#Be water

Bien avant l’ouverture économique de la Chine à l’Occident, les habitants des métropoles du delta de la rivière des Perles captaient la télévision de Hongkong pour profiter de sa riche culture cinématographique, dont Bruce Lee est l’un des hérauts. À cette époque, Be Water s’appliquait aux ondes UHF qui s’infiltraient dans les foyers et submergeait l’ethos maoïste à grand coup d’individualisme capitaliste.

Restaurant éphémère dans la région de Shenzhen.

En 2019, l’adage du roi du kung-fu est devenu le hashtag d’une série de manifestions d’une rare intensité, qui protestaient contre l’emprise gouvernementale chinoise sur l’ancienne colonie britannique. Comme l’eau, les manifestants ont multiplié pendant plusieurs mois les actions éclairs et les rassemblements symboliques. Évitant la confrontation avec les forces de l’ordre, surjouant la préparation à l’insurrection, ils ont appliqué les méthodes de la guérilla à une protestation pacifique. Ils s’inscrivaient ainsi dans une série de soulèvements qui, de Maïdan à la place Tahir, en passant par les gilets jaunes, surprennent par leur rapidité de déploiement, leur intensité et surtout l’absence d’organisation centralisée. Dans toutes ces « révolutions », il n’y a ni base, ni parti, ni même les rudiments d’un cadrage organisationnel autre que celui des réseaux sociaux.

Employés de Bank of China sur le parvis du musée du parti communiste à Guangzhou.

Le scandale de Cambridge Analytica a permis de mesurer à quel point ces réseaux perçus comme un espace de liberté et d’expression individuelle, pouvaient faire l’objet d’un traitement d’ensemble et à certains égards d’une manipulation.
Il suffit d’avoir accès aux informations adéquates pour savoir quel canal mobiliser et pour quel effet. L’ère de la post-vérité est aussi celle d’une opacité dans le déclenchement de certains soulèvements. Les émeutes de 2019 en Iran ont-elles été téléguidées par Washington et les gilets jaunes ont-ils été propulsés au-devant de la scène par des hackers russes? Le déclenchement d’un nouveau cycle de protestation à Hongkong est-il lié à l’hostilité de moins en moins cachée des Etats-Unis envers la Chine?
La furtivité de ces interventions rend illusoire toute tentative de tirer au clair les jeux d’influences qui en sont à l’origine. Be water dit aussi l’impossibilité de détenir la vérité. Comme l’eau, elle nous échappe des mains.

Christophe Catsaros

Christophe Catsaros est un critique d'art et d'architecture indépendant. Il a notamment été rédacteur en chef de la revue Tracés de 2011 à 2018. Il est actuellement responsable des éditions du centre d'architecture arc en rêve, à Bordeaux.

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