Transfert modal

La première fois que j’ai entendu cette expression, il y a plus d’une dizaine d’années, c’était dans la bouche d’un politicien vaudois. Je lui disais que je regrettais la disparition du «Parc&Rail» de la gare de Lausanne, système permettant aux usagères et usagers des CFF de se garer à prix réduit. Il m’avait rétorqué assez sèchement que là n’était pas la question, que le but à poursuivre était le transfert modal. Un peu ahurie, j’avais fini par comprendre qu’il s’agissait de laisser ma voiture (j’habitais alors à la campagne) dans un parking périphérique et de me rendre à la gare par les transports publics. Ouais. Surtout ne pas se laisser tenter par l’autoroute qui vous tend les bras juste à côté…

Depuis lors, j’ai fait des progrès, ma conscience écologique s’est aiguisée, le concept abscons de transfert modal m’est devenu plus familier et j’essaie de le mettre en œuvre quand je peux et comme je peux. Je me résigne à arriver en retard à mes rendez-vous à Genève ou ailleurs pour cause de fragilité du réseau ferroviaire suisse, selon l’expression de Jacques Boschung, directeur des infrastructures des CFF (Le Temps du 7 novembre) – ce n’est finalement pas plus exaspérant que d’arriver en retard pour cause de congestion routière, et au moins on a meilleure conscience.

Idem pour l’avion. Il y a quelques mois, j’avais bêtement cru que j’arriverais plus vite et plus confortablement à Trieste (où je devais me rendre pour un motif professionnel) sur les ailes de Lufthansa que sur les roues de Trenitalia, sans me rendre compte que le battement de 40 minutes prévu pour changer de vol à Munich était dangereusement court. Je me suis retrouvée à courir comme une cinglée en traînant ma petite valise cabine dans les couloirs de l’aéroport – jamais plus ! Devant retourner dans cette même ville la semaine dernière, j’ai pensé transfert modal et opté pour le train…et c’est là que je suis tombée, à la gare de Milan, dans l’un des cercles de l’Enfer de Dante, tout le réseau ferroviaire de l’Italie du Nord étant sens dessus-dessous pour des raisons que les harcelants annuncio ritardo déversés par les hauts-parleurs ne permettaient pas d’identifier. Mais ma conscience, ah, ma conscience était délicieusement sereine.

Cette histoire de transfert modal me trotte dans la tête. Les modes de transport écologiques ont de sérieux progrès à faire point de vue performances, ponctualité, fluidité. On peut espérer qu’ils les feront. Mais dans notre monde tel qu’il est, pressé, violent, obnubilé par le fantasme de l’ubiquité, aucun mode de transport ne peut rattraper notre fuite en avant vers la dématérialisation fantasmée de l’espace et du temps.

Silvia Ricci Lempen

Silvia Ricci Lempen est écrivaine. Son champ d’investigation préféré est celui des rapports entre les femmes et les hommes: un domaine où se manifeste l’importance croissante de la dimension culturelle dans la compréhension des fonctionnements et dysfonctionnements de notre société.

11 réponses à “Transfert modal

  1. Avec les écologistes aux CF ils viendront peut-être contrôler le kilométrage de votre voiture et gare à vous si vous rouler plus l’année d’après.

  2. Rues piétonnes, parkings supprimés, accès aux gares interdisant de se garer à proximité et encore moins de quitter la voiture quelques instants, c’est ce qui contraindra les personnes âgées à rester chez elles, et cela tout le monde s’en fiche. Noël dernier je n’ai pas pu mener une dame âgée à une petite fête parce que sa rue n’était autorisée qu’aux taxis, sans exception même avec demande préalable. Elle a donc payé son trajet en taxi avec ce qu’il lui restait sur son compte mensuel AVS, pour aller à la soirée gratuite à laquelle elle tenait.

    Le 25 % de la population a plus de 65 ans, dans tous les projets d’aménagements urbains pour « mieux vivre » on ne parle pratiquement jamais des plus âgés, déjà peu inclus dans la vie de tous les jours, excepté des endroits « bien pour eux ». Personnellement j’ai choisi d’aller vivre ma retraite présente dans un pays ensoleillé, où j’irai me promener dans les ruelles pleines de boutiques où filent les bruyants scooters, et quand j’aurai deux cannes je trouverai bien une vieille voiture pour me déposer directement sur la plage, laissant clairement ses traces sur le sable. Là j’irai discuter avec des gens de mon âge, à côté des plus jeunes qui rient et crient plus fort que le bruit des vagues.

  3. Pendant les douze dernières années de ma vie professionnelle, j’ai bossé en accointance avec, entre autres, le transfert modal. En me répétant in petto: “Et les petits vieux, qu’est-ce qu’on fait pour les petits vieux?” Maintenant, douze ans plus tard, je suis une petite vieille qui connaît tous les problèmes évoqués ici. Ne reste qu’une seule solution: la porte des étoiles, le voyage dans le vortex, comme dans la série télévisée Stargate. Ca, c’est écolo, précis, rapide et imbattable. En plus, cela s’adresse à tous, je dis bien tous, les usagers. C’est une invention américaine. Ah, que ferait-on sans les Américains.

