La police n’est pas militaire

Nous entendons et lisons toujours ce genre d’affirmation : la police est une organisation militaire. La semaine passée encore, j’ai été interpellé par de jeunes policiers qui s’en étonnaient. Bien sûr, ces derniers ont connaissance des quelques traits historiques et momentanés qui mêlèrent la discipline militaire à leur champ professionnel. Ils savent que certaines lois cantonales (Genève, Valais, pour exemples) y font allusion : « organisé.e militairement ». Mais de là à affirmer que la police est une organisation, intrinsèquement, au sens originel de son essence, militaire… La nuance est de taille.

(124ème post – 2 minutes de lecture. Le féminin est compris dans le texte.)

Certaines polices suisses sont organisées militairement pourtant elles ne sont pas des organisations militaires et ne sauraient l’être.

La nuance est subtile mais existentielle !

Maladresse, confusion ou formule dénuée de sens ?

Un peu de tout à la fois.

Pourtant la méprise peut s’avérer grossière et laisser entrevoir un vice de forme préjudiciable à notre démocratie. En effet, une bonne moitié des lois et règlements cantonaux et municipaux régissant nos corporations de polices, en Suisse, font mention, pour l’ensemble de leur entité ou pour une fraction de celle-ci dénommée « Gendarmerie » ou « Police Secours » ou encore « Police territoriale », d’un procédé hiérarchique et/ou de type militaire.

D’autres lois et règlements cantonaux et municipaux ne font pas ou plus du tout allusion à ce lien militaire. La page est manifestement tournée, l’institution restaurée et réhabilitée.

Biais historique

La documentation et les récits traversant les trois siècles passés nous montrent que “l’encasernement” des “gens d’armes” répartis le long et large des territoires ruraux, organisés en maréchaussées puis plus tard en gendarmeries, que ce soit en France ou dans plusieurs cantons suisses latins, a été motivé par l’indiscipline et la corruption qui gangrenaient les rangs. C’est la principale raison pour laquelle ces agents d’ordre se sont vus imposés un régime strict et d’obédience militaire.

La confusion entretenue aujourd’hui présente quelques relents cachés et semble vouloir ralentir, dans ses tonalités les plus sournoises, les réformes managériales en faveur desquelles un service public moderne se doit de s’engager. Il en va du bien-être des collaborateurs et du développement de leurs compétences. Nombre d’organisations de secours d’urgence implémentent une gestion transversale de leurs ressources humaines. Les initiatives personnelles, accompagnées de critiques constructives, propositions et innovations, sont encouragées. Les jeunes générations s’y retrouvent et s’enthousiasment davantage et durablement.

Cela va sans dire que l’opération de terrain reste soumise à un commandement hiérarchique et pyramidal. En de telles circonstances, face au danger et aux risques encourus, les ordres ne sauraient être discutés ni contestés. De retour en centrale, en poste, en brigade ou en hôtel, les méthodes de conduite directoriale peuvent s’ouvrir et se démocratiser. Les erreurs, forces et faiblesses seront d’autant mieux traitées et régulées ; ce, dans un esprit de transparence et de respect mutuel.

Nos polices suisses ne disposent d’aucun pouvoir exécutif militaire

Si tel était le cas, elles répondraient au code pénal militaire et non au code de procédure pénale (civil). En situation de guerre, nos polices perdraient leurs prérogatives. Alors qu’aujourd’hui, dieu merci, les militaires et leur police attitrée ne sont autorisés à se déployer qu’à l’occasion de prestations auxiliaires et secondaires, en appui logistique des polices civiles, notamment en marge des grands évènements.

Les démonstrations, les pouvoirs exclusifs et les maîtrises proportionnées conférés à nos polices – qui les éloignent de toute dimension militaire – sont si flagrants que je m’étonne encore que l’on puisse “copier-coller” ce lointain cousinage aux enjeux actuels. À moins que l’usurpation ne s’accommode par trop d’une gouvernance désuète et surannée… qui, malheureusement, règne encore dans certaines de nos polices…

 

Compléments :

 

Polices suisses, chiffres

 

Politique de sécurité : militaire ou policière ?

 

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

9 réponses à “La police n’est pas militaire

  1. Il faudrait faire une distinction. La police n’est pas un corps militaire, certes, même si elle est organisée militairement. Mais il faut rappler que la gendarmerie, qui n’est pas la police, est un corps de troupe militaire. C’est une armée.
    C’est vrai en France (du moins ça l’était jusqu’à la stupide réforme Sarkozy de fusion de la police et de la gendarmerie, à moins que les traditions de la gendarmerie aient été étendues à la police nationale). C’est vrai dans le canton de Vaud, en Valais, à Genève, à fribourg, à Neuchâtel. Dans d’autres cantons, en Suisse allemande, je ne sais pas, il y a peut-être d’autres traditions et d’autres cultures.

