Lettre ouverte à Emmanuel Macron

Il vous est probablement impossible de saisir la vérité de ce qui se produit ces jours-ci en France. Permettez-moi de vous éclairer sur un point très particulier : les effets de votre extrême fermeté sur la jeunesse. Cette génération — dite génération COVID — que l’on disait sacrifiée, que l’on a confinée, sortie d’une pandémie pour la plonger dans l’angoisse d’une guerre mondiale, obligée de suivre des cours à distance dans des chambres de 9m2, cette génération que l’on croyait perdue dans les méandres du numérique, indisposée à la vie, celle à qui on ne propose de dialoguer qu’avec des moteurs de recherche et des intelligences artificielles, cette génération que l’on croyait dépressive, molle, dont la socialité se déploie principalement à travers les écrans que nous leur avons mis entre les mains dès le plus jeune âge, eh bien cette génération apprend à vivre.

Entendez bien. Dans les assemblées générales, dans la rue, les manifestations, à l’université, dans les écoles d’architectes occupées, dans les facultés transformées en quartier généraux d’une insurrection. Ils se réunissent par milliers. Que dis-je ? Par millions chaque semaine pour crier leur colère ; ils débordent d’inventivité pour dessiner votre caricature et celles de vos collaborateurs ; ils chantent et dansent et croient pouvoir renverser un président dont les méthodes et les décisions leur paraissent iniques. Semaine après semaine, ils construisent leur propre identité collective. Nous pensions ce genre de sursaut perdu à jamais, mais vous l’avez rendu possible.Vous rendez-vous compte de l’importance de la situation ? Aurez-vous le courage d’aller jusqu’au bout et de couronner leurs espoirs d’une victoire, même symbolique ? Aurez-vous la tragique sagesse de vous effacer pour leur donner raison, même s’ils ont tort selon vos critères ?
Ce n’est plus une question d’arguments et de contre-arguments, de récit de droite contre vision de gauche. Tout cela est bien peu de chose face à ce qui est en train de s’accomplir, et qui n’est rien de moins que la formulation d’un possible pour la génération à venir. D’une poursuite de la vie en dehors des dispositifs virtuels. Aurez-vous la clairvoyance de faire un pas en arrière pour permettre à ces jeunes de poursuivre leur gigantesque pas en avant ? Ces jeunes ne referont peut-être pas le monde. Tout au plus l’empêcheront-ils de sombrer dans l’insignifiance et le désespoir auquel nous l’avions voué. Ayez le sens du sacrifice à la hauteur de ce qui est en train de se produire. Pour nous tous.

Christophe Catsaros

Christophe Catsaros est un critique d'art et d'architecture indépendant. Il a notamment été rédacteur en chef de la revue Tracés de 2011 à 2018. Il est actuellement responsable des éditions du centre d'architecture arc en rêve, à Bordeaux.

15 réponses à “Lettre ouverte à Emmanuel Macron

  1. Euh, une jeunesse qui n’a pas encore commencé à travailler et qui manifeste contre l’âge de la retraite à 64 ans qui les concernera dans plus de 40 ans avec un système de retraite qui sera très certainement totalement différent de celui actuel… Vous croyez sérieusement que cela fait sens ? Je pense plus qu’ils sont totalement manipulés.

    1. Mon dieu…. quand l’égoïsme est tel qu’il empêche de comprendre l’altruisme des autres……….. Que peut-on répondre à cela?
      Imaginer qu’ils ne manifestent pas pour eux-même mais pour une injustice qui ne les concerne pas vous passe complètement au dessus de la tête.

  2. Ces jeunes risquent fort d’être les futures victimes d’un éventuel abandon de cette indispensable (et courageuse de la part du Président français, qui aurait pu se contenter de passer la patate chaude à son successeur, puisqu’il ne peut de toute façon pas être, lui, réélu) réforme. Comment la France réaliserait-elle le miracle d’être la seule à parvenir à assurer la pérennité des futures retraites de ces jeunes sans augmenter dès aujourd’hui l’âge de la retraite, alors que la pyramide des âges tend à s’inverser et que pratiquement tous les pays européens envisagent de porter cet âge à plus de 65 ans (allant même jusqu’à 70 dans certains pays)? Mis à part la question démographique, il faut aussi prendre en compte l’allongement significatif de l’espérance de vie. Avec des gens vivant plus longtemps, un rapport actifs/retraités allant en se détériorant, il faut arrêter de croire au Père Noël en matière de retraites!

