50 ans de «suffrage féminin»: le parlement et la panosse

L’accès des Suissesses aux droits politiques a été particulièrement tardif en comparaison internationale, on le répète jusqu’à plus soif en ces jours de célébration du cinquantième anniversaire du «suffrage féminin» (le 7 février 1971, pour les distrait.e.s). Mais ce qu’il importe aussi de souligner, c’est que ce retard plaçait la Suisse, au début des années 1970, dans une situation historique tout à fait paradoxale.

Le début des années 1970, c’était la période de l’explosion, tout autour de nous, de ce qu’on appelle le féminisme de la deuxième vague. Il ne s’agissait plus de revendiquer cette vieille lune de l’intégration à part entière dans la société mise en place par les hommes, il s’agissait de revendiquer un changement radical de la société. C’est à cette époque qu’a émergé l’aspiration à détruire le patriarcat, cette structure qui impose les règles de la domination masculine à tous les étages du vivre ensemble (et de loin pas seulement dans les travées des parlements).

Tout autour de nous, mais aussi chez nous, tant il est vrai que le mouvement pour la libération des femmes (MLF) a été aussi vivace chez nous qu’ailleurs. «Nous ne sommes pas nées une panosse dans une main et l’instinct maternel dans l’autre», dit une affiche lausannoise de l’époque. Seulement, essayez de vous représenter ce que cela signifiait dans un pays où le féminisme de la première vague, qui portait notamment la revendication suffragiste, n’avait même pas encore atteint son but !

Il y a eu là une collision idéologique passionnante, que l’on a tendance à oublier aujourd’hui. Il faudrait pourtant s’en souvenir. Le suffragisme réunissait des femmes de toutes les orientations politiques, qui se serraient les coudes pour combattre une injustice légale originelle. Le MLF voyait plus loin et surtout regardait déjà ailleurs, vers là où une partie des suffragistes n’avaient pas (encore ?) envie de regarder. Sans l’union sacrée des suffragettes de l’époque, la Suisse serait restée encore longtemps la honte de l’Europe. Sans la rupture opérée, exactement au même moment, par le MLF, le problème parlement vs. panosse serait encore entier.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.

Une réponse à “50 ans de «suffrage féminin»: le parlement et la panosse

  1. Honte de l’Europe… oui! Je rappelle régulièrement à mes filles qu’à ma naissance je n’étais pas considérée comme un être humain à part entière dans le pays où je suis née.

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