  4. Le problème est que les vieux ne parlent que de leurs soucis de “vieux”, mais jamais du monde et de l’éducation qu’ils ont laissés aux jeunes.
    Il y a un problème, là, non?

  5. Oui, il y a un problème. Celui de généraliser. Dans ma génération de petits vieux, ceux que je connais ont tous une fibre écologique et une autre fibre, solidaire. Importante celle-là. Par pitié donc, cessez de généraliser en reportant, en plus, la responsabilité de la cata planétaire actuelle uniquement sur les petits vieux. Y a plein de petits vieux qui ont combattu toute leur vie pour un monde plus juste, plus propre et plus solidaire. Et qui continuent de se battre sur ces créneaux. En revanche, cher Olivier, vous ne pipez mot des générations – anciennes, adultes, jeunes, très jeunes – qui ne rêvent que fric et pouvoir. Ils sont là, les responsables. Les petits vieux sont, eux, un exutoire populiste et démagogique pour les écoeurés du monde tel qu’il va et dont ils ne font pas la bonne analyse.

    1. Chère Carole, oui, les trente glorieuses ont été le piège américain.
      Mais si des jeunes s’engouffrent dans la brèche, ce n’est que la résultante d’un monde que leurs parents ont cru bienfaiteur pour leur progéniture.

      La politique n’est que le reliquat de cet état de fait, comme la jeune Gapany, s’exprimant sur ces blogs et qui vous gomme votre message, car il ne lui convient pas.
      Voyez que la méthode marche, puisqu’elle a été élue, tant mieux pour elle et tant pis pour son canton de Fribourg, qui devient l’arrière-cour du bassin lémanique en 2**!

      Je la cite, non car elle m’a gommé un message, mais parce que c’est le prototype d’une jeune qui n’a que de vieux codes.
      Mais remarquez, c’est encore sûrement mieux que son vieux challenger 🙂

      1. Moi je ne gomme pas mais je suggère à celles et ceux qui voudraient encore s’exprimer d’en revenir au sujet….quoique, c’est assez fascinant de voir comment un fil en tire un autre SRL

        1. Reconnaissez, Madame Lempen, que le plus souvent la colonne de vos blogs rejoint le sujet jusqu’à s’y fondre, comme un deuxième désert. Donc si vos articles commencent à susciter l’envie de participer, c’est que votre désert devient moins sec… Et peut-être qu’en vous intéressant aux commentaires qui s’éloignent de ce désert, vous découvrirez des intérêts de lecteurs pour de prochains sujets ! Vous avez maintenant dans le creux de votre esprit quelques petites graines qui feront surgir une oasis… Vous serez la Reine des blogs avec plein de commentatrices et commentateurs qui entreront dans votre cour !

          Si vous n’effacez pas mon message, c’est que vous avez de l’humour, une fraîcheur bienvenue dans l’air sec où les fleurs se fanent avant d’avoir le temps de s’ouvrir.

  6. Tout est connecté, ha ha! Mais vous avez raison. Nous avons commis là un drôle de transfert modal. Et ce sera tout pour aujourd’hui en ce qui me concerne. A vous lire bientôt.

  7. Quand même, un mot sur le thème « transfert modal » ou « report modal ». A votre question, votre élu – l’âne bâté – a répondu en vous envoyant de la langue de bois dans les gencives. D’autant que, à l’époque, l’expression concernait surtout les marchandises.

    Souvenez-vous : l’initiative des Alpes, acceptée par le peuple, demandait le report de la totalité des marchandises du camion au train pour camber les Alpes. C’était la grande époque de la bataille autour de la NLFA (nouvelle ligne ferroviaire alpine), soit des tunnels de base du Lötschberg et du Gothard. Construits, ils ont absorbé (avec encore les tunnels de faîte) 71% des marchandises en 2016. Bataille pas entièrement gagnée mais, finalement, ce fut un joli effort.

    Pour le reste, c’est-à-dire, le saut des gens de leur voiture dans le train, la guerre est loin d’être gagnée. Mondialisation oblige, l’économie évolue à une vitesse qui laisse à cul derrière elle les questions liées à la mobilité. Et n’oublions pas le poids des lobbies. Pour l’instant, bien malin serait la personne qui verrait une solution idéale à mettre en pratique.

    Je vous conterai donc juste un souvenir. Il y a quelques décennies, je me rendais souvent en Scandinavie. C’était direct et sublime pour moi qui adorait le train. Départ à Bâle et arrivée à Stockholm à l’issue d’une parenthèse hors du temps et de l’espace. Aujourd’hui, pour le même trajet, il faut changer à Bâle, Hambourg et Copenhague. Alors, l’avion ? On m’a volé la poésie ferroviaire que j’ai tant aimée.

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