La joie d’être grand-mère (et l’âge de l’AVS)

«Grand-parent, c’est un job !» me dit un «collègue» grand-père dans la cour de l’école primaire lausannoise où nous attendons la sonnerie de la fin des classes. Un job gratifiant, c’est sûr, qui dira ce pincement de joie, quand l’enfant déboule en courant pour nous embrasser? Mais un job quand même, avec des horaires obligatoires et des prestations (de care, comme disent les sociologues) à fournir même si on a mal à la tête.

Le jour de la semaine où nous sommes tous les deux «de service», ce grand-père est généralement seul de son espèce dans la cour. Mis à part les éducatrices du parascolaire, les mamans en grand nombre et les rares papas, ce sont plutôt des grand-mères qui sont là, certaines avec une poussette contenant un bébé qu’elles gardent probablement depuis quatre ou cinq heures. L’économie tourne aussi grâce à toutes ces retraitées (féminin incluant le masculin minoritaire) qui donnent de leur temps et de leur énergie pour permettre aux parents de gagner de l’argent. Et ce qu’elles font, il faut le dire, c’est du travail, aussi épanouissant pour le cœur qu’il puisse être : si elles ne le faisaient pas, qui d’autre le ferait gratis ?

Il fait froid aujourd’hui, la bise s’est levée. Je me demande si, ce matin, les parents auront pensé à mettre de nouveau une écharpe à l’enfant, après tous ces jours de douceur printanière. Je me demande si mon gratin de légumes passera le test – non, on ne peut pas manger tout le temps des spaghettis. Je pense à l’amour, cet argument massue pour éviter de déplaisants calculs sur la valeur monétaire du travail non payé des femmes. Une boîte de Pandore que personne n’a le courage d’ouvrir.

Je me demande combien coûterait aux collectivités publiques la hausse de l’âge de la retraite des «grand-mères actives» : heures de crèche supplémentaires, perte de revenus fiscaux due à un retour plus tardif des mères sur le marché du travail…. Quand s’attaquera-t-on enfin à cette comptabilité-là ?

Mais pour le dessert je t’ai acheté, regarde ! une mousse au chocolat avec la chantilly.

 

Gouttes d’eau et marée noire

Il y a quelques jours, j’ai commis une mauvaise action. Oh, je vous assure, pas de gaîté de cœur, cela m’a pris quelques heures de tourment moral pour me décider à faire cette vilaine chose : organiser un aller-retour de deux jours en avion (oui, en avion) pour une destination juste inférieure aux 1200 kilomètres en-dessous desquels tout individu doté d’un minimum de conscience écologique se doit de privilégier le train. Pas pour un week-end all inclusive, non, pour une obligation sérieuse dont la date n’est pas compatible avec un séjour plus long. J’ai choisi de résister aux charmes de la compagnie low cost qui me souriait de toutes ses dents oranges et j’ai pris une compagnie nationale plus chère. Mais tout de même, c’est un peu la honte.

Des mauvaises actions, en fait, j’en commets tous les jours. Figurez-vous que je continue à m’acheter des mouchoirs en papier, agents destructeurs des forêts boréales, au lieu de me coudre, à mes moments perdus, de jolis mouchoirs en tissu, comme me l’a suggéré il y a quelque temps Greenpeace. Et ce matin même, à la Migros, je me suis laissé tenter par des carottes fines et juteuses, certes bio et «de la région», mais préemballées (aïe !) au lieu de remplir mon petit sac en filet réutilisable de carottes en vrac énormes et à l’aspect ligneux.

Allez, je me moque, surtout de moi-même, et en réalité, des petites choses pour le climat, à mon échelle, j’en fais pas mal ; mais je dois avouer que l’antienne du «changement des comportements individuels» commence à me courir sur le fil, face à la schizophrénie d’une partie de celles et ceux qui nous gouvernent – la majorité, en fait, puisqu’ils et elles arrivent à bloquer presque toutes les mesures politiques qui nous permettraient de prendre un vrai tournant pour tenter d’assainir notre terre malade.  Pas besoin de rappeler, on en a parlé partout, l’échec de la loi sur le CO2 ou le refus du Conseil des Etats de responsabiliser les multinationales basées en Suisse sur les dégâts, entre autres environnementaux, produits par leurs filiales à l’étranger.

Ne nous laissons pas éblouir par la magnifique mobilisation d’une partie des jeunes: dans les faits, le gros de la population continue à se comporter sans grands égards pour l’avenir de la planète, et c’est bien le système qui l’y encourage. Faisons ce que nous pouvons, essayons de gérer nos contradictions et de donner l’exemple, mais ce sont des gouttes d’eau dans la mer. La mer au large de La Rochelle, pour nous entendre. Noire.

Egalité des sexes et avenir de la planète: c’est la volonté politique qui manque

Cette fin d’hiver 2019, l’inégalité des sexes et le réchauffement climatique sont au coude-à-coude dans l’occupation de l’espace médiatique. Nul ne peut plus ignorer que la domination des hommes sur les femmes se porte encore très bien sur la planète, et que par contre la planète elle-même se porte de plus en plus mal. Ce qu’il serait intéressant de dire plus souvent et plus clairement, c’est que le mouvement écologiste et le mouvement féministe se heurtent essentiellement au même obstacle, l’absence de volonté politique.

L’idéologie de la mise à sac des ressources naturelles n’est pas aussi ancienne et universelle que le patriarcat, mais en l’état actuel de notre civilisation occidentale elle est à peu près aussi difficile à extirper. Dans les deux cas, une vision dramatiquement myope et à court terme des intérêts de l’économie freine le passage des discours aux actes. Le slogan «le privé est politique» a été inventé par les féministes, au début des années 1970, mais maintenant ce n’est pas autre chose que disent, avec d’autres mots, les citoyennes et citoyens qui exigent des mesures énergiques pour éviter le désastre écologique : l’appel à des comportements individuels responsables peut avoir quelques effets sympathiques, mais il ne suffit de loin pas – c’est à vous, les décideurs et les décideuses, de modifier radicalement votre manière de gérer le monde. Quand vous aurez cassé net le système qui permet aujourd’hui de prendre l’avion pour le prix de trois pizzas, vous verrez que nous nous en passerons, de nos week-ends low cost.

Pour réaliser l’égalité des sexes dans le monde du travail, il faut des mesures coercitives contre la discrimination salariale et des congés parentaux identiques pour le père et la mère, le reste c’est du blabla. Et pour stopper la destruction de la biosphère, avec les conséquences sociales qui vont avec, il faut pénaliser financièrement, notamment fiscalement, les modes de production et de consommation basés sur la recherche sauvage du profit et le gaspillage – là aussi, le reste c’est du blabla. Une autre économie est possible, plus juste, plus humaniste et aussi, oyez oyez, plus performante. Mais la politique devrait reprendre la main, au lieu de se cacher hypocritement derrière la glorification de la liberté du renard dans le poulailler.