La privatisation du logement social parisien en marche


Après Londres et Berlin, Paris. Fallait s’y attendre : la capitale française sera la prochaine grande ville européenne à privatiser son parc immobilier social.

La tentation était grande pour un gouvernement réformateur comme celui d’Emmanuel Macron.
Comment ne pas tirer profit de cette manne inexploitée, quand on est régulièrement accusé par les premiers de la classe (les Allemands) de dépassement budgétaire ?
20% du logement de la capitale française est social, détenu par des bailleurs publics. A 10 000 euros le m2 en moyenne, ça a donné des idées à certains.

Voilà, mais comment faire pour réformer un système qui fonctionne ? Comment mettre en difficulté des organismes rentables, qui réinvestissent systématiquement leurs plus-values dans la création de nouveaux logement sociaux ? Comment fragiliser des opérateurs dont l’action vitale garantit le maintien d’une certaine mixité sociale dans un contexte immobilier très agressif où la spéculation se traduit par des hausses de 5 à 10% annuelles et cela depuis bientôt vingt ans ? Faut-il rappeler que cette hausse perpétuelle a déjà altéré la composition sociologique de l’agglomération, poussant une grande partie de la classe moyenne vers la périphérie ?

Pour bien signifier le désengagement de l’Etat, l’équipe gouvernementale a commencé par une baisse des subventions publiques à ces organismes. Dans un deuxième temps, elle s’apprête à définir un cadre législatif propice à la privatisation. Pour atteindre cet objectif, les golden boys de Macron semblent avoir eu une idée de génie !
La loi Elan qui sera débattue à partir du 28 mai est en partie basée sur un projet expérimental et militant : « Le permis de faire ».
Conçu initialement pour favoriser des démarches expérimentales, écologiques et participatives autour de l’habitat social, le « permis de faire » sera transformé, avec un cynisme d’une rare obscénité, en cadre d’une libéralisation sans précédent de la législation qui régit de logement social. La dialectique orwellienne qui nomme «paix» la «guerre» et «amour» la «haine», caractérise cette mutation d’une loi progressiste en dérégulation néolibérale.

La formule semble toute prête : vous transformez les plus fortunés des locataires du parc en propriétaires de leur logement (pour avoir la paix et ne pas trahir sa base électorale) et vous cédez progressivement les bailleurs sociaux à des fonds privés. L’expérimentation qui se voulait architecturale et culturelle sera tout simplement financière avec la possibilité offerte aux grands groupes d’augmenter leurs marges en faisant tout et n’importe quoi. Le logement social ne disparait pas, mais sa nature est sévèrement altérée.
La précieuse plus-value de la location sociale parisienne servait jusqu’à présent à deux choses : étendre le parc immobilier intra-muros, et aider des villes de la périphérie confrontées à des situations de paupérisation, ainsi qu’à des défaillances de paiement. Dorénavant elle servira à enrichir des portefeuilles d’actionnaires.
Pourtant, l’utilité de l’action des bailleurs sociaux dans le contexte parisien ne faisait aucun doute. Ils étaient le dernier rempart face à la transformation de la ville en ghetto pour investisseurs fortunés. Le désastre de certains arrondissements dépeuplés d’habitants, détenus par des riches Américains, devrait pourtant avertir sur l’importance d’un rééquilibrage permanent par une offre sociale exponentielle.

La ville de Paris travaille depuis longtemps dans ce sens, s’efforçant de casser l’homogénéisation due à la cherté du logement par un programme d’acquisition et de transformation d’immeubles dans des quartiers du centre. Forte de la santé financière de ses organismes, la ville s’est même lancée ces dernières années dans une surprenante compétition avec les promoteurs immobiliers pour extraire de leurs griffes des biens qu’elle ajoutait à son parc social. La rentabilité de leur activité le permettait, leur caractère public et non lucratif les y astreignait. C’est cette mécanique bien rodée que souhaite enrayer l’équipe Macron.

Dans une ville ou le logement social a permis de maintenir la classe moyenne inferieure dans un contexte immobilier qu’elle n’aurait pas pu affronter, détruire ce système revient à opter pour une dérégulation comme celle qui a fait de Londres une ville inabordable. L’ironie de l’histoire est que la loi qui rend possible cet incroyable dépeçage est un projet progressiste et expérimental visant à permettre l’innovation constructive. Le génie (maléfique) des gens de Macron est d’oser transformer cet élan de liberté et de démocratie de la fabrique urbaine en machine à sous d’une dérégulation néolibérale.

Christophe Catsaros

Christophe Catsaros est un critique d'art et d'architecture indépendant. Il a notamment été rédacteur en chef de la revue Tracés de 2011 à 2018. Il est actuellement responsable des éditions du centre d'architecture arc en rêve, à Bordeaux.

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