La sécurité à la demande n’est pas policière

“Les Agents (des Polices Municipales (APM) genevoises ndlr.) des communes de Chêne-Bougeries et Veyrier effectueront des rondes spécifiques chez les habitants ayant annoncé leur absence.”

“Nos agents… font le tour de la maison. Pour les appartements, ils montent à l’étage…”

(2 minutes de lecture. Le féminin est compris dans le texte)

Sécurité sur mesure offerte par les communes, titrait 20 minutes le 1er février passé.

Cette nouvelle prestation, selon vous, pose-t-elle problème au principe de la régie policière ? Telle est la question, empreinte de doutes, du chef opérationnel d’une police vaudoise. (Merci au Capitaine P. de m’avoir interpellé à ce sujet)

Ma réponse : oui

Tout d’abord, je distingue ces commandes spécifiques des actions préventives qu’effectue toute police ainsi que des alertes ou signalements communiqués aux polices par la population.

Je suis navré de constater, une fois de plus, que ces Polices Municipales genevoises sont détrônées de leur intrinsèque nature policière. Déjà qu’elles ne bénéficient pas du Brevet fédéral, elles sont en plus considérées (à tort) comme des sous-polices ou des polices partielles. En leur confiant ce type de mission, à la demande des habitants, leurs autorités communales n’améliorent pas leur statut.

Voici pourquoi

1. Erreur de casting. Une telle initiative est intéressante en soi mais devrait être confiée à des employés communaux non policiers ou à des prestataires privés. Toute police est au service de la population mais ne lui est pas subordonnée. La police est un organe médium (ou “vis-à-vis”) entre le pouvoir exécutif, d’une commune par exemple, et la population ou entre le pouvoir judiciaire et la population ou/et sa défense.

2. Entrave à la liberté d’action de la police. Une telle initiative compromet le moyen discrétionnaire et d’opportunité propres (en plus du pouvoir de coercition) à nos polices d’État de Droit.

3. Les prérogatives de police des APM sont déjà limitées. Une telle initiative réduit encore davantage le champ d’initiative et de pouvoir de ses agents.

4. Réduction du discernement policier. Un policier qui répond à une préoccupation (ou parfois à un caprice ?) privée quitte son champ public d’intervention et n’exerce plus la vigilance objective et désintéressée que requiert sa fonction.

(Photographie : 20 minutes)

Conséquences problématiques

Avec une telle offre, on se trouve face à une contorsion de la régie policière suisse, qui, pour rappel, définit qu’un policier ne doit pas violer ou investir la sphère privée* de tout un chacun, hormis lorsque les juges l’y autorisent (perquisitions, écoutes téléphoniques, etc.) et ce, pour des raisons majeures.

Le champ policier est public, non privé. La surveillance du champ privé est, par conséquent, confié à des sociétés de sécurité privées, complémentaires.

Pendant que le policier répond, à la carte, à une préoccupation de bienveillance privée, il ne peut pas détecter d’autres incidences spontanées ni prioriser les secteurs vulnérables de sa commune et encore moins concevoir son action discrétionnaire tel que l’exige pourtant son statut de policier de proximité. Un tel pli dans son activité quotidienne risque de porter préjudice à l’intérêt commun et de favoriser, à terme, les personnes les plus craintives ou les plus aisées.

Une action de police répond à l’acte** au profit de la personne et de la collectivité et non à la personne au profit d’un éventuel acte.

 

* … en plus du respect de la sphère privée, la régie policière impose le respect de la présomption d’innocence (seule la justice définit la culpabilité – séparation des pouvoirs), la conduite des investigations pour le meilleur procès équitable possible, le respect intégral de la dignité humaine et l’annonce des motifs dans l’arrestation provisoire (aussi appelée garde à vue).

** avec ses faits, indices, témoins et preuves.