Les enfants face à la démocratie

Ce dernier dimanche, à l’heure où sont tombés les résultats des votations, un sondage improvisé m’a permis de constater que même des enfants de l’école primaire peuvent aspirer à se prononcer sur des questions qui concernent leur avenir, telles que le réchauffement climatique. Moi qui me demandais s’il serait bien raisonnable d’abaisser l’âge du vote à 16 ans, j’ai en tout cas reçu une réponse.

Cela étant dit, le cas de figure de ce petit non à la loi sur le CO2 (de même d’ailleurs que celui du petit non à l’initiative pour des entreprises responsables il y a quelques mois) me fait penser que les règles de la démocratie ne sont pas si faciles que ça à expliquer aux plus jeunes. Le choix de la majorité, fût-elle infime, doit l’emporter, point barre. Même si la majorité se trompe ? Oui, même si la majorité se trompe. Difficile à avaler pour des enfants à qui on donne une mauvaise note en cas d’erreur dans la récitation des livrets.

Je vous vois venir, vous allez me dire qu’il n’y a qu’à enseigner aux enfants que leur opinion politique (ou celle de leurs parents) peut être fausse, alors que 7 x 8 ne peut pas faire autre chose que 56. Mais je ne suis pas d’accord. Ce qu’exigent les règles de la démocratie, ce n’est pas d’admettre que l’autre, qui pense le contraire que moi, pourrait avoir raison, c’est de plier devant la force du nombre. La nuance est de taille.

Il nous arrive à toutes et à tous de ne pas savoir quoi voter sur tel ou tel sujet, ou de nous dire que, ma foi, je vote A au plus près de ma conscience, mais il y aurait peut-être des arguments valables pour voter B. La situation est toute différente dans certains cas où nous avons la conviction absolue que voter B est une terrible erreur.

Est-ce que c’est mal d’avoir des convictions absolues ? Certainement pas. Les hommes et femmes politiques doivent se décarcasser pour trouver des compromis, c’est leur métier, mais c’est l’honneur des citoyennes et citoyens d’avoir, parfois, des opinions non négociables. Ce qu’il faut donc enseigner aux futurs citoyennes et citoyens, ce n’est pas à renoncer à penser que les feuilles des arbres, qu’elles et ils voient vertes, sont effectivement vertes – c’est à s’incliner devant celles et ceux, plus nombreux, qui pensent qu’elles sont bleues. Indispensable pour respecter la démocratie, mais pas évident à emballer pédagogiquement.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.

14 réponses à “Les enfants face à la démocratie

  1. Et oui l’enfant et particulièrement touché aprés ce WE de votation.
    Ils se ramasseront encore pendant des années du glyphosate dans leurs assiètes, Ils continueront de boire de l’eau contaminée quand elle ne sera pas interdite à la consomation comme dans toutes les fontaines publics du Lavaux. Ils ne pourront plus emettre une opinion proche des mouvements comme XR ou la grève du climat car ils pourront être soupconné de vouloir perturber l’ordre étatique et enfin ils supporteront l’élévation des température à cause du CO2 !
    Triste résumé de ce WE.

  2. Très surpris par cette réflexion.

    Depuis quand une opinion politique est-elle juste ou fausse, et sur quels critères l’on se base ? Qui d’ailleurs peut se permettre de juger si une opinion politique est juste ou fausse, mise à part les dictateurs, les fanatiques, les arrogants ou les mauvais perdants ?

    La majorité du peuple décide – quand on lui demande – quelle voie la société doit prendre. Il n’y en a pas une qui est meilleure, simplement une qui satisfait le plus de monde.

    1. Je parle de convictions, pas de vérité objective. La démocratie ne nous demande pas de renoncer à croire que notre conviction est juste, elle nous demande de nous plier à la conviction de la majorité. Ce serait bien triste si, quand on vote, on n’était pas parfois convaincu.e qu’on vote pour la solution juste!!!

      1. Pourtant avec votre exemple sur les feuilles vertes, qui sont “effectivement vertes”, c’est une vérité objective, non ?

        1. Relisez la phrase, il est question des feuilles qu’elles et ils voient vertes….

          1. Mea culpa, j’avais mal saisi le sens ! Il est peut-être temps que je retourne en Béotie.

      2. Je crois que c’est Marc Bonnant qui a dit que « les convictions c’est l’intelligence à l’arrêt ».

        Je souscris complètement.

          1. Je ne vois pas le rapport. Mais admettons…

            Ce qui m’intéresse ce n’est pas celui qui dit. C’est ce qu’il dit.

            Quoi qu’on puisse penser de monsieur Bonnant, cela n’enlève rien à la pertinence du propos (avec lequel on peut évidemment ne pas être d’accord).

