«Bats ta femme tous les soirs en rentrant (ou tous les matins avant de sortir, les versions varient). Si tu ne sais pas pourquoi, elle, elle le sait.». Cet adage d’origine géographique incertaine, il n’y a pas si longtemps on pouvait se tailler un joli succès en le dégainant entre la poire et le fromage, même en présence de dames obligées de sourire pour ne pas avoir l’air de pisse-vinaigre, dans des pays bien éloignés de ceux auxquels on reproche leurs mœurs barbares.
Après l’augmentation de la violence domestique qui s’est produite un peu partout pendant le confinement, on a reparlé de la violence contre les femmes à l’occasion du récent procès de Thonon-les- Bains. Cinq hommes ont agressé cinq femmes, à Genève, à la sortie d’une boîte de nuit, parce que l’une d’elles a refusé les avances de l’un d’entre eux. Les dégâts physiques et psychologiques sont énormes, la justice a sévi, encore heureux. De nombreuses voix intelligentes ont rappelé que ce genre de crimes n’ont rien d’accidentel, ils ont programmés, dans un régime social où les hommes sont encouragés depuis toujours à se considérer comme les propriétaires du corps des femmes. Il faut cependant creuser encore plus profond dans la structure du système patriarcal.
J’y pensais en relisant quelques Maigret, certains soirs de compote cérébrale. Eh oui, j’adore relire les Maigret, avec ce commissaire fumeur et alcoolisé, cette densité humaine à couper au couteau, ce Paris et cette France d’antan, comme de vieilles pantoufles. Et Madame Maigret, dont certains exégètes se plaisent à souligner qu’elle a, elle aussi, une personnalité. C’est possible. Mais ce qui me frappe à chaque relecture (c’est-à- dire, environ une fois toutes les décennies), c’est la hiérarchie entre les deux membres du couple.
Madame Maigret ne prend jamais d’initiatives, qu’il s’agisse d’aller en vacances, au cinéma ou au restaurant. Madame Maigret tient un repas prêt, qui sera ou ne sera pas mangé. Madame Maigret ne souffle mot quand son mari lui enjoint de renoncer à ses programmes pour se plier aux siens. Et le pire, c’est que, comme dirait l’autre, il faut imaginer Madame Maigret heureuse, parce que ça fait des millénaires qu’on lui explique que pour une femme, le bonheur, c’est d’être une seconde aimée. C’était vers le milieu du siècle dernier, autant dire hier.
Vous allez me demander, qu’est-ce que cela a à voir avec l’agression de Genève, alors que Maigret est le moins violent des maris, et que de surcroît Madame Maigret ne va jamais en boîte ? Je vous réponds : tout ! Absolument tout ! L’origine est la même, la hiérarchisation des sexes. L’infériorisation subreptice des femmes dans l’ordre social et familial, qui persiste sous le vernis égalitaire actuel, et leur infériorisation brutale par l’agression physique sont deux aspects d’un même phénomène.
Et le vrai problème, savez-vous, c’est que même moi, j’adore relire les Maigret.