La Cité de l’Architecture et du Patrimoine à Paris présente jusqu’au 11 mars une exposition consacrée à l’imagerie de chantier. Visite guidée d’un assemblage hétéroclite mais certainement pas dépourvu d’intelligence.
En parcourant le catalogue de la grande exposition L’art du chantier, on peut être surpris par la quantité de représentations à travers les âges. Les tableaux, illustrations ou photographies représentant l’édification d’ouvrages d’art ou de bâtiments prestigieux sont nombreuses et de nature très diverses, comme le sont d’ailleurs les perspectives sur des chantiers urbains. Pourtant la peinture de chantier ne constitue pas un genre, comme les marines ou la peinture rupestre.
L’exposition ne prétend pas structurer de façon raisonnée la pléthore d’images et de représentations qui peuvent être documentaires, artistiques ou commémoratives. On y trouve, dans un ordre plutôt chronologique, des dessins techniques représentant des machines de chantier datant du 18e siècle, des illustrations destinées à la presse du 19e siècle, des reportages photographiques sur des démolitions qui ont défrayé la chronique, des images de propagande ou des chantiers de constructions plus récentes présentant un intérêt technique ou patrimonial. Au cours de la visite, les entrées thématiques se multiplient jusqu’à la perte progressive d’un quelconque fil directeur. La très géométrique scénographie de Nicole Concordet, ancienne collaboratrice de Patrick Bouchain, augmente cet effet de fragmentation en matérialisant par des alcôves la démultiplication des thèmes.
Une imagerie documentaire et politique
Seul la lecture attentive des textes du catalogue permet au visiteur de reprendre le dessus et d’hiérarchiser les représentations de cette exposition labyrinthique. La contribution de Stefan Holzer ( ETHZ ) sur les dessins d’échafaudages volants de Niccola Zabaglia évoquera l’âge d’or du texte technique ou la prose d’ingénierie pouvait être tout à la fois éloquente et précise. Le travail d’Hélène Jannière sur la démolition comme sous-catégorie de la représentation de chantiers permet de poser une des approches non négligeables de la question: celle qui en fait un sujet éminemment politique. Métaphore du changement ou manifestation symbolique d’un pouvoir en action, la représentation d’un chantier est rarement dépourvue d’une signification de cette nature.
On peint des chantiers pour glorifier un Roi, on les photographie pour vanter le charisme d’un Président. Sur ce point, la juxtaposition fortuite de l’imagerie de l’Ancien Régime avec celle de la politique des grands chantiers au 20e siècle crée des parallélismes caustiques. Il manque peut être sur cette question un travail plus approfondi sur l’imagerie et la rhétorique du « dictateur architecte », que Donald Trump avec son mur est venu remettre à l’ordre du jour. Au delà du caractère anecdotique d’un Mussolini ou d’un Ceaușescu en grand orchestrateur de chantiers, le lien entre l’édification nationale et la propagande par le chantier méritait qu’on y consacre plus de place.
ex-votos, jouets et autres curiosités en travaux…
Si les représentations officielles de souverains en visite de chantier donne à réfléchir sur la nature propagandiste de certains projets, d’autres formes de représentation présentent des approches moins grandioses, relevant plus du design ou de la croyance populaire. Les ex-votos mentionnés par Valérie Nègre, sont des offrandes peintes réalisées en mémoire d’ouvriers qui ont survécu un accident de chantier. Elle constituent une catégorie de l’imagerie de chantier qui peut valoir pour le point de vue de ceux qui se retrouvent au bas de l’échelle, littéralement.
Dans une tout autre approche, Ariane Wilson revient sur les liens entre je jeu éducatif et la construction, des terrains d’aventures qui font leur apparition dans les villes bombardées et où les enfants jouent à reconstruire la ville, aux jouets de constructions pédagogiques qui apparaissent à la fin du 19e siècle (kapla, lego).
L’exposition est riche et la multiplication des points de vues ne lassent pas le visiteur à condition de renoncer à un récit englobant. Il y aurait probablement matière à faire plusieurs expositions distinctes avec le matériau qui est regroupé dans la grande salle courbe des expositions temporaires. Cette générosité n’étant pas dépourvue d’intelligence, une évidence s’impose progressivement.
L’absence de cohérence globale au projet et tout à fait propice à l’univers qu’il s’efforce de traiter. Parler du chantier en livrant les actes d’une oeuvre terminé aurait été un contresens. Une grande rétrospective sur la représentation du chantier se doit d’être incomplète, partiellement édifiée. Tel pourrait être finalement le concept directeur de ce projet: un gigantesque work in progress de paroles et d’images à compléter ou à parcourir dans le désordre.
Quelle beauté graphique, la page de “la Domenica del Corriere”!
Je ne juge pas sur le fond, mais au fond, Donald ou Xi Jin ne font pas mieux.