Un îlot d’urbanité à la périphérie de Lausanne par Bauart

C’est à sa périphérie que l’agglomération lausannoise met à l’épreuve ses orientations stratégiques. La communauté de communes de 400000 habitants est confrontée aux mêmes enjeux que la plupart des métropoles européennes de cette taille: donner une consistance à un projet global là où prévalent souvent des intérêts locaux; tisser des liens entre des communes aux profils socio-économiques différents; sortir de la dépendance automobile tout en régulant une extension nécessaire. Dans le cas de Lausanne, le terrain d’expérimentation et de développement se situe plutôt à l’ouest, l’Est étant figé à cause de ses quartiers cossus et de la proximité du vignoble en terrasses de Lavaux. Crissier, une commune située en lisière de l’agglomération, porte les stigmates de 70 années de développement axé sur l’automobile, avec son lot de zones d’activité, de voies rapides parmi des champs cultivés et d’îlots d’habitations dépendants de la voiture, malgré les efforts non négligeables de l’agglomération lausannoise pour équiper la plupart de ses communes de services de transports en commun efficaces.Le quartier Oassis se trouve sur l’un de ces axes stratégiques de développement (l’axe Bussigny-Lutry), destiné à évoluer en ligne de bus à haut niveau de service.

Cette nouvelle infrastructure, qui devrait voir le jour d’ici trois à quatre ans, offrira une desserte performante pour ce quartier cumulant 77 000 m2 de surface totale de plancher répartis en trois îlots mixtes, regroupant 610 appartements de typologies diverses et 39 espaces d’activité, ainsi qu’un pavillon communal et un pôle tertiaire. Le duo constitué par Bauart, lauréat du concours, et les Zurichois de KCAP, s’est vite accordé sur ce qu’il fallait éviter à tout prix de faire : un aménagement mimant une faible densité, cerné de parkings, avec des espaces sans qualité. Oassis s’est placé d’office à contre-courant de cette approche, typique des promoteurs qui s’imaginent respecter par leur prudence les attentes, forcément médiocres ou banales, des locataires ou des acquéreurs lambda. Situé sur l’emplacement d’un ancien entrepôt de grande distribution, il est bordé sur deux de ses trois côtés par des champs cultivés destinés à être bâtis selon la planification directrice de l’Ouest lausannois, mais qui continuent dans l’intervalle à remplir leur fonction de terres arables. Le projet de constituer un quartier dense à forte connotation urbaine s’inscrit donc à la fois dans la création d’une polarité reliée à moyen terme au centre de Lausanne, mais aussi à un présent suburbain où les activités voisines et disparates sont appelées à être maintenues. Ce quartier est donc tout à la fois pensé comme une projection territoriale de la ville et comme un ensemble devant s’accommoder de son contexte immédiat.

Oassis assume la mitoyenneté avec les éléments paysagers industriels et agricoles. Si les effets de contraste sont présents, avec des portions de boulevards animés ouvrant sur des champs, ils procèdent d’un goût pour la simplicité plutôt que pour le geste ou l’acte manifeste. L’ensemble constitué de trois îlots ouverts, un îlot tertiaire (fermé) et un pavillon entouré d’un parc public affiche les principales qualités des standards urbains suisses : des îlots ouverts, bâtis autour d’aires de jeu qualitatives, et des venelles traversantes éclairées grâce à des luminaires suspendus ouvrant sur les axes de circulation hors du périmètre du quartier. La voiture en surface est bannie dans les trois îlots mixtes d’Oassis. Les appartements proposent des balcons lorsque cela est possible, des fenêtres à hauteur d’étage et une orientation garantissant l’ensoleillement des cours, même en hiver. Si tous les appartements ne sont pas traversants, l’assemblage a été pensé pour optimiser la qualité de vie tout en évitant des effets de répétition ou une écriture trop redondante. Les immeubles sont abaissés vers le sud afin d’optimiser l’entrée de lumière dans les appartements. Les rez-de-chaussée sont commerçants et constituent une toile de fond animée pour les cours où les enfants peuvent jouer de manière autonome. Les trois aires de jeux, toutes différentes les unes des autres, sont suffisamment ouvertes pour favoriser la circulation des enfants du quartier et suffisamment protégées pour leur permettre de s’y déplacer sans être nécessairement sous la surveillance d’un adulte. Les toits des immeubles sont accessibles et des potagers partagés y ont été aménagés. Ils sont gérés par un collectif au nom évocateur de « Légumes perchés ». Quant à l’espace ouvert principal, il accueille un pavillon sur trois niveaux, dont un enterré, constitué d’un centre de loisirs, d’une salle polyvalente pour la vie associative et d’une bibliothèque municipale.

