AVS et armée: tenons bon!

La Société Suisse des Officiers a choisi le cœur de l’été pour en appeler à l’extension de l’obligation de servir à la totalité de la population. Voilà qui nous manquait, après le vote des Chambres, il y a quelques semaines, en faveur d’un alignement de l’âge de la retraite des femmes avec celui des hommes – pour l’instant 65 ans. L’égalité est en marche, paraît-il. Voyons.

Pour justifier l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes, on invoque l’argument de la sécurisation financière de l’AVS, question qui évidemment importe à tout le monde, même s’il y a désaccord  sur les solutions à adopter. Pour justifier une éventuelle conscription féminine, l’argument invoqué est celui du maintien des effectifs de l’armée, qui par contre indiffère une partie de la population. Mais quoi qu’il en soit, dans l’un et l’autre cas, on appelle en renfort l’égalité des sexes, qui est censée susciter un enthousiasme unanime. Comme ça  tombe bien, n’est-ce pas : la résolution de deux problèmes présentés comme majeurs pour l’avenir du pays passe par la suppression de privilèges désuets, vu que désormais il est acquis que citoyennes et  citoyens doivent avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Le piège est infernal. Mises à part les mesures légales relatives à la maternité, où entre en jeu une différence biologique, la petite année de moins pour l’âge de la retraite et l’absence de l’obligation de servir sont les deux seules dispositions voyantes de l’arsenal juridique du pays qui sont, stricto sensu, en faveur des femmes. Or, elles s’inscrivent dans un contexte social dont l’inégalité de sexes en faveur des hommes est littéralement le matériau de base. C’est cette inégalité-là qu’il faut commencer par supprimer.

Les femmes  (en tant que catégorie bien sûr, pas en tant qu’individus) sont perdantes partout dans l’accès concret aux ressources collectives : argent, influence, reconnaissance, emplois gratifiants, liberté personnelle, temps de repos et de loisirs, etc. Alors, ces deux seules cartes légales qu’elles ont en mains, il faut les garder bec et ongles et ne les  lâcher sous aucun prétexte. Quoi qu’on puisse penser de la nécessité de résoudre les deux problèmes en question, il est exclu que cela se fasse au détriment de la moitié de la population qui verse déjà un tribut exorbitant à la bonne marche de la société.

Réinventer l’art de bien manger

Cuit au four en croûte de sel, le loup de mer (sauvage et à peine pêché) est aussi délicieux que grillé. Sa saveur et sa consistance sont plus moelleuses, le filet d’huile d’olive lui convient mais on s’abstiendra de la giclée de citron. Dans ce restaurant de plage de la côte ligure, où aucun plat ne coûte plus de 20 euros, on se fait goûter d’une assiette à l’autre, on compare et on se régale.

Et que dire de ces fondantes costine di maiale au Barolo servies dans un établissement du vignoble piémontais ? Juste qu’il vaut mieux renoncer à traduire par côtelettes de porc, pour ne pas créer de fausses représentations. De même qu’il vaudrait mieux renoncer à utiliser le même terme de courgette pour désigner le légume cultivé en Suisse et les zucchine trombette longues et fines de l’Italie du Nord.

Ce n’est sans doute pas un hasard si le mouvement Slow Food, désormais bien implanté sur la planète, a vu le jour en 1986 dans un pays comme l’Italie, où la culture du goût, basée sur la diversité géographique des produits et de la manière de les apprêter, fait partie de la culture tout court. Son lieu de naissance est Bra, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Turin, commune au sein de laquelle le village de Pollenzo (qu’il vaut la peine de visiter) est désormais le siège de la première Université des Sciences gastronomiques. Si j’en juge par ce que j’ai pu lire sur le site de Slow Food, l’objectif du mouvement n’est rien moins que de réinventer l’art de bien manger, aux deux sens du terme, dans un monde cruellement maltraité par l’humanité prédatrice.

Il s’agit en effet de se battre contre la malbouffe industrielle et en faveur de la préservation des traditions culinaires locales, mais pas seulement dans une optique conservatrice. Le mouvement vise la diffusion d’une gastronomie durable, et d’après la petite expérience que j’ai faite en consultant la page Slow Fish du site, qui liste les espèces menacées par la surpêche, celle-ci ne coïncide pas toujours avec la gastronomie ancestrale : la consommation du loup de mer est déconseillée, mieux vaut privilégier des poissons moins connus. Aïe aïe. Pas si simple de manger «authentique» !

L’«authenticité» gastronomique de demain n’est pas nécessairement identique à celle d’hier. Que le ciel nous préserve de devoir un jour commander une escalope de soja dans une trattoria du Barolo. Mais il faudra faire certaines concessions, pour tenter de réparer les dégâts que nous avons nous-mêmes commis.