La police n’est pas militaire

Nous entendons et lisons toujours ce genre d’affirmation : la police est une organisation militaire. La semaine passée encore, j’ai été interpellé par de jeunes policiers qui s’en étonnaient. Bien sûr, ces derniers ont connaissance des quelques traits historiques et momentanés qui mêlèrent la discipline militaire à leur champ professionnel. Ils savent que certaines lois cantonales (Genève, Valais, pour exemples) y font allusion : « organisé.e militairement ». Mais de là à affirmer que la police est une organisation, intrinsèquement, au sens originel de son essence, militaire… La nuance est de taille.

(124ème post – 2 minutes de lecture. Le féminin est compris dans le texte.)

Certaines polices suisses sont organisées militairement pourtant elles ne sont pas des organisations militaires et ne sauraient l’être.

La nuance est subtile mais existentielle !

Maladresse, confusion ou formule dénuée de sens ?

Un peu de tout à la fois.

Pourtant la méprise peut s’avérer grossière et laisser entrevoir un vice de forme préjudiciable à notre démocratie. En effet, une bonne moitié des lois et règlements cantonaux et municipaux régissant nos corporations de polices, en Suisse, font mention, pour l’ensemble de leur entité ou pour une fraction de celle-ci dénommée « Gendarmerie » ou « Police Secours » ou encore « Police territoriale », d’un procédé hiérarchique et/ou de type militaire.

D’autres lois et règlements cantonaux et municipaux ne font pas ou plus du tout allusion à ce lien militaire. La page est manifestement tournée, l’institution restaurée et réhabilitée.

Biais historique

La documentation et les récits traversant les trois siècles passés nous montrent que “l’encasernement” des “gens d’armes” répartis le long et large des territoires ruraux, organisés en maréchaussées puis plus tard en gendarmeries, que ce soit en France ou dans plusieurs cantons suisses latins, a été motivé par l’indiscipline et la corruption qui gangrenaient les rangs. C’est la principale raison pour laquelle ces agents d’ordre se sont vus imposés un régime strict et d’obédience militaire.

La confusion entretenue aujourd’hui présente quelques relents cachés et semble vouloir ralentir, dans ses tonalités les plus sournoises, les réformes managériales en faveur desquelles un service public moderne se doit de s’engager. Il en va du bien-être des collaborateurs et du développement de leurs compétences. Nombre d’organisations de secours d’urgence implémentent une gestion transversale de leurs ressources humaines. Les initiatives personnelles, accompagnées de critiques constructives, propositions et innovations, sont encouragées. Les jeunes générations s’y retrouvent et s’enthousiasment davantage et durablement.

Cela va sans dire que l’opération de terrain reste soumise à un commandement hiérarchique et pyramidal. En de telles circonstances, face au danger et aux risques encourus, les ordres ne sauraient être discutés ni contestés. De retour en centrale, en poste, en brigade ou en hôtel, les méthodes de conduite directoriale peuvent s’ouvrir et se démocratiser. Les erreurs, forces et faiblesses seront d’autant mieux traitées et régulées ; ce, dans un esprit de transparence et de respect mutuel.

Nos polices suisses ne disposent d’aucun pouvoir exécutif militaire

Si tel était le cas, elles répondraient au code pénal militaire et non au code de procédure pénale (civil). En situation de guerre, nos polices perdraient leurs prérogatives. Alors qu’aujourd’hui, dieu merci, les militaires et leur police attitrée ne sont autorisés à se déployer qu’à l’occasion de prestations auxiliaires et secondaires, en appui logistique des polices civiles, notamment en marge des grands évènements.

Les démonstrations, les pouvoirs exclusifs et les maîtrises proportionnées conférés à nos polices – qui les éloignent de toute dimension militaire – sont si flagrants que je m’étonne encore que l’on puisse “copier-coller” ce lointain cousinage aux enjeux actuels. À moins que l’usurpation ne s’accommode par trop d’une gouvernance désuète et surannée… qui, malheureusement, règne encore dans certaines de nos polices…

 

Compléments :

 

Polices suisses, chiffres

 

Politique de sécurité : militaire ou policière ?

 

Le Taser en polices

(123ème post – 3 minutes de lecture. Le féminin est compris dans le texte.)

Le Taser

Cette arme qualifiée de « Dispositif Incapacitant – DI » fait progressivement son entrée, en Suisse, dans l’assortiment de base des policiers généralistes. Elle équipait déjà les unités spécialisées des polices cantonales et des services d’urgence des polices cantonales bernoise et zurichoise (non exhaustif) mais aussi des polices municipales alémaniques de Brigue et Viège, notamment. Les dotations varient d’une corporation à l’autre. Elles sont en constante évolution. La police cantonale jurassienne va introduire ce DI cet automne pour l’ensemble de ses collaborateurs.

