La place de la République, nouveau centre politique de Paris

 

 

 

 

Est-ce d’avoir vu autant de mobilisations citoyennes, royalement ignorées par les gouvernements auxquels elles faisaient face, qui permet encore à certains d’affirmer que la dernière en date, contre la loi Travail en France, n’aboutira pas plus que les autres ?

Ni les Indignés de la Puerta del Sol à Madrid, ni les manifestants de la place Tahir au Caire, ni les rassemblements quotidiens à Syntagma pendant les premiers mois de la crise à Athènes, n’auront permis à la rue d’avoir le dernier mot. Si la reine des manifestations ignorées reste la réaction au déclenchement de la Seconde guerre du Golfe, (Bush / Blair vs. des dizaines de millions de manifestants dans les principales métropoles du monde entier), l’indifférence semble être devenue la stratégie habituelle des gouvernements européens face à la mobilisation de leurs citoyens.

Certains pensent que le mouvement porté par les étudiants et les lycéens en France connaîtra inévitablement le même sort. Ils se disent que le gouvernement est allé trop loin pour revenir en arrière, et que l’électorat de gauche devra tôt ou tard se faire à l’idée que les temps ont changé et que l’ère de l’Etat providence façon Trente Glorieuses est définitivement révolue. Le rapport de force dans ce bras de fer est le même que celui qui a été observé dans d’autres capitales du sud de l’Europe ces dix dernières années. Le retour des rapports salariaux au capitalisme bareback du 19e siècle semble inéluctable.

Nuit debout

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S’il est toujours temps de prendre les paris concernant la mobilisation actuelle, on peut déjà être certain que les retombées du mouvement, quel qu’en soit l’avenir, porteront au moins au-delà de ce qui est revendiqué aujourd’hui. Les assemblées générales et populaires, les veillées de jeunes et de moins jeunes qui ont lieu sans interruption sur la Place de la République à Paris depuis que des milliers de personnes ont répondu à l’appel du collectif « Nuit debout » le 31 mars dernier, pourraient apporter autre chose encore que ce qu’elles réclament au nom de la convergence des luttes. C’est un aspect qui échappe aux conseillers qui s’efforcent de rassurer l’exécutif en rappelant que le mouvement est minoritaire parmi les étudiants.

Si toutes les universités et tous les lycées ne sont pas en grève, une majorité de Français se dit déjà sympathisante de la mobilisation contre le projet de loi El Khomri. Et cela n’est pas juste une affaire de sondages d’opinion et de rhétorique conjoncturelle. C’est une réalité maintes fois constatée : des critères émotionnels sans rapport direct avec les enjeux du rassemblement peuvent venir peser dans la balance. Ainsi, il n’est pas rare qu’une mobilisation parvienne à puiser des forces de domaines inattendus, comme par des effets de miroitement avec d’autres évènements, ou encore l’identité de certains espaces publics.

Que la place de la République ait été le haut lieu de la mobilisation affective de tous les Français après les attentats de janvier 2015 n’est peut-être pas sans rapport avec la vague de sympathie que s’attirent les veilleurs d’aujourd’hui. Les manifestations ont une mémoire qui peut se transmettre d’une mobilisation à la suivante. Place de la République, on peut entendre : “je suis zadiste, je suis paysan, je suis air france, je suis goodyear, je suis sans papiers, je suis intermittent, je suis professeur, je suis migrant, je suis la justice, je suis résistant, etc…”

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Le nouveau coeur politique de la ville

Ce qui est certain, c’est que depuis deux ans, la place de la République est en train de se transformer en lieu symbolique de l’idée même de mobilisation citoyenne. En 2014, la place a été drastiquement remodelée. Dédiée jusqu’alors à 80% à la circulation automobile, elle a fait l’objet de travaux qui consistaient à créer un grand espace piéton au centre par la réduction considérable de la voirie destinée aux voitures. La ville de Paris a tout simplement fait de la place là où il n’y en avait pas.

