A Cologne, un air de déjà vu.

Cologne en 1945.

A ceux qui tenteraient trop rapidement de mettre les évènements de Cologne, pendant la nuit du nouvel an, sur le compte d’une insurmontable fracture civilisationnelle ou pire raciale, nous ne pouvons que recommander la lecture des Nuits de Paris de Retif de la Bretonne, dont voici un extrait.

La ressemblance du récit avec celui des femmes agressées n’excusant rien, elle permet tout au plus de mettre ces faits sur le compte de l’instinct grégaire, et d’une certaine ignominie qui relève du genre.

 

Le feu de la Saint-Jean

 

J’aime quelquefois autant la folie des anciens usages ou leur simplesse bonace, pourvu qu’ils ne soient pas nuisibles, que la sagesse des nouveaux.

C’était le soir de la veille de Saint-Jean. Tout le monde allait à la Grève voir tirer un feu mesquin ; du moins tel était le but du grand nombre. Mais certaines gens en avaient un différent. Les filous regardaient cette fête comme un bénéfice annuel ; d’autres, comme une facilité pour se livrer à un libertinage brutal. Toutes les occasions d’attroupement, quelles qu’elles soient, devraient être supprimées, à cause de leurs inconvénients. Du Hameauneuf m’accompagnait, sans que je le susse. Je l’aperçus à l’entrée du quai de Gesvres. Nous marchâmes ensemble : ” Si vous voulez observer, me dit il, il faut un peu vous exposer. Ce n’est pas à la lisière de la tourbe que rien se passe, avançons.” Je sentis qu’il n’avait pas tort, et quelque répugnance que j’y eusse, je perçai la foule à la suite de mon conducteur. On me parut d’abord assez tranquille. Mais, en écoutant la conversation, je compris qu’un groupe d’ouvriers orfèvres et horlogers de la place Dauphine ne formait un cercle, et ne rassemblaient adroitement, au centre des jeunes personnes assez jolies, que pour les rendre victimes de l’imprudente curiosité qui les aveuglait. (…)

Les imprudentes renfermées dans les différents cercles qu’ils formaient, me parurent enlevées les unes à deux pieds de terre, les autres couchées horizontalement sur les bras ; quelques unes étaient au milieu d’un double cercle. Toutes étaient traitées de la manière la plus indigne et quelquefois la plus cruelle. Leurs cris n’étaient pas entendus car les polissons choisissaient les instants de la chute des baguettes et que dans les autres moments ils poussaient eux mêmes des cris qui couvraient ceux de leurs victimes.

 

Les Nuits de Paris, ( extrait ), Retif de la Bretonne , 1788

Christophe Catsaros

Christophe Catsaros est un critique d'art et d'architecture indépendant. Il a notamment été rédacteur en chef de la revue Tracés de 2011 à 2018. Il est actuellement responsable des éditions du centre d'architecture arc en rêve, à Bordeaux.

Une réponse à “A Cologne, un air de déjà vu.

  1. Merci pour cet éclairage très parlant. Notons tout de même que deux siècles séparent ces semblables “techniques”….
    Cordialement

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