    1. Vous n’y êtes pas. ll ne s’agit pas des retraites. C’est un rejet fondamental de Macron et de tout ce qu’il incarne.

      1. @ Hà Hé: Hors sujet. Mon commentaire ne concernait pas la popularité ou non d’Emmanuel Macron, mais le fait que si la réforme en cause actuellement en France (dont les manifestants demandent bien le retrait, non?) est rejetée, ce sont les jeunes actuels qui en pâtiront plus tard. Pratiquement TOUS les pays européens ont déjà un âge de départ à la retraite plus tardif qu’en France et envisagent de l’augmenter encore. De nouveau, avec moins d’actifs par rapport aux retraités et un allongement de l’espérance de vie, soit on part à la retraite plus tard, soit il faut drastiquement augmenter les cotisations pour les actifs, soit les montants de la retraite seront sérieusement réduits, voire inexistants. Il n’y a pas de miracles en économie. La popularité du Président français est une autre question qui doit être résolue par les procédures électorales qui sont prévues pour ça dans une démocratie.

  3. En France, tout étudiants des sciences sociales se “doit” de manifester.
    Ce qui a changé, c’est que la gauche responsable est morte, il n’y a plus de relais politiques, ce qui entraîne une frustration. Mélenchon, est juste vu comme un clown utile qui sert à semer le chaos dans un monde de droite. Son programme n’a pas de sens, pas plus que celui de l’extrême droite qui tous les deux nient la réalité.

    Les étudiants de gauche d’aujourd’hui sont orphelin politiquement.
    S’ajoute une société qui est beaucoup plus à droite, ce qui appuie le sentiment d’isolement.

    Macron n’a pas la main, d’autant plus que les mouvements n’ont rien à voir avec la loi sur les retraites.
    Seul la reconstruction d’une gauche responsable qui prends le relai des idées de ce genre de milieu peut calmer.

    Les socialistes ont souvent été d’anciens troskistes, marxiste, etc.. Rien n’a vraiment changé sauf que la gauche responsable existait.
    Le choix des étudiants de gauche d’aujourd’hui, c’est un vieux politicien qui se la joue Castro ou Chavez, ou une gauche transparente qui se laisse mourir dans la NUPES.

    Cette jeunesse doit se prendre en main pour construire une gauche responsable. Parce qu’au départ de Macron, le malaise de ces étudiants de gauche persistera.

    En résumé, ce n’est pas la faute à Macron, mais à la gauche qui à perdu une vision d’avenir pour une vision d’intérêts communautaristes.
    Cette gauche n’offre pas d’espoir pour ces étudiants, elle se contente d’être agressive et sans idée. Moins il y a d’idées plus elle est stupidement agressive.

  4. Je crois que vous n’avez pas tout compris : actuellement , en France , on cotise 42 ans et à 62 ans , on est en “retraite ” . L’espérance de vie en France ( homme et femme confondus) est de 82 ans . Donc la Société française vous verse une pension pendant 20 ans d’inactivité ( quasi la moitié du temps de cotisation ) . Le modèle social peut-il le supporter sur le long terme ? Bien sûr que non , il va exploser avec la démographie : plus de vieux et moins de cotisants . En 1980 , France et Allemagne avaient un niveau de vie équivalent . Actuellement , l’Allemagne dépasse la France de 20% . La France ne travaille pas assez ( avec en plus les 35 h ) mais les Français sont dans le déni . Ils me font penser aux Anglais qui ont voté le Brexit en 2016 sans “savoir” et maintenant le regrettent .

    1. Allons, allons… Didier, vous êtes à côté de la plaque. Les retraites, tout le monde sait qu’elles ne seront pas payées. C’est acté. Ce qui se produit actuellement c’est une révolution antimacroniste. Il va devoir fuir en hélicoptère le pauvre garçon, avec son Jean-Michel.

    2. Prenez le temps de vous renseigner, vous avez le temps d’écrire ici, j’imagine donc que vous devriez avoir 35 minutes pour regarder la vidéo suivante :
      https://www.youtube.com/watch?v=Wxp__MZgwAI
      Tout n’est que politique. Il n’y a pas de vérité absolue en économie, il serait temps de le comprendre.
      Comment l’état vit-il avec 2 400 milliards d’euros de dettes? de la même manière qu’il pourrait, s’il le souhaitait, financer les retraites…

  5. Savoir écrire et être critique d’art ne signifie pas nécessairement qu’on a quelque chose à dire. Et là c’est le vide sidéral.