        1. “Nous avons les idées arrêtées dès que nous cessons de réfléchir”

          Ernest Renan, 1823-1892

  3. Ce sont les jeunes qui ont été le plus hostile à l’écologie ce weekend.
    Faire baisser à 16 ans, est-ce raisonnable.
    Quant on est jeune, on a les idées toutes faîtes, avec l’âge, il y a le doute. Et si il y a le doute, il y a une recherche de la bonne solution.
    Dans un âge où le cerveau est en pleine construction (ado), le choix n’est qu’une apparence, qui peut être suivit de regrets quelques années plus tard.
    En résumé, je suis pour le vote à 16 ans, si le sujet est dans l’immédiat (construire centre sportif, …), et contre dans le cas où il y a un impact sur le futur.

    J’ajoute, si on considère que les ados ont assez de maturité, alors pénalement ils l’ont aussi pour les peines de prisons…Il y a un problème de cohérence si la maturité varie selon les chapitres de la loi.

  4. La réflexion de Motus est intéressante. Il a raison à mon avis.

    Une certaine gauche est par principe pour l’abaissement à 16 ans de l’âge du vote, parce qu’elle espère que ces jeunets seront plus progressistes que les vieux. Moi qui suis de droite je suis contre. Je pense que c’est idiot. A 16 ans on ne connaît pas la vie. Mais en plus, même d’un point de vue “progressiste” c’est une mauvaise idée. Car les jeunes ne sont pas plus progressistes. Ils sont simplement plus exposés aux dernières tendances de l’air du temps, qui peuvent être progressistes ou réactionnaires, ça dépend des moments.

    Je ne peux pas vérifier l’affirmation de Motus selon laquelle les jeunes ont voté plus anti écolo que les aînés ce dimanche. Mais ça ne m’étonnerait pas. Ils ont peut-être été plus écolos aux dernières élections fédérales, mais ils ont changé d’avis encore plus vite que les aînés. Les jeunes sont comme ça. Ils reflètent immédiatement les sautes d’humeur de l’opinion.

    Aujourd’hui on a des ados qui sont plus xénophobes, plus anti europeens souverainistes, plus complotistes et parfois même plus antisémites que la majorité de la population. Parce que ce sont des idées virales sur la toile. Je pense donc que ces progressistes qui sont pour l’abaissement de l’âge du droit de vote sont des niais qui ne voient pas que ça peut se retourner contre eux.

    Et concernant les féministes, si j’avais un conseil à leur donner ce serait de se méfier du droit de vote à 16 ans. Car je ne serais pas étonné qu’on entre bientôt dans une phase de misogynie aigüe à cause de l’acharnement des féministes jusqu’au-boutistes. Dans ce cas, le basculement dans la misogynie sera plus brutal et plus rapide chez les jeunes, et pour préserver au moins leurs acquis les féministes devront compter sur le vote des vieux.

  5. Pour en revenir au propos de base de Silvia Ricci (les enfants doivent apprendre à se plier aux décisions de la majorité même s’il paraît que la majorité se trompe), j’aimerais ajouter une autre notion à inculquer aux enfants : le respect dû et l’attention à porter aux avis de la minorité, surtout si cette minorité est importante. Avec, pour corollaire, l’inclusion d’une partie de ses revendications et avis dans les programmes de gestion de la communauté. En Suisse, cela se pratique assez régulièrement. Certes, cela ne satisfait ni la majorité ni la minorité mais cela évite à une partie de la population de se sentir complètement abandonnée. A l’instar des pratiques françaises, par exemple, où l’on constate que le parti mis au pouvoir oublie complètement les minorités et ne gouverne que dans sa propre ligne, sans compromis. Ce qui aboutit à des frustrations grandissantes dans la population et peut provoquer d’importants mouvements de rébellion. Je pense par exemple au phénomène des gilets jaunes qui a secoué ce pays il y a quelques années. Il y avait là une addition ahurissante de frustrations et d’«abandonisme». Chez nous, certes on fait des démonstrations, des défilés et des marches de protestation mais cela ne donne jamais l’impression qu’une partie de la population se sent complètement abandonnée. Me trompè-je ?

  6. Pour faire en sorte que les enfants sachent s’incliner devant celles et ceux, plus nombreux, qui pensent différemment, il faudrait sans doute exercer l’art du débat à l’école, en lui attribuant la même importance que les branches “maîtresses”. Les enfants apprendraient ainsi à prendre part au débat, à se former une opinion en écoutant les autres et sa voix intérieure, en mettant tous les arguments sur la table pour les comparer, et à se faire un avis même si certains aspects de l’objet débattu ne sont pas compris complètement.

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