Vroum vroum

La mienne est plus grosse ! Oui, mais la mienne fait plus de bruit…

Je parle de machines, bien entendu. Le 27 mars, vers les 7h.35, sur RTS La Première, le chef de l’état major de l’armée suisse, Claude Meier, notait, à propos du refus de l’achat des Gripen en 2014, que le seuil de tolérance de la population à l’égard des nuisances sonores s’est abaissé. En somme, à force d’avoir peur qu’on les rende sourds, les gens seraient devenus coupablement aveugles aux exigences d’une défense nationale crédible. Un peu plus tard, interrogé sur la place des femmes dans l’armée suisse, le haut gradé a convenu, du bout des lèvres – tellement du bout des lèvres qu’il semblait penser le contraire – que les effectifs féminins restaient insuffisants. Mais à quoi songeait-il, cet homme, pour oublier qu’il est désormais formellement interdit de ne pas s’enthousiasmer en faveur de l’égalité des sexes ? Peut-être à l’antique jouissance du citoyen-soldat, mise en péril par les hypersensibles de la feuille, quand il entend rugir une escadrille de F/A18 dans le ciel calme du lac de Morat ?

Hasard ou astuce, sur les mêmes ondes, vingt minutes après, la chroniqueuse Rinny Gremaud nous informait que la Formule 1 n’est plus ce qu’elle était. Les deux principales innovations sont, depuis 2014 (tiens, quelle belle année !) l’équipement obligatoire des voitures avec des moteurs hybrides, moins polluants et beaucoup moins bruyants , et la disparition, depuis dimanche dernier, des filles en culotte de latex sur le bord des circuits. La baisse des décibels, il paraît que ça passe mal, les fans se plaignent, c’était le bruit qui les faisait rêver. Au point qu’on songe à introduire dans les moteurs hybrides des micros de céramique pour l’amplifier. Quant aux demoiselles en tenue suggestive, aucun être sensé, en cette ère post-Weinstein, n’oserait avouer qu’il les regrette. Je jurerais cependant que certains n’en pensent pas moins, pestant en leur for intérieur contre cette autre police des rêves.

Trop chou

Avez-vous remarqué que la créativité des concepteurs des campagnes publicitaires de Migros s’atrophie systématiquement à l’approche de Pâques ? Il est vrai que leur marge de manœuvre est étroite : il s’agit d’apprêter à toutes les sauces le lapin, mais en prenant soin d’éviter d’évoquer la sauce à la moutarde (ou au vin blanc), ce qui pourrait semer le trouble chez leur public-cible. A quel âge les petits enfants découvrent-ils et elles que le nouveau doudou destiné à étoffer leur déjà riche collection est le même animal qui pourrait se retrouver, au repas de famille pascal, dans leur assiette ? Probablement à l’âge où on cesse de croire au Père Noël.

Cette année, le slogan choisi, c’est : trop chou. Trop chou, les bébés peluches (bleus, jaunes ou roses). Pâques sera trop chou, ai-je même vu sur des affiches. Ou le degré zéro de l’inventivité, ce parangon de la vacuité verbale figurant sans doute dans le top ten (ou même dans le top five) des expressions francophones prononcées quotidiennement dans notre monde où, paraît-il, les images de chatons sont les plus regardées sur les réseaux sociaux.

Entendons-nous. Le lapin de Pâques, ça fait partie de la culture suisse (en Italie, à côté de l’œuf, c’est plutôt l’agnelet en sucre) et je suis définitivement favorable au maintien des petits rituels saisonniers qui permettent aux enfants de se situer dans le monde. Quant aux peluches, étant grand-mère je sais très bien que la quarante-septième est absolument indispensable. Ce qui me navre, c’est d’assister à la prolifération de ce stupide chou sans trognon dans notre espace mental. L’aplatissement du langage favorise le conformisme intellectuel, mais également le conformisme de la sensibilité, la noyade collective dans la mélasse. Ce qui peut-être est encore pire.

La Journée des femmes en profitocratie

Non, non et non! Ras le bol à la fin! Les lectrices et lecteurs de ce blog savent que les vociférations  de rage primaire ne sont pas vraiment  le genre de la maison – mais là trop c’est trop, ça me fait mal au ventre. La marque de montres Tissot s’adresse à la population,  en prévision du 8 mars, Journée internationale des femmes:  «Célébrons les femmes. Avec un cadeau spécial journée de la femme. Ladies, this is your time.» Enfin, à la population:  à ses membres masculins,  invités à se rattraper au cas où, par distraction, ils auraient zappé  les roses de la Saint-Valentin;  ou  à prendre les devants en vue de la Fête des Mères, ça n’empêchera pas les asperges au restau.

Eh oui, messieurs, la femme étant la meilleure amie de l’homme (elle a avantageusement remplacé le cheval) il ne faut perdre aucune occasion pour la glorifier. Et vu que le temps est passé de lui octroyer le droit de s’asseoir avec l’homme sur le banc devant la maison, comme le préconisait Charles-Ferdinand  Ramuz, une jolie montre Tissot fera l’affaire. Regarde, chérie, ce que je t’offre pour TA  Journée.  Hein, si tu avais dû te la payer avec ce que gagnes…. C’est TA  soirée, et pour te le prouver, je vais lancer moi-même la lessive. Redis-moi juste, pour mes vêtements de sport, c’est 30 degrés ou 40? J’oublie toujours…

Depuis plus d’un siècle, le 8 mars est une journée de lutte contre les discriminations qui frappent les femmes. Les régimes communistes l’ont instrumentalisée, les régimes libéraux ont fait de tout pour l’ignorer, et voici que maintenant les profitocraties la détournent en épiphanie de l’Eternel Féminin. Alors, au moins un conseil aux âmes naïves: méfiez-vous de tous ceux qui, en 2018, persistent à célébrer LA FEMME  au singulier. Seulement LES FEMMES, au pluriel, font partie de l’humanité. Et tout ce qu’on leur souhaite, c’est qu’elles se célèbrent toutes seules.