Gouttes d’eau et marée noire

Il y a quelques jours, j’ai commis une mauvaise action. Oh, je vous assure, pas de gaîté de cœur, cela m’a pris quelques heures de tourment moral pour me décider à faire cette vilaine chose : organiser un aller-retour de deux jours en avion (oui, en avion) pour une destination juste inférieure aux 1200 kilomètres en-dessous desquels tout individu doté d’un minimum de conscience écologique se doit de privilégier le train. Pas pour un week-end all inclusive, non, pour une obligation sérieuse dont la date n’est pas compatible avec un séjour plus long. J’ai choisi de résister aux charmes de la compagnie low cost qui me souriait de toutes ses dents oranges et j’ai pris une compagnie nationale plus chère. Mais tout de même, c’est un peu la honte.

Des mauvaises actions, en fait, j’en commets tous les jours. Figurez-vous que je continue à m’acheter des mouchoirs en papier, agents destructeurs des forêts boréales, au lieu de me coudre, à mes moments perdus, de jolis mouchoirs en tissu, comme me l’a suggéré il y a quelque temps Greenpeace. Et ce matin même, à la Migros, je me suis laissé tenter par des carottes fines et juteuses, certes bio et «de la région», mais préemballées (aïe !) au lieu de remplir mon petit sac en filet réutilisable de carottes en vrac énormes et à l’aspect ligneux.

Allez, je me moque, surtout de moi-même, et en réalité, des petites choses pour le climat, à mon échelle, j’en fais pas mal ; mais je dois avouer que l’antienne du «changement des comportements individuels» commence à me courir sur le fil, face à la schizophrénie d’une partie de celles et ceux qui nous gouvernent – la majorité, en fait, puisqu’ils et elles arrivent à bloquer presque toutes les mesures politiques qui nous permettraient de prendre un vrai tournant pour tenter d’assainir notre terre malade.  Pas besoin de rappeler, on en a parlé partout, l’échec de la loi sur le CO2 ou le refus du Conseil des Etats de responsabiliser les multinationales basées en Suisse sur les dégâts, entre autres environnementaux, produits par leurs filiales à l’étranger.

Ne nous laissons pas éblouir par la magnifique mobilisation d’une partie des jeunes: dans les faits, le gros de la population continue à se comporter sans grands égards pour l’avenir de la planète, et c’est bien le système qui l’y encourage. Faisons ce que nous pouvons, essayons de gérer nos contradictions et de donner l’exemple, mais ce sont des gouttes d’eau dans la mer. La mer au large de La Rochelle, pour nous entendre. Noire.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.