  6. Oui Monsieur, je partage votre avis, votre espoir.
    Moi aussi je ne vois pas que des gauchistes et des idiots. Ces jeunes savent compter comme tout le monde et ne se battent pas pour leur retraite, à laquelle d’ailleurs ils ne croient plus depuis longtemps. Ils se battent contre le 49.3 et tout ce que ça représente de glissement sournois vers l’autoritarisme. Ils se battent contre le paradoxe insensé des gains faramineux des lobbies pétroliers alors que la population peine à payer sa facture de chauffage. Ils se battent contre l’impuissance dans laquelle on essaie de les enfermer en les gavant jusqu’à la nausée de BFMTV, de reality shows, d’écrans, d’aculturation rampante etc etc … Ces jeunes sont dans la rue et non pas avachis sur un canapé. Nous les vieux, nous leur avons demandé d’énormes sacrifices pendant le covid pour sauver ce qui pouvait l’être de notre santé vacillante. À notre tour de les soutenir dans leur envie d’un monde meilleur, le leur. Et cela ne nous coûte rien puisque nos retraites sont assurées…

  7. “Entendez bien. Dans les assemblées générales, dans la rue, les manifestations, à l’université, dans les écoles d’architectes occupées, dans les facultés transformées en quartier généraux d’une insurrection. Ils se réunissent par milliers. Que dis-je ? Par millions chaque semaine pour crier leur colère ; ils débordent d’inventivité pour dessiner votre caricature et celles de vos collaborateurs ; ils chantent et dansent et croient pouvoir renverser un président dont les méthodes et les décisions leur paraissent iniques. Semaine après semaine, ils construisent leur propre identité collective.”

    Ils chantent et dansent, ils se réunissent par milliers – non, voyons, par millions et même chaque semaine dans les assemblées générales, dans la rue, dans les facultés transformées en quartiers généraux d’insurrection? Ils débordent d’inventivité pour dessiner quoi? La caricature d’un faciès reproduit ad infinitum dans la presse? Question originalité, peut faire mieux, non?

    Au fait, avec un emploi du temps aussi chargé, leur arrive-t-il encore d’étudier?

    Et penser à sa retraite avant même d’avoir commencé à travailler, n’est-ce pas vraiment révolutionnaire? Ou préparer son doctorat chez Papa et Maman à trente ans passés, n’est-ce pas renversant? Quant à déserter cours et séminaires pour communier via WhatSapp ou Twitter aux quatre coins du monde et construire son identité collective en y laissant ses empreintes numériques à disposition de toutes les flicatures cela ne relève-t-il pas d’un sens de la stratégie insurrectionnelle des plus affûtés? Et d’un héroïsme combatif sans pareil?…

    Pour avoir côtoyé mes camarades étudiant(e)s dans les années soixante, d’abord lors de la révolte estudiantine de Berkeley en 1964, réprimée par la police et prise d’assaut avec tirs à balles réelles par la Garde nationale à l’avènement de Ronald Reagan comme nouveau gouverneur de la Californie en 1967, puis à l’Odéon occupée et cernée par les CRS pendant le joyeux mois de mai 68 à Paris et enfin avoir suivi sur place, comme journaliste indépendant, deux des pires guerres dites de “libération” du Tiers-Monde, en Afrique de l’Ouest et dans le sous-continent indien, entre la fin des années soixante, la décennie la plus révolutionnaire du XXe siècle, jusqu’à la fin des “Trente Glorieuses”, je pourrais vous offrir un autre panorama de l’insurrection.

    Les étudiants de Berkeley, comme ceux de Paris ont été les grands perdants de la révolte. Eux qui pensaient avoir déboulonné les mandarins académiques, leurs professeurs, de leur piédestal, sont retournés à leurs études et ont passé leurs examens. Les mandarins en ont profité pour se précipiter dans la brèche qu’ils leur avaient ouverte et se sont incrustés à leurs postes plus que jamais, délaissant leurs responsabilités d’enseignants sur des assistants mal formés, souvent d’origine étrangère et maîtrisant mal l’anglais face à des auditoires bondés pour se livrer aux seules extases de la recherche, dont Berkeley a depuis toujours le monopole.

    Macron n’est sans doute ni Reagan ni de Gaulle, quoique… Faisons toutefois un pari, voulez-vous? Je ne donne pas trois ans à la génération actuelle pour avoir été récupérée par le Système, comme les précédentes l’ont été.

  8. Cher Monsieur, merci d’avoir écrit cette lettre dont je partage chaque phrase. À cette heure, à part une exception, les commentaires ci-dessus sont d’une incroyable agressivité. Baudelaire a dit: “L’ignorance et la méchanceté sont synonymes”. Au-delà d’observations très partielles voire partiales, il semble que ce sont les mêmes voix de crécelle qui appellent à envoyer des armes, à douter de toute négociation de paix ou, plus près, à convoquer la répression policière. Il est affligeant de devoir vivre dans cette ambiance belliqueuse et perverse. Votre lettre ouverte, rare document à parler de la jeunesse, peut offrir une saine alternative et mettre un peu de baume sur mon désespoir.

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