Affaire Ramadan: le sexe du charisme

Ce qui me frappe dans les témoignages des adolescentes et des jeunes femmes qui accusent Tariq Ramadan d’abus sexuels, c’est l’insistance sur l’ascendant que cet homme exerçait sur elles. Elèves fascinées par ce professeur séduisant, sûr de lui, irradiant une autorité «naturelle». Croyantes idéalistes magnétisées par cet intellectuel brillant, guide spirituel, auteur à succès, orateur envoûtant. Une grande partie des femmes hétérosexuelles (moi y comprise, dans ma première jeunesse !) ont éprouvé cela une fois ou l’autre : l’attraction irrésistible pour un homme charismatique, l’érotisation (pas nécessairement à des fins de «consommation») d’une figure de mâle dominant, fût-il moins beau gosse que Monsieur Ramadan. Ça fait des millénaires que ce schéma a été implanté dans notre inconscient (celui des femmes comme celui des hommes), et il faut beaucoup de maturité pour ne pas s’y enferrer.

La plupart des «porcs» «balancés» ces derniers temps n’ont pas plus de charisme qu’un poireau, ce sont seulement des machos répugnants ; par ailleurs, la plupart des hommes reconnus comme charismatiques n’ont ni l’habitude ni le besoin de se repaître compulsivement de chair fraîche féminine. Pourtant, cette histoire de charisme mérite d’être un peu creusée si on s’intéresse à certains aspects de l’inégalité des sexes qui sont totalement imperméables aux lois.

En effet, primo, le charisme est certes un don, mais c’est un don auquel la société permet ou non de s’épanouir. Or, ce don ne consiste pas dans la simple faculté de charmer des partenaires sexuels potentiels (faculté plus ou moins également répartie entre femmes et hommes), mais bien dans la faculté d’exercer un pouvoir intellectuel ou spirituel sur la population en général – tout le contraire de ce qu’on a toujours attendu des femmes et de leurs charmes, au pluriel. Et secundo, et c’est là que ça se complique encore plus, dans l’inconscient collectif (féminin et masculin) le pouvoir de séduction sexuelle d’un homme et son pouvoir de séduction morale se renforcent mutuellement, parce qu’ils puisent aux mêmes stéréotypes de la masculinité (assurance, audace, leadership etc) ; en revanche, les différents modèles de femme charismatique (il y en a ) sont rarement propres à susciter l’excitation érotique – en tout cas chez les hommes, dont l’appareil pulsionnel archaïque résiste à associer séduction sexuelle féminine et déploiement des oriflammes du pouvoir.

Et voilà pourquoi, Monsieur Ramadan, vos groupies sont muettes, et le resteront sans doute très longtemps, vu que personne ne veut fracasser l’inconscient à coups de marteau.

 

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.

Une réponse à “Affaire Ramadan: le sexe du charisme

  1. Bonjour Silvia,
    Comme préambule,les abus et autres contraintes sexuelles devant être dénoncés et condamnés sans équivoques, je relève que, à en croire certaines personnes, le fait d’être charismatique et de ne point être capable d’y résister est, de la faute du sujet en question.
    Il y a, en filigrane, une déresponsabilisation inquiétante avec la recherche d’un bouc-émissaire afin de, masquer les arguments que vous, avez mis en évidence.
    Cette tendance s’applique, de nos jours de, plus en plus et celà dans, presque tout les domaines.
    Mais jusqu’ou va t’on descendre ?
    Cordialement
    Alain

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