Crans-Montana

La Police intercommunale de Crans-Montana est la première police romande à mettre ce moyen de contrainte à disposition de l’ensemble de ses policiers de terrain.

Depuis le 24 juin 2022, la Police intercommunale de Crans-Montana s’est dotée de ce dispositif Incapacitant – DI. Il est mis à la disposition des unités de Police secours. La Police de proximité, quant à elle, peut aussi l’utiliser si elle vient en renfort de Police secours.

C’est quoi un Taser ?

(Premier extrait du dossier de presse du 17 juin 2022 – Commandant Yves Sauvain, Police intercommunale de Crans-Montana.)

« Le Taser® X2 est un dispositif incapacitant. Il permet de neutraliser de façon non-létale et momentanée une personne, tout en minimisant les lésions permanentes et les dommages indésirables aux biens et à l’environnement. Le développement des armes non létales répond à un double impératif : maîtriser des individus potentiellement dangereux tout en minimisant les risques de blessures ou de décès pour la personne arrêtée, les forces de l’ordre et les témoins. Dans ce contexte, toutes les armes comportent un risque mais amoindri par rapport aux armes à feu, par exemple. »

S’agissant des équipements de protection et de contrainte, je soutiens les exigences professionnelles de terrain et les revendications des agents policiers. Ce sont eux qui s’exposent à de multiples risques et négocient avec la peur lors de certaines confrontations. En complémentarité, mon avis d’intervenant extérieur questionne le lien social, le rapport entre forces de polices et les bénéficiaires. J’observe et commente – il s’agit avant tout d’un devoir citoyen existentiel – les conditions d’appréciation et d’application du respect absolu de l’intégrité physique, psychique et morale ainsi que du respect de la sphère privée de tout individu observé, contrôlé ou interpellé par les forces de l’ordre, quel que soit son statut, son intention ou/et acte présumés.

Usage

(Deuxième et troisième extraits du dossier de presse du 17 juin 2022 – Commandant Yves Sauvain, Police intercommunale de Crans-Montana.)

“Ce dispositif incapacitant est un moyen complémentaire et intermédiaire d’intervention (il ne remplace pas les sprays de défense ou les bâtons tactiques) destiné à neutraliser une personne menaçante ou dangereuse pour elle-même ou pour autrui en minimisant les risques de blessures tant pour les personnes interpellées que pour les agents de police.”

“Cette arme peut être engagée sur une distance de l’ordre du mètre à la dizaine de mètres.”

Risques

(Quatrième extrait du dossier de presse du 17 juin 2022 – Commandant Yves Sauvain, Police intercommunale de Crans-Montana.)

« À ce jour, d’un point de vue médico-légal, aucun décès enregistré après l’utilisation d’un DI lui est directement imputable. Au contraire, les examens médico-légaux effectués (en Europe et aux États-Unis) sur chaque cas suggèrent que les décès sont dus à des combinaisons de drogues, de médicaments et d’alcool ingérés par les victimes avant leur interpellation ou à d’autres états psychotiques aigus. À relever qu’en Suisse sur ces 4 dernières années, un peu plus de 200 utilisations du dispositif incapacitant ont été effectués sans problèmes graves. »

Il y a lieu d’imaginer que l’utilisation réservée et dûment proportionnée d’un tel dispositif, en certaines interventions ultimes, pourrait empêcher des issues tragiques, telles que nous les déplorions.

Interview du Commandant Yves Sauvain

1. À l’introduction de ce moyen de contrainte légitime, avez-vous perçu une forme de réticence ou d’inconfort dans le regard, la compréhension et l’attitude de vos agents ?

  • Non, aucune. L’ensemble des collaborateurs a apprécié de pouvoir disposer de ce nouveau moyen de contrainte. Mes agents sont conscients qu’un tel moyen leur permet, en certaines situations, d’éviter de devoir faire usage de leur arme à feu.

2. Vous connaissez mon postulat : ok pour les meilleurs outils de coercition possibles mais attention à ne rien faciliter en termes d’exigences quant à l’usage proportionné, quant au discernement et quant aux habilités comportementales des agents policiers. Qu’avez-vous donc mis en place pour former en continu vos agents ?

  • Une formation continue annuelle. Elle permet de maintenir les connaissances de base liées aux manipulations et à l’usage du Taser. Cette formation offre aussi la possibilité à chaque agent de pouvoir tester (sur la base du volontariat, ndlr.) les effets d’une décharge de Taser. Enfin, sont organisées, des mises en situation lors desquelles les différents moyens de contrainte en notre possession peuvent être utilisés à choix, dans l’examen judicieux du contexte. À chaque session de formation, il est rappelé, bien évidemment, à quel degré de gravité se situe le DI dans nos moyens de contrainte, ce, afin d’en garantir l’usage proportionné.

