Que c’est dur pour un policier formaté et encaserné dans sa tête de saisir l’orientation et la destination journalistiques, de piger que la mission du journaliste poursuit le même but démocratique que la sienne.
(2 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte)
Oh que c’est dur pour cette frange de policiers, ou de gendarmes en la circonstance, d’œuvrer à la circulation des liens de société et non à leur restriction. Car ceux-ci entretiennent toujours la même confusion professionnelle. Telle une distorsion qui puise ses racines dans une formation déformée, des instructions de défiance, de confrontation et de guerre ouverte.
L’inversion du sens professionnel
C’est cette confusion qui induit, par exemple, certains policiers à traquer de façon compulsive les contrevenants de la route. Sans même comprendre que la sécurité routière consiste avant tout à libérer les flux de mobilité en faveur du plus grand nombre et non à s’acharner sur la minorité d’automobilistes fautifs. Tous les automobilistes sont fautifs un jour ou l’autre (je ne parle pas des chauffards). Les gendarmes n’y échappent pas non plus. Ne pas discerner le sens, le rôle et la finalité d’une contravention dans ce qu’elle permet de résoudre le problème, de libérer la rue, de réduire les entraves du trafic et surtout de prévenir les accidents trouble la vision et la mission première du policier.
On ne peut pas orienter son action sur le défaut, l’erreur ou la faute. De telles méprises intervertissent le référencement professionnel des policiers. Cette inversion de sens professionnel est d’ailleurs l’une des causes de démotivation et de frustration pour plusieurs d’entre eux. Ces derniers s’imaginent parfois devoir sauver le monde : “Seuls contre tous !” ou “Sommes le dernier rempart !”. Des expressions que j’entends encore dans des formations continues.
Agir pour ou contre ?
Malheureusement, ils sont trop nombreux les policiers qui agissent contre au lieu d’agir pour.
De dé-formation en déformation, des règles de la route à celles de l’audition, l’inclinaison de la basse besogne en piège plus d’un. Et finalement, ils convoquent et interrogent la journaliste du quotidien Le Temps de la pire manière qui soit. Ces faits ce sont produits le dimanche 12 novembre passé (2017) à Briançon dans le département des Hautes-Alpes en France. Que l’on ne vienne pas me dire qu’il s’agisse d’une exception. Chaque semaine de tels comportements me sont rapportés par d’autres policiers, désemparés. Je reconnais là l’esprit conquérant et discriminant qui pousse les mauvais flics à outrepasser leur cadre professionnel. En l’espèce, il y aurait eu grave atteinte à la sphère privée, fausse évocation des motifs de convocation et d’audition et, enfin, intimidation.
De tels manquements professionnels sont nuisibles à notre démocratie et par conséquent au développement de nos polices.
Lire l’édito de Stéphane Benoit-Godet, rédacteur en chef du quotidien Le Temps
Lire l’Avis d’expert du 13 octobre 2015 : Policier et journaliste: même combat ?