En Suisse, les violences policières subsistent

En 10 ans, sur les 5’000 policières et policiers, de quatorze corporations différentes, que j’ai rencontré en analyse de pratique ou en résolution des problèmes comportementaux, j’ai recueilli sept dizaines de témoignages alarmants dont plusieurs repentances. Evidemment, il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg. En réalité, on ne sait pas grand-chose sur la nature de ces dérapages. Pour trois raisons : les hiérarchies sont manipulées par leur base ou complices ou sommées de se taire par le politique pour éviter toute vague médiatique.

On en parle quand c’est trop tard, lorsque le film amateur est diffusé comme c’est le cas ces jours-ci aux Etats-Unis. Les mécanismes qui engendrent de telles violences sont connus : mauvais recrutement opéré par de mauvais « éléments » (langage policier courant), bonne instruction mais mauvaise formation d’adulte, frustration professionnelle répétitive, confusion des pouvoirs exécutif et judiciaire, sous-culture guerrière et machiste cultivée par des anciens mal-vieillissants dans les vestiaires et les bars de nuit.

La violence commise par un agent d’Etat professionnel et assermenté, censé nous protéger, est d’autant plus choquante que ce dernier est entraîné à la maîtrise et à la proportionnalité de son geste. Imaginez-vous l’horloger massacrant des pièces tourbillon par excès professionnel…

Dans notre pays, c’est en 2003 que le Conseil fédéral institue le premier Brevet de policier. Notre gouvernement insiste alors sur les moyens de formation qui développent le sens critique de l’agent, son comportement moral et pratique ainsi que sa réelle capacité de représentativité de l’Etat. En effet, l’habilité, comme l’efficience tactique, d’un agent de pouvoir étatique reposent sur cette introspection personnelle et sur le respect des droits fondamentaux.

Le policier n’est pas un professionnel comme les autres.

Il est la force de l’Etat et sa référence.

Si c’est trop lourd pour lui, qu’il s’en aille.

De telles compétences s’exercent et se vérifient ensuite, au jour le jour, dans le cœur de l’action. En même temps, et chacun l’aura compris, il n’y a pas mieux placé que les policiers pour contourner la loi, les règlements et la pléthore d’ordres de service internes. Travestir la transcription des faits, et par conséquent, la rédaction des rapports, est devenue une grande spécialité pour plusieurs d’entre eux.

Je ne vois qu’une résolution possible à ce stade. Créer des lieux de vidages dans les corps de police ; simplement, avec une ligne téléphonique protégée et une permanence physique neutre, confidentielle et indépendante. Ainsi, l’erreur serait déposée, discutée, éventuellement traitée psychologiquement ou/et juridiquement, le cas échéant, soignée ou/et réparée, avant qu’elle ne débouche, si nécessaire, sur du pénal.

Nous aurions, enfin, une radiographie des carences policières comme des dizaines d’autres professions en possèdent déjà et l’utilisent pour améliorer leurs pratiques.

Le policier est-il de droite ou de gauche ?

 

De droite ! Evidemment. Moi aussi, quand j’étais chef d’entreprise j’étais perçu comme étant à droite. Et, après, quand j’ai enseigné la gestion des équipes dans les écoles sociales, mes clients et mes partenaires commerciaux ont cru que je basculais à gauche. Mes confrères professeurs, quant à eux, me voyaient à droite. Mes étudiants ? A gauche. Puis, à l’introduction du Brevet fédéral de policier, j’ai été sollicité par une police cantonale. Alors, soudain, les mêmes étudiants m’ont trouvé peu fiable et… m’ont livré à la droite des flics. Pas tous. Plusieurs d’entre eux en ont profité pour faire leur coming out : « Vous savez, Monsieur Maillard, je suis officier… à l’armée, et, je pense souvent que la droite… ferait tant de bien à la gauche. » Les policiers, mes nouveaux compères, craignaient qu’une chose : que je sois à gauche, ressortissant d’une école sociale, pensez donc ! « Tu réfléchis trop Maillard. C’est pas bon. » Enfin, développant les premiers cours pour le diplôme supérieur de policier, je suis devenu, très progressivement, l’allié des réformes gouvernementales de droite comme de gauche. C’est marrant, on ne m’a jamais offert le centre.

