Trop chou

Avez-vous remarqué que la créativité des concepteurs des campagnes publicitaires de Migros s’atrophie systématiquement à l’approche de Pâques ? Il est vrai que leur marge de manœuvre est étroite : il s’agit d’apprêter à toutes les sauces le lapin, mais en prenant soin d’éviter d’évoquer la sauce à la moutarde (ou au vin blanc), ce qui pourrait semer le trouble chez leur public-cible. A quel âge les petits enfants découvrent-ils et elles que le nouveau doudou destiné à étoffer leur déjà riche collection est le même animal qui pourrait se retrouver, au repas de famille pascal, dans leur assiette ? Probablement à l’âge où on cesse de croire au Père Noël.

Cette année, le slogan choisi, c’est : trop chou. Trop chou, les bébés peluches (bleus, jaunes ou roses). Pâques sera trop chou, ai-je même vu sur des affiches. Ou le degré zéro de l’inventivité, ce parangon de la vacuité verbale figurant sans doute dans le top ten (ou même dans le top five) des expressions francophones prononcées quotidiennement dans notre monde où, paraît-il, les images de chatons sont les plus regardées sur les réseaux sociaux.

Entendons-nous. Le lapin de Pâques, ça fait partie de la culture suisse (en Italie, à côté de l’œuf, c’est plutôt l’agnelet en sucre) et je suis définitivement favorable au maintien des petits rituels saisonniers qui permettent aux enfants de se situer dans le monde. Quant aux peluches, étant grand-mère je sais très bien que la quarante-septième est absolument indispensable. Ce qui me navre, c’est d’assister à la prolifération de ce stupide chou sans trognon dans notre espace mental. L’aplatissement du langage favorise le conformisme intellectuel, mais également le conformisme de la sensibilité, la noyade collective dans la mélasse. Ce qui peut-être est encore pire.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.