3. Quels seraient les cas de figure d’une utilisation du Taser dans votre circonscription intercommunale ?

  • Au préalable, j’aimerais rappeler notre positionnement géographique (Communes et région de 600 à 1’600m d’altitudes avec fortes concentrations de touristes, visiteurs et résidents en hautes saisons, ndlr.) qui ne permet pas toujours d’obtenir des renforts rapidement comme cela pourrait être le cas dans une agglomération en plaine ou dans une ville de forte densité. Il nous est donc apparu comme important de pouvoir bénéficier d’un tel DI.
  • Pour répondre à votre question, nous pourrions user de ce moyen lors d’interventions liées aux violences domestiques où une arme blanche pourrait être utilisée par un auteur envers les forces de police ou contre une victime ; dans le cadre de bagarre de rue si des armes blanches ou autres ustensiles menaçants seraient utilisés et également retournés contre mes agents ; éventuellement si un “suicide by Cop” (terme anglais pour définir l’action délibérée d’une personne menaçante vis à vis d’un représentant des forces de l’ordre en vue de provoquer chez ce dernier une réponse armée, ndlr.) surviendrait sur notre circonscription. Il est évident que la Police intercommunale de Crans-Montana n’a pas le nombre d’interventions d’une police d’une grande ville ni les risques au quotidien. Mais, si le fait d’être équipé du DI permettait, ne serait-ce qu’une seule fois, à un de mes collaborateurs de ne pas devoir utiliser son arme de service, alors de mon point de vue, comme celui de mes Autorités, cela est suffisant pour que nos agents soient équipés du Taser.

En lien avec les armes et autres équipements :

Mon post du 2 décembre 2019 qui distingue les équipements d’extension de ceux que l’on pourrait qualifier de substitution telle que la caméra sur le corps dont les dernières études démontrent qu’elles ne réduisent pas les bavures policières – voir article de la correspondante du quotidien Le Temps à New York, Valérie de Graffenried, publié le 14 septembre 2022.

Mon post du 21 août 2018 en faveur des fusils d’assaut.

 

Armée de guerre. Police de paix.

24 février 2022.

Sidération.

La guerre fait rage en Europe, à nos portes.

(120ème post – 2 minutes de lecture)

Les militaires et les volontaires armés prennent toute la place, notamment celle ordinairement occupée par les policiers civils. Ces derniers étant chargés, en temps de paix, de servir et protéger les plus faibles et tous les résidents et les citoyens en leur portant secours et en veillant à l’application des règles élémentaires de cohabitation.

Quoi dire, quoi faire ? Que voir, qu’entendre, qui croire ? Quand les mensonges, les manipulations, les dissimulations et le mépris de la dignité humaine écrasent tout entendement, sauvagement.

Croire les faits !

Rien que les faits ; par l’établissement rigoureux des preuves identifiées et documentées, par l’audition des témoins, par le croisement des indices, vérifiés, confrontés. Un travail minutieux et urgent à la fois, confié à des organismes indépendants et neutres. Voilà toutes les compétences d’une police de droit.

Une police comme…

1. … celle qui est invoquée par Manuel Bessler, ambassadeur et chef du Corps suisse d’aide humanitaire en charge de l’action de la Suisse en Ukraine, quand il précise le 29 mars 2022 que : « Le problème, c’est qu’on a le droit, mais qu’on n’a pas une police pour renforcer ce droit. ».

2. … celle qui se dessine par la voie-voix des ONGs comme TRIAL International. Interview RTS 19h30′ du 3 avril 2022, de Philip Grant, directeur de Trial.

Et, enfin,

3 … celle que priorise le nouveau procureur général de notre Confédération, Stefan Blättler, lorsqu’il présente le 29 avril passé (2022) ses priorités d’action après 100 jours d’exercice.

La Guerre en Ukraine concerne, implique et engage nos polices.

Extrait de l’article de Fati Mansour Le Temps du 29 avril 2022. “Avec la situation en Ukraine, le MPC s’est profilé sur la poursuite des criminels de guerre tout en annonçant la création d’une task force censée ouvrir l’œil sur tous les indices liés à ce conflit. Stefan Blättler assure que sa volonté de traquer les auteurs des pires atrocités qui pourraient se trouver en Suisse ne date pas du 24 février et s’applique à tous les suspects, sans distinction d’origine. En juin dernier, la condamnation à 20 ans de prison (encore frappée d’appel) d’un ancien chef rebelle libérien par le Tribunal pénal fédéral – le succès de l’année dont peut se vanter le parquet fédéral (avec la condamnation d’une banque) – a peut-être aussi insufflé plus d’énergie à ces enquêtes complexes. «C’est une tâche importante et il y a un consensus à ce sujet. Il faut être vigilants et ne pas fermer les yeux.»

