Réinventer l’art de bien manger

Cuit au four en croûte de sel, le loup de mer (sauvage et à peine pêché) est aussi délicieux que grillé. Sa saveur et sa consistance sont plus moelleuses, le filet d’huile d’olive lui convient mais on s’abstiendra de la giclée de citron. Dans ce restaurant de plage de la côte ligure, où aucun plat ne coûte plus de 20 euros, on se fait goûter d’une assiette à l’autre, on compare et on se régale.

Et que dire de ces fondantes costine di maiale au Barolo servies dans un établissement du vignoble piémontais ? Juste qu’il vaut mieux renoncer à traduire par côtelettes de porc, pour ne pas créer de fausses représentations. De même qu’il vaudrait mieux renoncer à utiliser le même terme de courgette pour désigner le légume cultivé en Suisse et les zucchine trombette longues et fines de l’Italie du Nord.

Ce n’est sans doute pas un hasard si le mouvement Slow Food, désormais bien implanté sur la planète, a vu le jour en 1986 dans un pays comme l’Italie, où la culture du goût, basée sur la diversité géographique des produits et de la manière de les apprêter, fait partie de la culture tout court. Son lieu de naissance est Bra, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Turin, commune au sein de laquelle le village de Pollenzo (qu’il vaut la peine de visiter) est désormais le siège de la première Université des Sciences gastronomiques. Si j’en juge par ce que j’ai pu lire sur le site de Slow Food, l’objectif du mouvement n’est rien moins que de réinventer l’art de bien manger, aux deux sens du terme, dans un monde cruellement maltraité par l’humanité prédatrice.

Il s’agit en effet de se battre contre la malbouffe industrielle et en faveur de la préservation des traditions culinaires locales, mais pas seulement dans une optique conservatrice. Le mouvement vise la diffusion d’une gastronomie durable, et d’après la petite expérience que j’ai faite en consultant la page Slow Fish du site, qui liste les espèces menacées par la surpêche, celle-ci ne coïncide pas toujours avec la gastronomie ancestrale : la consommation du loup de mer est déconseillée, mieux vaut privilégier des poissons moins connus. Aïe aïe. Pas si simple de manger «authentique» !

L’«authenticité» gastronomique de demain n’est pas nécessairement identique à celle d’hier. Que le ciel nous préserve de devoir un jour commander une escalope de soja dans une trattoria du Barolo. Mais il faudra faire certaines concessions, pour tenter de réparer les dégâts que nous avons nous-mêmes commis.

 

 

 

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.