empoisonner notre planète. Notre cerveau informé et rationnel sait tout cela, parce qu’on nous l’explique tous les jours en long, en large et en travers.

Nous devrions changer une fois pour toutes nos comportements – seulement voilà, notre cerveau émotionnel proteste. Nous avons besoin de la «magie de Noël» telle qu’on nous l’a transmise depuis le berceau dans nos sociétés de consommation occidentales : ficelles dorées, craquement du papier de fête (qui a coûté la vie à quelques arpents de forêt), gadgets inutiles pour mettre de l’ambiance et surtout éclairs de joie dans les yeux des enfants. Ça fait partie des rituels qui nous arriment au monde, et ce n’est pas demain la veille que nous allons y renoncer.

C’est ce qu’avait compris le prince Salina en contemplant avec un scepticisme mélancolique, en 1860, le face-à-face de la culture ancestrale sicilienne et des idéaux progressistes de la nouvelle Italie. Et nous aussi, urgence climatique ou pas, nous continuons à faire semblant de changer, pour que la «magie de Noël» reste comme avant.