Des polices à ré-inventer.

L’adaptation au changement pour nos polices est dictée par les tragiques événements qui nous environnent et accablent nos démocraties. Des unités de polices mobiles, polyvantes et pluridisciplinaires, capables de monter des dossiers irréprochables et de communiquer leurs constats, peuvent soulager les victimes. La création d’une task force par le Ministère public de la Confédération en vue de poursuivre les criminels de guerre en est la parfaite incarnation.

D’autres entités de police devraient voir le jour. Notre pays confédéral dispose de nombreux atouts pour offrir de tels services de polices.

Les violations militaires des Conventions de Genève et leurs conséquences criminelles sont une tâche de police – existentielle et universelle.

 

Trial. Une ONG qui produit, jour par jour, un important travail de police :

TRIAL, Public Eye, ONGs de police

 

Deux de mes posts antécédents qui traitent de la dualité militaire / policier :

Politique de sécurité : militaire ou policière ?

Policier gentil versus répressif ?

Les ambulanciers défient les indignités

À l’occasion de la publication de son nouveau site internet, lÉcole Supérieure d’Ambulancier et de Soins d’Urgence Romande (ES ASUR) présente sur sa page d’accueil un Guide de gestion des abus et des harcèlements.

Gestion des abus et des harcèlements

Le monde professionnel préhospitalier est aussi concerné par les abus, les harcèlements et les discriminations. Les uns comme les autres pouvant sévir en tout temps et défigurer collaboratrices, collaborateurs, stagiaires, sans compter les cohésions d’équipes au sein des services d’exploitation.

(2 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte – 115ème post)

Spécialement conçu pour les ambulancières et ambulanciers en exercice, cet outil de gestion en 10 points, comme 10 étapes, complète les actions de prévention, les mesures de gravité et de détection enseignées au sein de l’école supérieure ASUR depuis 2016. Ce guide a été élaboré par une psychologue d’urgence et un économiste d’entreprise puis étayé et complété de 2017 à 2021 par une coalition pluridisciplinaire composée d’experts en ressources humaines, soins d’urgence, travail social et police.

Guide pratique et comportemental

Durant les formations initiales et continues dispensées par l’ES ASUR à destination des futurs ambulanciers mais aussi de leurs chefs et adjoints de service, des cas de figure concrets ont été traités en ateliers. Depuis lors, ce sont plusieurs services d’ambulances qui mettent en œuvre ces enseignements dans leurs organisations. Ainsi, du bassin lémanique jusqu’à Neuchâtel, des outils de prévention et de résolution des problèmes sont développés conjointement par les praticiens et leurs cadres à tous les échelons décisionnels et opérationnels.

C’est le but de tout employeur que d’assurer la protection de ses employés, de la théorie à la pratique. En clair : incarner les expériences et leurs analyses dans la transformation du management.

Sinon, à quoi servent les formations d’adultes ?

Transcrire, dupliquer, compléter

Vaincre l’harcèlement c’est aussi – veuillez excuser le côté méthodique qui ne saurait supplanter les souffrances humaines – de l’organisation et de la détermination. C’est pourquoi si je devais retenir une composante utile de ce guide, plutôt qu’une autre, ce serait sans nul doute les conseils relatifs aux points 7. , 8. et 9. invitant les victimes et les éventuels témoins à documenter et compléter les méfaits subis ou/et leurs observations. Comme le précise ledit document, toute transcription a un effet thérapeutique très important mais permet aussi, des années plus tard, d’évacuer les doutes et les relativisations (dès lors qu’elles existent) peu productives des entourages familiaux ou professionnels.

Et, si la force venait à manquer, n’oublions pas que les régulateurs téléphoniques (144) et les ambulanciers sont des professionnels de toute première intervention qui, avec l’aide de ce guide, veillent et se préoccupent de leur bien-être institutionnel interne mais à qui l’on peut aussi confier ses difficultés ou ses craintes liées à toutes formes d’abus.

ES ASUR, en sa qualité d’espace innovant de formation et de laboratoire de recherche-action, se devait et se doit, aujourd’hui, de partager ses compétences et de défier les harcèlements, les abus et les discriminations partout où ils pointent leur nocivité.

En matière d’abus, seule l’enquête indépendante.

En matière d’abus et d’atteinte à l’intégrité physique, psychique et morale des personnes, seule l’enquête indépendante permet de connaître la vérité.

C’est valable dans tous les domaines d’activité.

L’église catholique romaine de France ne peut plus ignorer le cri des victimes de son clergé et de son personnel laïc.

