Les hommes sont en moyenne plus grands de taille, plus lourds et plus musclés que les femmes, c’est un fait. Mais ce fait n’explique pas la violence, parfois meurtrière, toujours destructrice, dont certains d’entre eux (pas nécessairement des armoires à glace) usent à l’égard des femmes – il contribue seulement à en rendre possibles les manifestations physiques. Les viols, les passages à tabac et les féminicides ont leur origine ailleurs que dans la confrontation des corps. Ils ont leur origine dans la subdivision de l’humanité en deux catégories de valeur inégale, c’est-à-dire dans le patriarcat.
Les hommes qui abusent sexuellement des femmes, les maltraitent, les battent ou les assassinent ne le font pas parce qu’ils ont les moyens de le faire, ils le font parce que le système patriarcal les y autorise, en dépit de la loi, qui le leur interdit. Le système patriarcal a été mis en place dans la nuit des temps, il est infiltré dans les profondeurs de l’imaginaire collectif, tandis que la loi est une superstructure fragile et d’élaboration relativement récente. Il suffit d’un rien pour qu’elle ne tienne pas le choc face à la puissance, archaïque et totalisante, du droit arbitraire de l’humain masculin en tant qu’ «être supérieur».
Droit d’humilier l’ «être inférieur», physiquement mais d’abord moralement, droit de le tenir en situation de dépendance, physique mais d’abord psychique, sociale, économique ; droit d’anéantir sa personnalité à travers le réseau de discriminations qui ont fait des femmes, à travers les millénaires, des mineures interdites d’autonomie et de création.
Alors, maintenant, dans les pays tendanciellement démocratiques, on s’étonne et on s’indigne, on cherche, à juste titre, des parades juridiques et logistiques, on déploie (pas partout et pas assez, mais ça commence) un volontarisme de bon aloi pour «protéger les victimes», on fait même, parfois, des tentatives bienvenues pour éclairer et rééduquer les coupables. C’est bien, mais le problème est anthropologique. Il faudrait avoir le courage de prendre la mesure de l’écrasement du présent par le passé – de remettre en question, et pas seulement dans certains cénacles universitaires, tout un pan fondateur de notre civilisation.