Ce petit parc bordé d’arbres, qu’Emmanuel Rey, associé de Bauart, décrit comme un cinquième îlot végétal, est un élément essentiel du raccordement paysager de l’aménagement à son contexte proche et lointain. Il offre une vue panoramique sur le paysage lémanique et alpin tout en restant en dialogue avec le champ adjacent. Chacun des trois îlots a été pensé comme une variante à partir d’éléments d’écriture communs en métal ou en béton préfabriqué. L’intérieur des îlots est dominé par des bardages métalliques, cuivrés, dorés et bronze, l’extérieur par du béton préfabriqué brut. Trois traitements — lisses, fortement et légèrement sablés — permettent des effets de composition qui s’inscrivent dans la tectonique des immeubles plutôt que de s’y ajouter comme un simple ornement. La volonté de décliner des îlots avec des identités distinctes fait écho à l’environnement suburbain très disparate et restitue en quelque sorte la complexité qui caractérise ce quartier, censé agréger la plupart des fonctions de vie urbaine : l’habitat, le travail, la restauration, les services et les loisirs. Le dernier îlot, celui du pôle tertiaire, inverse la logique qui prévaut pour les trois îlots mixtes. Ses façades sont vitrées, et les espaces de travail s’organisent autour d’un atrium traversant, « percé sur des doubles hauteurs pour aller chercher la façade ».
S’il y a bel et bien un parking sous les huit immeubles d’Oassis, il n’est pas ce que l’on pourrait appeler « car friendly ». Il serpente sous le bâti afin de laisser en pleine terre chacun des cœurs d’îlot. De grands arbres y poussent déjà. Sur cette question, le végétal et la gestion écologique des eaux pluviales priment. En matière d’efficience énergétique, outre le chauffage à distance qui tire sa chaleur renouvelable d’un centre de tri à quelques centaines de mètres de là, le projet dispose d’un microréseau privé d’électricité permettant de produire 493500 kWh photovoltaïques par an. À terme, les batteries du parc automobile majoritairement électrique pourront être chargées grâce à ce microréseau de production d’énergie. Le jour de notre visite, le soleil printanier avivait l’éclat du vert tonique des jeunes arbres en bourgeons. La bise lausannoise était une invitation à rester sous ce soleil, ce qui put être le cas pendant la majeure partie du parcours.

Article paru des le numéro 109 de la revue Archistorm

Christophe Catsaros

Christophe Catsaros est un critique d'art et d'architecture indépendant. Il a notamment été rédacteur en chef de la revue Tracés de 2011 à 2018. Il est actuellement responsable des éditions du centre d'architecture arc en rêve, à Bordeaux.

2 réponses à “Un îlot d’urbanité à la périphérie de Lausanne par Bauart

  1. Magnifique! par contre on se pose toujours la question de savoir qui va être chargé de la construction? Quelle entreprise sera chargé du gros oeuvre, ainsi que de la gestion des flux financiers qui vont devoir être réparti sur la table. Est ce que ce sera la même qui a fait le stade du Lausanne et les grands immeubles autours et toutes les autres grosses constructions qu’on voit avec des grues bleue ?
    Ils sont vraiment trop bons, ils ont tous les marchés c’est magnifique.

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