Sauvetage en haute mer démocratique

Le jour se lève.

Les eaux se sont apaisées.

Je suis nullement satisfait.

A peine soulagé.

Le peuple n’a pas gagné. Il a seulement rattrapé l’incapacité de son Parlement à s’opposer à une initiative nuisible et anticonstitutionnelle.

Une majorité des votants a compensé la faiblesse de ses représentants.

Le long de ses quatre dernières années nous avons hérité d’une Assemblée fédérale terriblement peureuse et silencieuse.

Patrick Marione

(Photo de Patrick Marione. 2013)

« Le silence des bons est plus terrible que les actes des méchants. » (Formule attribuée à Martin Luther King)

Même l’équipe de football la plus populaire d’un championnat ne peut pas bafouer les règles d’arbitrage. Que s’est-il donc passé depuis fin 2012 ? Pourquoi l’UDC, avec son initiative de renvoi effectif des étrangers criminels, n’a pas été sifflée “hors jeu” sur le terrain parlementaire. Le 20 mars 2015 l’Assemblée fédérale aurait dû avoir le courage d’invalider cette initiative et de la refuser au vote.

Je ne peux pas me réjouir des résultats de cette votation car si celle-ci avait trouvé ne serait-ce qu’une petite majorité, les fondements policiers auraient été purement et simplement annihilés !

Les expulsions automatiques auraient été exécutées par des policiers qui, soudainement, se seraient vu amputés d’un des quatre principes de base(*) qui régissent leurs missions. Le principe de conduite au procès équitable – travail existentiel du policier exécutif qui consiste à dresser les faits constatés pour les déposer au pouvoir judiciaire – aurait été jeté à la mer et coulé dans les fonds marins. Aucun garde-fou n’aurait été, alors, si puissant pour empêcher que des policiers viennent arrêter, à trois heures du matin, votre employé ou votre beau-frère, sans que ces derniers puissent bénéficier d’un jugement et d’une défense digne de ce nom. Nous aurions alors découvert des polices totalement désarticulées, privées de leur capacité de maîtrise, peut-être même livrées au zèle de quelques dirigeants extrémistes.

Car malgré le résultat de cette votation, une question subsiste :

Comment est-ce possible de revendiquer plus de sécurité publique tout en se moquant de la maîtrise ou du principe de base de celles et ceux qui en ont la charge ?

Ne baissons pas la garde, de nouvelles tempêtes sont à prévoir.

(* Les trois autres principes de base du policier suisse sont le respect de la présomption d’innocence, le respect de la sphère privée et le respect absolu de l’intégrité physique, morale et psychique des personnes interpellées ou/et placées en garde à vue ou en détention provisoire.)

Un temps sabbatique pour les policiers

(2 minutes de lecture – Le féminin est compris dans le texte)

Nous sommes très satisfaits de nos polices.

Année après année, les études réalisées par l’Académie militaire et le Center for Security Studies de l’EPF de Zurich le démontrent.

https://www.news.admin.ch/message/index.html?lang=fr&print_style=yes&msg-id=57451

En leurs qualités organiques, les polices l’emportent même au palmarès de la confiance que la population accorde à nos institutions et à nos autorités, devant les tribunaux et le Conseil fédéral. Il en est de même, en Europe de l’Ouest, pour tous les métiers liés au secourisme.

Ce succès d’appréciation est une excellente raison pour encourager la transition professionnelle.

Nos analyses de pratique signalent une démotivation du policier suisse après six ou sept ans d’exercice. L’agent de pouvoir se met alors à douter des institutions qui l’emploient et finalement du bienfondé de son action. Il est à la fois jeune (dans l’exercice de sa fonction – non par son âge) et expérimenté. Il connaît son métier mais souffre d’un manque de reconnaissance de la part de sa hiérarchie. Il subit une pression administrative perçue comme une entrave dans sa réalité quotidienne faite d’imprévus, de peurs et d’urgences. C’est à ce stade temporel des carrières que l’on enregistre le plus grand nombre de cassures psychologiques, de frustrations et de désillusions ; avec pour conséquences, des fautes ou des erreurs qui portent préjudice aux personnes interpellées et, finalement, aux policiers eux-mêmes.

 

Une vacance professionnelle pour se sentir mieux et régénérer ses ambitions.