Le rapport de la Commission Sauvé publié mardi 5 octobre 2021 – “un phénomène systémique ” prouve et démontre l’ampleur des blessures.

Déni et arrogance

Hier, j’ai travaillé en faveur de l’église catholique romaine. J’ai entendu, écouté et vu les abus. Je les ai dénoncés. Rien n’y fit. Le silence a tout emporté.

Les sports, les milieux hospitaliers, les médias, les écoles d’arts, et j’en passe… tous ces champs institutionnels ont connu et connaissent leurs révélations. Tous mettent en place des instances d’enquêtes indépendantes. Plusieurs y ont été contraints. Un seul champ se braque. Le plus emblématique : la police.

Le repli institutionnel est néfaste à la résolution des problèmes

Aujourd’hui, je travaille en faveur d’une vingtaine de corporations de polices et d’organisations de secours d’urgences comme les services d’ambulances ou les sapeurs-pompiers dont les apparentements organiques avec les polices sont si étroits qu’ils se confondent parfois.

Je constate que les fonctionnements qui prédestinent aux professions de secours d’urgence, de contrainte et d’ordre puisent dans des schémas assez proches de ceux de l’église catholique romaine : prédominance des mâles, forte hiérarchisation, uniformisation, rites, disciplines, obéissance aveugle, etc.

L’académie de police de Savatan sous le feu des critiques, juin 2018.

Seule la détection, l’enquête, le traitement et la régulation opérées par des instances indépendantes donnent des résultats !

Les services d’ambulances comme ceux des sapeurs-pompiers professionnels, les uns après les autres se remettent en question et s’engagent dans d’authentiques démarches de résolution des problèmes ; en confiant à des instances externes indépendantes leurs processus d’identification, de guérison et de réhabilitation.

La police, comme entité morale, quant à elle, persiste – toujours – à vouloir s’examiner toute seule. L’ultime question, à son sujet, dans les tourments de l’actualité, aujourd’hui, n’est plus de savoir pourquoi ? Mais, quand ?

Quand osera-t-elle appliquer ce qui la fonde et la légitime : la séparation des pouvoirs.

 

Non aux mesures policières le 13 juin

J’ai beau chercher, en 35 ans, des quatre centaines d’officiers généraux, criminologues et autres experts de police avec lesquels j’ai cheminé de par le monde, aucun n’a plaidé la réduction d’une seule valeur fondamentale au profit de la sécurité collective… sans que cette valeur soit maîtrisée par un contre-pouvoir séparé et démocratique.

Sans la compensation de sérieux contre-pouvoirs, notre démocratie se trouverait défigurée.

Et, dans tel cas, les dégénérescences violentes et irréversibles résultantes piègeraient nos communautés de vie, à commencer par ses membres les plus faibles – ce que proscrit le préambule de notre Constitution.

Tout en admettant volontiers que mes partenaires professionnels ne se nourrissent pas d’illusions nostalgiques ni ne prétextent toutes sortes de moyens pour atteindre leurs fins (… sans quoi ils ne seraient point mes partenaires…) il est quand même surprenant qu’aujourd’hui encore nous puissions imaginer qu’une possible substitution judiciaire par l’augmentation du registre policier permettrait d’appréhender d’éventuels actes terroristes… l’histoire et ses rebondissements à répétition nous ayant démontrer le contraire.

La police est un organe de libération…

… et non de restriction.

L’action ultime de toute police se mesure à sa capacité de préserver le socle de nos libertés et de nos droits fondamentaux, toutes personnes, toutes fonctions, tous statuts confondus.

Libertés et droits qui sont fortement réduits par l’initiative sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) soumise au vote populaire le 13 juin prochain. En cas d’acceptation, notre police fédérale verrait son ancrage institutionnel se fissurer, probablement à son insu.

Une police moderne prie de ses vœux le respect absolu de la séparation des pouvoirs, lui permettant, en substance, de tisser des liens consentis et fiables avec les groupuscules ou individus les plus vulnérables mais aussi, par connaissance et discernement, avec les plus récalcitrants, dangereux et isolés. Alors que les mesures policières de lutte contre le terrorisme soumises à votation ce 13 juin pousseraient nombre de malveillants ou autres criminels en puissance à se retrancher dans les recoins de l’illégalité et à user de subterfuges toujours plus ténus et sophistiqués pour échapper à toute forme de contrôle. En face, les polices seraient tentées d’usurper leurs maîtrises au risque de céder à certaines dérives arbitraires. C’est en substance ce qu’appréhendent les 67 signataires, professeurs et universitaires suisses, de la lettre ouverte critiquant ce projet de loi et signalant son manque de contrôle judiciaire.

Prendre position…

… en ma qualité d’expert indépendant.

