Sur Vent d’Ouest, le court métrage qui s’est fait passer pour un manifeste filmique de Jean-Luc Godard.
La reconquête par l’Etat de la ZAD nantaise, avec son lot d’images contrôlées, se prêtait admirablement à un travail d’appropriation comme Jean-Luc Godard en a l’art : retourner contre elle et par la parole l’image officielle d’une opération policière filmée par un drone.
C’est très certainement pour cela que ce petit film engagé a pu se faire passer pour une œuvre du grand cinéaste retranché à Rolle. Godard n’en est pas l’auteur, mais ça aurait pu être le cas.
Dans la première séquence qui occupe une bonne partie de ce film d’un peu moins de cinq minutes, on assiste à la destruction d’une structure en bois reconstruite la veille. La ferme du Gourbi avait été assemblée et portée à bout de bras par des milliers de sympathisants de la ZAD, venus témoigner leur soutien un dimanche printanier d’avril. Leur geste festif se voulait une réponse ferme à la violence d’une destruction qu’ils jugeaient aberrante. La ferme, à demi reconstruite, sera à nouveau détruite dès le départ des milliers de manifestants, dans un empressement d’un rare nihilisme. Cette ferme reconstituée était un acte de civisme participatif d’une grande clarté. La démolir à nouveau, c’était s’attaquer à sa portée symbolique, c’est-à-dire à la démocratie en acte.
La séquence d’un fourgon blindé fonçant sur une structure qui incarne l’esprit collectif, est commentée par le propos tranchant de Jean-Luc Godard sur l’agonie sans fin du capitalisme.
Le film n’est peut-être pas de lui, mais le propos l’est intégralement, et la greffe prend.
Montage : la charge du fourgon blindé de Notre Dame des Landes me rappelle une autre charge, lancée sur une grille tenue par des étudiants en 1973 à l’école polytechnique d’Athènes.
Il n’y a pas eu de morts à Nantes comme il y en a eu à Athènes en ce funeste 17 novembre, mais l’acte procède de la même brutalité consistant à s’acharner avec des moyens militaires contre des idées et ceux qui les portent.
Que se passe-t-il exactement à Nantes ? À quoi l’Etat fait-il la guerre ? L’argument qui consiste à dire qu’il s’agit de défendre la propriété privée est un mensonge digne de la rhétorique trumpienne. Les terres de Notre Dame des Landes, expropriées, n’appartiennent à personne si ce n’est à tous les contribuables qui ont financé l’expropriation par l’impôt. Ces terres publiques ne pouvaient-elles pas faire l’objet d’un projet pilote d’agriculture écologique collective ?
L’initiative de ces quelques centaines de jeunes et moins jeunes, de vivre par leurs propres moyens sur une terre qu’ils ont arraché au néant, devrait faire l’objet d’un vaste soutien régional et européen. Ces jeunes qui cultivent de la rhubarbe, élèvent des moutons et des chèvres collectivement, devraient être félicités par la préfecture et non poursuivis.
Un tel projet serait parfaitement en phase avec les aspirations écologiques de la plupart des métropoles et des régions européennes. Pourquoi la préfète de Loire Atlantique manque-t-elle une si belle occasion d’être la pionnière dans un projet d’écologie politique qui oserait aller au-delà du greenwashing et des animations pseudo-environnementales ?
La préfète n’est peut-être pas libre de faire ce qui est bon pour sa région. Elle est peut-être prisonnière de la stratégie démagogique d’un gouvernement soucieux d’occuper le terrain à droite, où les choses semblent plus propices au changement.
La deuxième séquence du court film est censée incarner l’espoir. Elle montre la tentative désespérée d’atteindre un drone de la gendarmerie avec une roquette artisanale. La défense anti-aérienne de la ZAD tire et manque le drone qui survole ses positions. Le caractère désespéré de ce tir cristallise toute la légitimité d’une résistance, vouée à être écrasée. C’est peut-être parce qu’il échoue que ce tir est majestueux.
La séquence met en scène l’inégalité des armes et la hargne d’atteindre un ennemi qui fait un usage disproportionné de la force. Il y a dans ces quelques secondes la beauté d’une bataille perdue d’avance mais menée avec insolence. Il y a dans ce tir l’éclat d’une cavalerie lancée contre un barrage de feu infranchissable.
Ce tir de missile ne va pas sans en rappeler un autre, tout aussi inoffensif, contre l’ambassade américaine à Athènes dans la nuit du 12 janvier 2007. Ce soir-là, le tireur embusqué manquait de quelques mètres l’aigle des Etats-Unis sur la façade du bâtiment austère, œuvre tardive de Walter Gropius. Acte manqué contre le symbole d’un pouvoir indélogeable.
La ZAD est un écosystème végétal et humain d’une extrême fragilité, que 2500 gendarmes avec leurs armes et leurs plateaux repas ont irrémédiablement perturbé. Il y plane ces jours-ci la tristesse des champs de bataille après la défaite.
Ce n’est plus dans Vent d’Ouest mais sur place que se déroule cette petite séquence que je me permets d’ajouter au tableau. Celle d’un Zadiste qui s’avance seul dans un champs en jouant de la trompette face à une ligne de fourgons de la gendarmerie qui s’étend sur plusieurs kilomètres. Cette scène surréaliste s’est déroulée le lundi 23 avril. Elle s’ajoute à d’autres, comme celle d’un jeune venu contrer les projectiles de gaz lacrymogène avec sa raquette de tennis : deux scènes parmi les centaines du même ordre qui se jouent quotidiennement depuis que l’Etat a levé la main sur cette utopie d’écologie radicale.
Bonjour !
je me permets quelques corrections :
ce n’était pas la ferme des 100 noms qui est ici reconstruite, mais celle du Gourbi.
Ce ne sont pas des drones, mais bien des hélicoptères de la gendarmerie (il y a bien des drones qui survolent la zone aussi)
Merci !