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(Photo libre de droit)

Ce serait donc l’occasion d’offrir à l’agent de la fonction publique un séjour professionnel dans un autre service d’Etat, dans une institution ou une entreprise ; à l’exemple d’un hôpital universitaire (accueil, sûreté, service patients, etc.), d’un centre d’accueil pour requérants d’asile, d’une entreprise frontalière ou internationale comprenant, en sus, un apprentissage linguistique. Le policier bénéficierait ainsi de nouveaux horaires et pourrait se perfectionner dans des habilités complémentaires. Pour les Corps de polices de petites tailles, un tel stage peut être compensé par un échange de personnes au sein même de la commune ou du canton ; cela concernerait des employés assermentés et actifs dans certains services fiscaux ou d’inspection du travail.

Encourager l’échange pluridisciplinaire c’est renforcer l’employabilité et les compétences des policiers.

Si les ambassadeurs des institutions les mieux cotées du pays se mettaient à la disposition d’autres services étatiques et d’entreprises tierces, nous gagnerions un regain d’intérêt en faveur du bien public et des métiers policiers en général. Le secteur privé l’a déjà compris.

L’état d’urgence en France : un abîme

(le féminin est compris dans les formulations suivantes)

Le policier n’est pas habilité à la guerre.

Le militaire n’est pas habilité à la paix.

Les déviances les plus insoupçonnées se logent dans les entrailles des institutions de polices. Elles se nomment : frustration, fatigues chroniques, manque de reconnaissance, corruption, effets de groupe comme la redevabilité et l’aveuglement, banalisation de la violence, vengeances, traumatismes, etc.

Sous nos latitudes, le policier dispose – s’il a le courage de les solliciter – de l’appui de psychologues, d’éthiciens et de pédagogues pour contenir et repousser, voire résoudre, ses maux de « ventre ».

En Suisse, par exemple, celui qui s’engage dans la voie du diplôme supérieur de policier – comparable à la maîtrise professionnelle après le Brevet fédéral – débute son programme de cours par l’étude des transgressions. Celles qui affectent le bienfondé de l’Etat qu’il sert, les résidents qu’il protège et finalement son métier. Et, comme chacun le sait, ce métier, pour ne pas dire cette vocation, repose sur les Droits humains constitutifs de l’Etat démocratique.

La prolongation de l’état d’urgence en France (voir détails, chiffres et faits en activant ce lien).

La prolongation de l’état d’urgence en France ouvre une brèche dans laquelle les policiers, les premiers, risquent de sombrer.

Je connais déjà plusieurs agents qui sont sérieusement atteints dans leurs valeurs. Celles-là même qu’ils tentent de transmettre à leurs enfants… J’espère qu’ils seront soignés et que leurs séquelles ne les précipiteront pas dans les ténèbres.

L’état d’urgence est donc un – état – d’exception particulièrement déstabilisant pour un système politique et professionnel bâti au fil des siècles sur l’équilibre des forces.

La proclamation de l’état d’urgence après les terribles attentats du 13 novembre était, sans doute, nécessaire. Mais, la prolongation de ce qui ne peut durer présente des contours contre-productifs et contre-exemplaires. C’était prévisible, des policiers peu professionnels et vindicatifs ont commis des abus, pressés qu’ils étaient d’ “abattre” des affaires. Pourtant, aucune enquête sérieuse ne saurait être solidement étayée dans le feu des émotions.

Ont-ils conscience, ces policiers vulnérables, et leurs hiérarchies, de réveiller en leurs seins des démons d’outre temps plus forts qu’eux ?

Voici ce que déclarait, il y a trois ans, un policier français expérimenté en conclusion d’un séminaire sur la prévention des dérives policières :

“Dans le job de policier, nous ne sommes jamais aussi bons que lorsque nous sommes limités dans notre déploiement. Jamais aussi bons que dans le strict cadre de nos lois, sans exception; jamais aussi bons que dans l’exercice de nos autocritiques, sans concession; jamais aussi bons que sous l’oeil vigilant et actif de la société civile et des organisations de défense des Droits de l’Homme.

Ces dernières ne sont pas des entraves mais nos anges gardiens. Je dis bien nos anges gardiens.

Elles nous invitent à faire mieux, elles nous autorisent à nous satisfaire et à nous libérer des poids lourds de notre conscience. Et, surtout, elles nous donnent la garantie de pouvoir nous réjouir chaque matin, devant notre miroir, d’un monde plus juste.”