J’ai hésité, craignant peut-être… que l’on m’affilie à une quelconque obédience partisane ou que ma détermination à prévenir et à combattre toute dérive terroriste puisse en souffrir. En fait, la question ne se pose même pas. C’est bien dans l’intention de renforcer le pouvoir de nos polices que je plaide le respect absolu et indissoluble des droits de l’Homme et que je rejette le projet de cette loi.

Les auteurs d’une récente étude scientifique affirment également que ces mesures ne sont pas nécessaires.

Et voilà-t-il pas que les résultats d’une étude universitaire vient, à l’instant, confirmer la mise en garde contre les dérives liées à l’application de ces mesures policières. Plus que cela, elle démontre «  … que l’arsenal pénal antiterroriste suisse permet déjà aux autorités d’intervenir très en amont, d’appréhender et de réprimer une large palette de comportements afin de protéger la sécurité publique de toute mise en danger. La seule réception d’images de propagande ou la publication d’une seule vidéo de ce type suffisent à déclencher une poursuite pénale. » dixit Kastriot Lubishtani, l’un des deux auteurs, interrogé par Fati Mansour pour Le Temps le 10 mai 2021 – L’étude qui décortique l’arsenal pénal antiterroriste en Suisse.

Et l’autre auteur, Ahmed Ajil, de compléter : « Les dernières années ont vu le développement d’une stratégie pénale très répressive couvrant, pour ainsi dire, l’intégralité du spectre d’une quelconque mobilisation en faveur de la cause djihadiste. Des procédures sont ouvertes et des mesures de contrainte imposées, ou disponibles, quand il s’agit encore d’actes bénins qui ne relèvent même pas d’une sorte «de préparation de la préparation de la préparation d’un attentat. Ce constat est encore plus vrai si l’on tient compte des ordonnances pénales ou de classement prononcées par le Ministère public de la Confédération. Ces dernières, plus invisibles, renseignent sur un «filet pénal» particulièrement sensible qui attrape au moindre soupçon d’une activité vaguement suspecte. Il est donc faux de soutenir que le droit pénal n’est pas assez puissant, que celui-ci ne peut intervenir qu’une fois un crime commis et qu’il est donc nécessaire de mettre en place des mesures policières à titre préventif. En fait, tout est déjà possible. On veut juste se faciliter la vie en évitant les contraintes et les garanties d’une procédure classique. »

Dont acte.

 

 

 

 

 

Les transcriptions révélatrices

Les colères des peuples luttant contre les inégalités et les discriminations s’expriment dans les rues du monde entier, voir l’article Le Temps de Olivier Perrin du 24 octobre 2019. Leurs révoltes sont liées aux faiblesses des états commente France culture le 30 octobre 2019.

Des lanceurs d’alertes, des fonctionnaires parmi lesquels des policiers, des citoyens, quant à eux, choisissent d’autres médiums que la rue pour porter à connaissance publique les ratées des institutions dans leur devoir de protection et de régulation de nos trajectoires de vies.

Le récit, avec son histoire narrée et documentée, est l’un de ces médiums.

Celui qui soulève mon attention aujourd’hui nous plonge dans le monde de la police.

Pourquoi ?

Parce que les polices, toutes confondues, dans leurs postures et leurs actions, reflètent nos conditions de vie, y compris celles recluses dans leurs centres de formation.

Un nouveau livre donne la parole à Ebelsthian, Bastée, Alvin, Rébecca et bien d’autres jeunes apprenantes et aspirants policiers, et gendarmes.

Rébecca. Le pouvoir du silence

2019. Georg Editeur, Genève

Une école de police défigure un lieu séculaire et ses résidents.

Un colonel domine, avec la complicité de tous.

Comment rompre le silence ? Défaire les compromissions et les complaisances ? Les injustices ?

Une jeune aspirante va se lever.

Son histoire est inspirée de fait réels.

Elle se prénomme Rébecca. Elle se surprend à défendre sa liberté. Elle ne se doute pas une seule seconde de ce qui l’attend.

Jusqu’au jour où un migrant clandestin dévoile son passé. Alors leurs destins basculeront.

Les événements décrits dans ce roman se déroulent en Charente-Maritime. Mais, ils pourraient très bien se dérouler sous d’autres contrées.

Disponible dans toutes les librairies d’Europe francophone.

Le site de l’éditeur

Le site du roman

Le ciel s’assombrit

Il en est un de plus, parmi les experts externes aux polices, qui est évincé en raison de son opinion. Dans l’exemple de Sebastian Roché, décrit ci-après, nous nous situons en France, où les critiques du sociologue de police à l’encontre de certaines pratiques policières – jugées trop violentes – lors de manifestations des gilets jaunes lui coûte sa place d’enseignant.

