«Si tu n’es pas féministe à 40 ans…..

tu as raté ta vie». Parmi les slogans de cette magnifique Grève des Femmes, souvent inventifs et drôles, c’est celui-là qui m’a le plus touchée. Même si je n’ai plus 40 ans depuis un certain temps, ou peut-être pour ça, justement. Je ne suis pas sûre d’avoir «réussi» ma vie jusqu’ici – qui peut l’être ? – mais je sais en tout cas que le féminisme, dans lequel je me suis engagée à l’âge de 25 ans, je ne suis pas passée à côté. Je n’ai toujours pas de Rolex en or, ce status symbol qu’il fallait être en mesure de se procurer, d’après Sarkozy, au plus tard à 50 ans – par contre j’ai ce petit badge violet avec le poing levé et un ongle peint, que je porte virtuellement depuis des décennies, et sur mon profil Whats’app j’ai mis la phrase : «Féministe tant qu’il le faudra».

En me promenant, vendredi, avant le départ du cortège, sur la place Saint-François à Lausanne, j’ai été frappée par la jeunesse de la plupart des participantes, et je me suis dit : c’est merveilleux, toutes ces jeunes femmes qui reçoivent aujourd’hui le même cadeau de la vie que moi aussi j’ai reçu à leur âge, cette émotion incomparable de l’engagement féminin collectif, pas contre les hommes mais bien contre le patriarcat. Et ce cadeau, personne, jamais, ne pourra le leur reprendre.

Merci au Temps pour sa «une» du jeudi 13, une petite foule de femmes pressées les unes contre les autres aux différents étages d’un plongeoir, déroulant une longue banderole fuchsia, se drapant dedans, la faisant flotter au-dessus de leur tête, drapeau sororel pour l’avenir. Je me sens juste un peu triste en pensant à  ceux et surtout à celles à qui cette photo, ou la vision de toute une humanité en mouvement dans les rues de nos villes pour plus de justice, ne mettent pas les larmes aux yeux.

Les hommes, les femmes et la littérature

Jeudi soir dernier, à la cérémonie d’inauguration des Journées Littéraires de Soleure, il n’y avait que des femmes sur scène. La directrice de la manifestation ; la présidente du Conseil National; et cinq autrices des différentes régions linguistiques. J’étais dans la salle, et j’ai ressenti une sensation de légèreté intérieure, de libération – j’ai presque envie de dire, de bonheur.

Le lendemain, toujours à Soleure, j’ai eu l’honneur de participer à un débat sur les structures de pouvoir dans le système littéraire suisse, en particulier s’agissant des relations entre les sexes. En plus de l’animatrice, nous étions deux écrivaines, une alémanique et une «latine», qui ne nous connaissions pas jusqu’au jour précédent. Sans nous être concertées, nous tirions à la même corde, et le troisième intervenant, un acteur important de l’industrie littéraire, a élégamment renoncé à nous rentrer dedans.

Le Stadttheater de Soleure était plein. Comme dans l’ensemble de la manifestation soleuroise (injustement boudée, soit dit en passant, par les médias romands), le public (principalement alémanique, donc) était composé de plus de femmes que d’hommes (c’est bien connu que les lecteurs de littérature sont en majorité des lectrices) ; mais les hommes aussi étaient là, intrigués par un sujet encore largement tabou, celui de la domination masculine en littérature. Comment est-il possible d’évaluer l’inégalité de genre dans un domaine, celui de la reconnaissance en matière de création littéraire, où rien n’est mesurable, notamment le talent, et où le succès tient à une alchimie dont personne ne détient la formule ?

Il y a toutes sortes de mécanismes complexes à démonter, l’entre-soi masculin, le préjugé séculaire selon lequel la grande littérature est l’apanage des hommes, les attentes différentes adressées aux écrivaines et aux écrivains…. bien d’autres choses encore – et vraiment, rien n’est simple. La proximité de la grève féministe a incité les Journées littéraires de Soleure à planter le bâton dans la fourmilière, mais le débat ne fait que commencer.