Grâce à une petite recherche dans le Dictionnaire Historique de la Langue Française (Le Robert), j’ai compris pourquoi le mot naturalisation est utilisé (notamment dans un des objets sur lesquels nous voterons le 12 février) pour désigner le processus par lequel on obtient la nationalité d’un pays. Nature et nation ont la même origine étymologique, à savoir le mot latin qui signifie naissance. J’aurais dû le savoir, puisque j’ai fait du latin, mais je n’y avais jamais réfléchi.
Cette découverte a un peu calmé mon agacement. Pourquoi diable le lexique en vigueur assimile-t-il l’accès à des droits (ceux qui sont inhérents à la citoyenneté) à l’acquisition d’une supposée nature (la nature suisse, par exemple, ha ha ha) qui n’a jamais existé et n’existera jamais ? L’étymologie m’a remis les yeux en face des trous. D’après Edgar Morin, l’être humain est culturel par nature et naturel par culture. L’institution éminemment culturelle qu’est le droit fait dépendre la possession de la nationalité d’une donnée naturelle, la naissance, dont la portée est cependant interprétée culturellement : selon les systèmes juridiques, ce qui compte, c’est l’endroit où on est né ou le passeport des parents qui nous ont fait naître. Donc, ouf, l’affreuse notion de naturalisation ne renvoie pas à une quelconque mutation génétique permettant d’acquérir une naturelle helvétitude ; elle permet seulement de faire «comme si» (rien de plus culturel que le «comme si» !) l’individu en question possédait de naissance cette fameuse nature suisse en soi inexistante.
Voilà pour la satisfaction intellectuelle. Mais politiquement, c’est une autre paire de manches, tant il est vrai que les opposants à la réforme semblent entretenir un mythe naturaliste, selon lequel la citoyenneté, ça s’hériterait comme la taille des pieds et les grains de beauté. A moins que dans leurs fantasmes le vrai citoyen suisse (ou la vraie citoyenne, mais ça, c’est plus récent), ne corresponde à l’autre sens de naturaliser : empailler un animal mort pour le conserver dans un musée.
Texte lumineux, par culture et par nature
Mais pourquoi faut-il toujours que vous soyez tourneboulée en constatant que presque tous les us et coutumes humains, et ce d’ailleurs dans toutes les cultures, toutes les religions et sur tous les continents, sont toujours issus de représentations mentales opposées à celles tellement fugaces qui ont intéressé votre génération de baby boomer féministe post soixante-huitarde romande?
Personnellement “das ist mir Bahnhof”.
Étant d’instinct conservateur, essentialiste, et totalement allergique à cet univers mental, à mes yeux stupide (sauf votre respect, et même si j’apprécie votre style) il me semble que toutes ces idées aberrantes (dont le pompon sont les gender studies de miss Judith Butler, Simone de Beauvoir, Hélène Cixous et autres sorcières) reflètent en somme un refus fondamental de la notion même de nature.
Bien sûr, beaucoup de modes de vie et de comportements sont le produit d’une culture, (ou d’une civilisation, mais n’entrons pas dans ce débat.) Seulement chaque culture, chaque civilisation s’est attachée à résoudre des problèmes inhérents à la nature humaine, qui existe malgré tout. Il y a des cultures qui ont choisi des solutions patriarcales. C’est le cas de la nôtre. D’autres ont été matriarcales. Est-il concevable de n’être ni l’un ni l’autre? On peut en douter. Mais aujourd’hui c’est une manie de vouloir y parvenir à n’importe quel prix, au lieu de faire ce qu’on a toujours fait, c’est à dire atténuer la dureté du choix qui avait été fait en faveur, soit du patriarcat, soit du matriarcat. Pourquoi pas? Mais on va encore plus loin. On prétend nier qu’il existe une différence naturelle entre les hommes et les femmes. C’est une impasse.
Existe-t-il une nature française, allemande, italienne, helvétique? Non, bien sûr. Mais il est naturel que les peuples préservent leur identité, leur sécurité, leur homogènéité, sous peine de conséquences comme celles qu’on a vues à Londres l’autre jour. Donc si on veut aller à l’encontre de cette réalité naturelle, on s’expose à de graves déconvenues – c’est un euphémisme. Dans toute l’histoire des migrations humaines il n’y a pas de contre exemple.
Il est donc “naturel” que la racine “nature” se retrouve dans l’étymologie des mots ayant trait à la “naturalisation”. Le français classique (je n’ai pas le Cayrou sous la main) n’employait pas le mot naturalisation, mais les régnicoles avaient la “naturalité” française. Beaucoup de soldats et officiers suisses, l’obtenaient. Naturellement.
Si l’on veut adoucir un peu la dureté de la condition humaine, on ferait mieux de ne pas ignorer complètement la nature.