(3 minutes de lecture – le féminin est compris)

La critique est muselée

L’éviction du chercheur et formateur de polices, Sebastian Roché

Le sociologue français Sebastian Roché a été écarté par l’École nationale supérieure de la police, où il intervenait en tant qu’enseignant depuis 1993. Spécialiste des rapports “police et population” et chercheur au CNRS, il a osé critiquer. (Voir lien actif à france culture du 29 août 2019)

Tel est pourtant ce qu’une démocratie vivace peut espérer de mieux de la part d’un intervenant extérieur. “C’est en France, avec son pouvoir princier, cela ne saurait intervenir en Suisse fédérale…” dixit mon entourage professionnel policier, pour me rassurer… Mais, il y a aussi cet officier, fervent défenseur d’un management plus ouvert : “Tu vois Frédéric, ce n’est pas que chez nous !!

Un intervenant extérieur, ça sert à quoi ?

En Suisse, 2003, lors de l’introduction progressive du Brevet fédéral de policier, les principales commissions de travail ainsi que le Conseil fédéral (par l’entremise de Joseph Deiss) insistent pour qu’au moins la moitié des formateurs comportementaux (branches sociales, éthique, Droits de l’Homme, psychologie, etc.) dudit Brevet provienne de l’extérieur des corporations. Il est explicitement souhaité que ces experts externes et vacataires puissent critiquer le système policier conventionnel – système appelé à une réforme urgente et salutaire.

La critique est le moteur de l’innovation

C’est sous cette recommandation que j’ai personnellement été engagé à la Police cantonale genevoise – institution pilote, à l’époque, pour le Module éthique et droits humains – par trois représentants, de la Police judiciaire, de la Gendarmerie et de la Police de sécurité internationale. Mes interventions et mes responsabilités ont perduré – par miracle ? – neuf années durant. Nombre de mes ex-partenaires internes à cette police me rappellent aujourd’hui encore combien cette indépendance a été indispensable pour “…bouger nos scléroses…”. En réalité, j’ai failli l’éjection plus d’une fois mais mon indépendance inconditionnelle était garantie par Monsieur le Conseiller exécutif cantonal David Hiler, grand homme d’État, persévérant et brillant comme tout, faisant l’unanimité. Le Conseiller d’État Hiler a toujours été davantage soucieux de la démocratie participative qu’il servait de toutes ses forces plutôt que de sa carrière personnelle. Les dents grinçaient à l’état-major de la Polcantgenève après qu’il ait signé la préface de mon premier essai “Police. état de crise ? Une réforme nécessaire” publié en 2009 aux éditions scientifiques de la Société d’études économiques et sociales *.

Un problème politique

La liberté d’expression est garantie** sous nos latitudes mais la marge de tolérance est politique. Monsieur Roché précise aussi qu’il s’agit avant tout d’une “décision politique“. Interrogé par l’Agence France-Presse, il rajoute que “cela montre la difficulté de la police à s’ouvrir à la société à un moment où elle se recroqueville de plus en plus sur elle-même, à son détriment”. Le sociologue a également critiqué le manque d’indépendance de l’IGPN (la police des polices).

De grands dommages démocratiques

Des inspecteurs de police examinant les comportements de leurs pairs (hic ! Une telle connivence serait risible dans la majorité des autres champs professionnels ou domaines d’activités), des formateurs policiers exclusivement issus des rangs policiers et des chercheurs nourris et encadrés par leurs propres sujets d’études laissent présager de piètres matchs nuls. Desquels, acteurs et spectateurs, si tel devrait être le tableau, s’en détourneraient pour abandonner le jeu démocratique aux spectres des plus sombres et dangereuses pages de notre histoire européenne.

* Co-écrit avec Yves-Patrick Delachaux. Postface du regretté chercheur et chef de police judiciaire, feu Olivier Guéniat. La Société d’études économiques et sociales a été créée en 1943, durant la deuxième guerre mondiale, afin de réfléchir et résister malgré le contexte géopolitique extrêmement pessimiste.

** Je fais, ici, naturellement exception des injures et atteintes à l’honneur en lien aux dispositions légales.

Mais, tu crois quoi ?

Le tutoiement de la part des agents du service public est irrespectueux.

(1 minute de lecture – le féminin est compris dans le texte)

Il y a cette réaction du service de médiation de la Ville de Zurich – et oui, la Ville de Zurich bénéficie d’un service de médiation ! Exemple à suivre.

Et, il y a cette lancinante impolitesse qui galope toujours dans les us et coutumes de plusieurs polices de notre pays… selon le type d’usager, d’interlocuteur… bien entendu. À tel point, que la semaine passée encore un député m’offrit la désolation suivante : ” Vous pensez ? Vraiment Monsieur Maillard ? Moi, qui suis connu, vous voyez, jamais un policier ne m’a tutoyé”.