 

« C’est une question de point de fuite, de perspective. » Me confiait l’autre jour un policier. « Si, comme flic, tu dois faire face à des activistes antifascistes. T’as vu ce qui s’est passé à Berne ? Je peux te dire que t’as pas beaucoup de sympathie pour la gauche. C’est vrai que les manifs Pediga ne doivent pas être simples à gérer non plus. T’as vu ce qui s’est passé à Dresde ? Je plains mes collègues. Bon, dans un cas comme dans l’autre, on se fait quand même plaisir… on arrive toujours à en serrer quelques-uns ! Et pis, les tatouages. Faut faire gaffe. Ce sont des signes d’appartenance, de parti, chez les voyous comme chez nous. »

 

A bâbord ou à tribord le flic ?

 

Je n’ai pas de conseil à donner.

Pourtant, lorsque je me remémore le texte suivant :

 

Au nom de Dieu Tout-Puissant !

Le peuple et les cantons suisses,

conscients de leur responsabilité envers la Création,

résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde,

déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l’autre et l’équité,

conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures,

sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que

la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres,

arrêtent la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 – état au 14 juin 2015.

 

… c’est vrai qu’au fond de moi, je me dis qu’après tout, le policier, ne sert-t-il pas et ne protège-t-il pas les faibles, d’abord et en priorité les faibles ? Alors, pourquoi ne pourrait-il pas gagner le parti des faibles ? Nul n’est à l’abri, non ?

 

Mais, dans ce cas, dites-moi, les faibles… sont-ils de gauche ou de droite ?

Gior Gio
Gior Gio

Policier et journaliste : même combat ?

Le policier est à la sécurité publique ce que le journaliste est à l’information publique.

 

Dans le paysage médiatique suisse on trouve des acteurs de droit public et privé. La concurrence que se livrent les médias exige de ceux-ci une lutte acharnée pour survivre. Les trois cents polices suisses ne sont pas épargnées par quelques formes de concurrence, d’abord entre elles mais aussi face à certaines prestations des sociétés privées. Par contre, et heureusement pour nous, les polices ne sont pas astreintes à la rentabilité.

Depuis une génération les médias numériques sont à la portée de tout-un-chacun grâce à l’essor fulgurant des nouvelles technologies. N’importe qui peut relayer un fait divers, soumettre quelques traits d’investigation et le publier sur son blog personnel par exemple. C’est comme si la sécurité publique se passait progressivement du policier.

 

Pouvons-nous imaginer vivre, demain, la même mutation en matière sécuritaire que celle vécue, aujourd’hui, par les médias ?

 

Le journaliste fait face aux transformations du monde de l’information. Le journaliste se mue en médiateur et superviseur de forums, de blogs avec autant de chroniqueurs et contributeurs volontaires. Il offre à ses derniers une crédibilité et la notoriété de son journal.

A la police, le même phénomène s’opère, et, presque comme toujours, débute sur le continent américain. Là-bas, courir derrière le voleur n’est déjà plus l’exclusivité du flic. Dans une dizaine d’états, des chasseurs de prime s’en chargent. Chez nous aussi, nos polices ne pourront bientôt plus assumer toutes les tâches qui leurs sont dévolues.

Roger-H.goun
Roger H.Goun

Afin d’anticiper cette transformation sociétale et de ne point la subir, le policier devra, tout comme le journaliste le fait déjà, muter sa posture.

 

Le policier doit rester le seul rapporteur des preuves et des signalements auprès du pouvoir judiciaire. Tout le reste, il devra, tôt ou tard, s’en décharger ou le déléguer. Le policier est moins bon que le militaire dans la tactique de combat ; il est moins bon que l’informaticien dans les méandres d’internet. Le policier est potentiellement bon, excellent même, quand il doit poser un discernement ou une régie d’ordre sur les pièces à conviction, le constat des faits, l’enregistrement des témoignages et la détection des actes répréhensibles.

 

Le policier saura-t-il s’adapter à son temps comme le journaliste est en train de le faire ?