Avec des anciens collègues journalistes, nous discutions il y a quelques soirs, en finissant les bouteilles, d’un sujet qui nous préoccupe tous, l’avenir des médias (c’était peu avant les deux annonces successives de restructurations au sein du groupe Tamedia, mais ça ne change rien). J’ai avancé une opinion que personne ne semblait partager : les médias privés, c’est comme la culture, sans financements non commerciaux, ils ne pourront bientôt plus remplir la mission qui leur avait été classiquement dévolue, contribuer à la formation d’opinions éclairées et au débat démocratique dans la société.
Ce qui dérangeait mes interlocuteurs, c’était le rapprochement entre les médias et la culture, mais je n’ai pas très bien compris pourquoi. Le système culturel est tout aussi consubstantiellement dominé par la recherche du profit que le système médiatique. Sans les subventions étatiques et para-étatiques, le mécénat et certains organismes soucieux du bien public (fondations etc.), certaines formes de culture auraient déjà complètement disparu du paysage : celles qui ne caressent pas le public dans le sens du poil et pour lesquelles, logiquement, le gros du public n’est pas disposé à payer. Or, la culture a une vocation par certains aspects similaire à celle des médias : secouer la paresse du regard que nous portons sur le monde, provoquer des émotions plus subtiles et plus signifiantes que celles conventionnellement répertoriées.
S’agissant des médias, le regard paresseux, c’est celui qui cultive la méconnaissance des faits un tant soit peu cachés, qu’ils soient proches ou lointains. L’écrasante majorité des faits que nous devrions connaître pour réfléchir avec un minimum de pertinence sur l’état du monde, ou de notre quartier, nous ne les connaissons pas, nous trouvons plus confortable de ne pas les connaître, nous ne voulons pas payer pour les connaître, et la logique de rentabilité des éditeurs nous encourage à suivre la pente de l’ignorance. Certes, la différence avec la culture, c’est que dans les médias il ne s’agit pas d’assurer la survie de formes d’expression de qualité minoritaires, mais bien de maintenir ou de réintroduire la qualité dans l’information majoritairement consommée par la population. Ce qui pose, entre parenthèses, la question plus générale de la déculturation massive de ladite population, qui a d’autres causes que les médias traditionnels. Mais quoi qu’il en soit, est-ce vraiment au sein du système éditorial tel qu’il est qu’on peut trouver, à coups de restructurations, un embryon de solution ?
Je n’ai pas une opinion arrêtée sur le financement public partiel des médias privés. L’argument selon lequel aider les éditeurs de presse reviendrait à enrichir des riches avec l’argent des contribuables n’est certainement pas dépourvu de fondement. Mais alors, ne faudrait-il pas tout simplement retirer les médias aux éditeurs ?