Le tutoiement de la part d’agents policiers n’est pas digne d’une délégation ou d’une représentation d’État.

Pourquoi ?

1. Parce qu’il disqualifie la posture de l’État – qui se trouve être une personne morale aux multiples visages -, qu’elle soit communale, cantonale ou fédérale.

2. Parce qu’il fragmente l’attention policière portée à l’autre en raison d’un préjugé basé sur l’âge, la provenance, le statut, la vulnérabilité sociale ou la maîtrise d’une langue. Autant de facteurs qui réduisent l’habilité du policier à discerner et à établir le plus objectivement possible les raisons et les faits de son interpellation.

3. Toute ascendance est infondée. L’assermentation octroie à l’agent une légitimité qui revêt un caractère de serviabilité et non de supériorité.

4. Parce que la réciprocité ne serait pas admise alors que notre démocratie promet l’égalité, sans distinctions.

Résultat : autogoal et négation constitutionnelle.

Autant dire Vous !

Bravo le CHUV ! À quand le tour des polices ?

Remarquable initiative du CHUV, qui fait tout juste.

(2 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte)

Je suis impatient de voir naître pareille action du côté de certaines polices… C’est pas faute d’avoir proposé. Mais, chut ! Le culte du secret, les “circulez y’a rien à voir” prédominent encore dans quelques “hôtels” barricadés.

Le CHUV s’engage contre le sexisme !

Lundi 26 novembre passé (2018), le CHUV a lancé une campagne d’affichage et ouvert une ligne téléphonique d’écoute pour prévenir et traiter les harcèlements sexuels dont sont victimes des étudiantes en médecine.

Sur RTS info, l’interview complète du directeur des ressources humaines du CHUV, Monsieur Antonio Racciatti.

Question de Nadine Haltiner, Radio La 1ère : “Est-ce que le milieu médical est particulièrement sexiste ?”

Réponse de M. Racciatti, DRH du CHUV : “Moi, je ne sais pas ce qui se passe dans les autres secteurs, je ne sais pas si le milieu médical est plus sexiste que d’autres. Ce que je peux vous dire c’est que dans l’institution du CHUV ça existe… et puis qu’on a décidé d’y remédier. Ce qui nous distingue peut-être des autres secteurs, c’est que nous on en parle et ouvertement.”

Les ingrédients d’une entreprise responsable

1. Un collectif officieux, informel, que la direction générale du CHUV reconnaît.

Je pense à un autre collectif qui dénonce depuis cinq ans les malveillances et le sexisme qui arpentent les couloirs et les salles d’entraînement de l’Académie de Police de Savatan sans que rien de conséquent ne soit entrepris pour y remédier, contrairement à ce que prétendent les représentants politiques parmi lesquels on compte Madame Béatrice Métraux et Monsieur Pierre Maudet. Ces derniers ont pourtant été alertés et interpellés de nombreuses fois par une psychologue, des intervenants juridiques, des témoins, des syndicats et les médias.

2. Les paroles sont libérées se réjouit le CHUV. La direction du CHUV, à son tour, décide d’en parler ouvertement.

Il existe encore des polices, membres assermentées du service public que nous finançons, qui craignent l’autocritique.

3. Ce collectif est pris au sérieux, il est sincèrement remercié. On lui fait confiance. Le collectif est associé, à part entière, à la direction générale du CHUV dans l’élaboration de la campagne de prévention et lors des présentations publiques.

4. Une vraie remise en question est initiée, concrètement. Elle est largement communiquée à l’interne et à l’externe, et rendue visible, tangible.

5. Le DRH du CHUV annonce sa détermination de vouloir changer de culture.

Le contre-exemple du secteur policier

est le plus dommageable que je connaisse…

(Pourquoi ?)

… car il oppose le sens de la mission étatique la plus visible et la plus emblématique ainsi que son devoir de dénonciation à la passivité, au silence. Il en est de même face aux discriminations raciales. À ce propos, lire le blog du 6 novembre passé 2018.

Avez-vous déjà entendu un commandant de police ou un DRH police reconnaître que sa corporation n’avait pas tout fait juste ?

Pour des institutions de police constituées au service et à la protection des plus faibles, la comparaison avec le CHUV fait pâle figure. Les polices que je connais, pour partie, ne sont pas promptes à se remettre en question. Elles ne sont non plus encouragées par leurs politiques, dont certains ne montrent en rien l’exemple de la transparence…

Si ce manque de courage prévaut également dans la lutte contre les criminalités, à l’extérieur, nos policiers détiennent alors une des explications majeures de l’amertume qui affecte nombre d’entre eux.