Depuis les rassemblements spontanés qui ont fait suite aux attentats de Charlie Hebdo, la place n’a jamais cessé de fonctionner comme un point de ralliement dans l’inconscient collectif de la ville, et à certains égards du pays tout entier. La République est devenue le lieu d’une veille perpétuelle : à la fois monument informel aux victimes des attentats et point de ralliement de ceux qui veulent encore y croire.

Les 52% de Français qui soutiennent la mobilisation, c’est le transfert inconscient d’une charge émotionnelle de la majorité silencieuse et indifférente vers une minorité combattante, dont elle ne partage pas nécessairement les idées.

La loi sera peut-être votée, et les slogans toujours très inventifs à ce moment de l’année (« Rose promise, chôme dû », « Vous pensiez vraiment qu’on allait rester sur twitter ? », « Regarde bien ta Rolex, c’est l’heure de la révolte »), effacés au Karcher. Ce qui ne sera pas effacé, c’est la façon dont cette place, notamment l’usage qui en est fait par ceux qui s’y rendent quotidiennement, est en train de déplacer le cœur politique de la ville. La République est devenue un lieu où les gens se regroupent pour réfléchir à ce qui pourrait advenir s’ils décident d’agir ensemble. C’est le point de départ de toute révolution.

Christophe Catsaros

Christophe Catsaros est un critique d'art et d'architecture indépendant. Il a notamment été rédacteur en chef de la revue Tracés de 2011 à 2018. Il est actuellement responsable des éditions du centre d'architecture arc en rêve, à Bordeaux.

2 réponses à “La place de la République, nouveau centre politique de Paris

  1. Cher chroniqueur,

    Il y a effectivement un paradoxe à constater que les manifestants investissent (les psychiatres diraient ‘projettent’) par leur exhubérance toutes sortes de frustrations fort peu en ligne avec le projet de loi de Mme El Kohmri. On peut sans doute évoquer la tradition française du défouloir dans la rue, la contradiction flagrante dans l’idéologie véhiculée en haut lieu selon laquelle les ‘riches’, les entrepreneurs, les patrons, les grandes sociétés sont ‘coupables’ alors que le ‘peuple’, les ‘travailleurs’ sont opprimés et doivent exiger des compensations…

    La ‘veille perpétuelle’ me paraît un mot creux, un de ces concepts ‘fourre-tout’ qui agite la blogosphère et évite de réfléchir sérieusement au projet social, aux fondements de la prospérité, aux petits accommodements des politiciens. La découverte que plusieurs des dirigeants du Front National qui revendiquent les valeurs et traditions nationales utilisent les facilités des sites financiers d’outre-mer pour échapper à l’impôt dans leur pays ne devrait donc pas nous étonner…

    Cordialement. GVD

  2. Il est quand même attristant qu’au XXI ème siècle, la démocratie » française semble se résumer à ces mouvements de rue. Il est certain qu’en Suisse le référendum d’initiative populaire permet l’expression des citoyens qui ne se sentent pas ou mal représentés. Il serait souhaitable qu’il soit introduit en France. En attendant, quand on a des règles constitutionnelles, il faut les respecter car autrement on tend vers l’anarchie. Il n’est pas sain qu’une minorité active impose son dialogue avec l’exécutif au-dessus de la représentation nationale. Accepter cette dérive c’est réduire le pouvoir des représentants déjà faible donc affaiblir encore le régime parlementaire. On sait en France où cette dérive peut conduire.
    Sur le fonds, il faut bien voir que les revendications du mouvement « Nuit debout » sont des revendications du XIX ème siècle (lutte des classes, anticapitalisme !) exprimées par des gens qui sont en dehors du monde réel, lycéens ( !) étudiants et fonctionnaires. C’est peut-être romantique mais ce n’est pas ce mouvement qui pousse les idées dont la France a besoin pour sortir de sa sclérose.

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