    En revanche, ce que j’ai constaté c’est une dérive délétère vers la déminitarisatoion de la gendarmerie. J’ai parlé avec un ami gendarme, bientôt à la retraite. Il m’a bien expliqué qu’il y a une tendance dérestable vers une mentalité “civile” de prestation de services, qui vise à gommer la tradition et le caractère foncièrement militaire de l’institution gendarmerie. C’est évidemment une tendance qui fait partie de l’américanisation de notre société. D’ailleurs on applique des protocoles et des procédures de style américain. C’est tout juste si l’anglais ne devient pas la langue de travail. On considère ces corps de troupe comme des organisations quasi commerciales et le public qu’il s’agit de protéger contre la criminalité, est considéré comme des “clients” à satisfaire, dans un esprit commercial.

    On constate d’ailleurs une évolution similaire dans l’armée elle-même. Notre armée, ou plutôt ce qu’il en reste, tend de plus en plus à être régie par des principes civils. C’est insupportable. Cela me fait me rappeler les mots prophétiques du très regretté cdt de corps Roger Mabillard: “L’institution (armée) est menacée de mort, si elle commence à appliquer des principes civils dans son fonctionnement”. Ce ne sont peut-être pas les mots exacts. Je cite de mémoire. Mais c’était bien ce qu’il voulait dire. Il avait raison et malheureusement sa prophétie s’est réalisée. Aujourd’hui on peut dire que notre armée est cliniquement morte. Il va falloir la refaire, mais ce ne sera pas une mince affaire et ce n’est pas Mme Aufoyer (Amherd) qui en sera capable.

    Dans la gendarmerie maintenant, il n’y a plus de discipline militaire, quasiment plus de grades, plus de garde à vous, de défilé, de maniement d’armes, de roulements de tambours, toutes ces traditions se survivent un peu, mais deviennent folkloriques. Donc la gendarmerie, corps militaire, est aussi menacée de mort, pour les raisons qu’avait bien vues Roger Mabillard.

    De fait, on impose aux gendarmes une dénaturation de leur rôle. Ils deviennent des sortes de prestataires de services, civils dans un esprit coopératif, sympa. C’est écoeurant. J’espère qu’on va revenir sur cette dérive détestable, et vite, sinon c’est la fin des haricots.

  2. Bonjour Monsieur Maillard,

    En rapport de l’esprit militaire drastique, les méthodes d’enseignement de l’Académie de Savatan avaient été dénoncées à l’époque par des élèves (et des policiers ayant ensuite obtenu leur diplôme) pour leur pédagogie brutale par l’exemple. Qu’en est-il aujourd’hui ?

    1. Merci Dominic,

      … pour cette question pertinente et consécutive à mon dernier post. L’histoire de l’Académie de Police de Savatan (APS) « …est une route au tracé qu’on aimerait oublier…» « Une déconfiture qui a terni l’image de la Romandie (vis-à-vis de nos pairs alémaniques et étrangers) et de plusieurs de nos polices… » me confient aujourd’hui encore, en coulisses, nombre de députés cantonaux et fédéraux de tous bords politiques. Plusieurs Commissions cantonales vaudoises et valaisannes se sont mobilisées pour exiger des changements de direction du site en question ; les syndicats policiers genevois et nombre d’experts externes aussi. La grande majorité des commandants et chefs opérationnels des polices délégatrices s’est également prononcée, sans réserve et de manière critique, dans l’enquête-étude sociologique traitant de l’organisation de l’APS.
      Voir lien : https://www.rts.ch/info/regions/vaud/10549619-les-commandants-de-police-agaces-par-lorganisation-militaire-de-savatan.html
      Rapport d’enquête « planqué ou/et étouffé » selon les dires de plusieurs protagonistes mais que l’équipe d’investigation de la RTS a pu se procurer après action devant tribunal.

      L’ingénierie de formation n’a pas été et n’est pas remise en cause – elle est placée sous la responsabilité de l’ISP (Institut Suisse de Police). Le lieu géographique non plus, même s’il est jugé peu adéquat – trop imprégné de militaire justement et trop coûteux -. Il s’agit surtout de la gouvernance du site qui fut le réceptacle de policiers (pas tous, bien entendu) dont les corporations voulaient se débarrasser. Et, c’est en ces circonstances que débute le pourrissement de la probité de Savatan. Je me souviens avoir été témoin en séances de travail à Berne mais aussi à Zürich… de colères épiques de la part de plusieurs dirigeants et commandants de polices qui se sont insurgés face à l’arrogance et notamment l’appropriation des couleurs nationales (l’écusson suisse) sur les uniformes du personnel de l’APS (aux statuts pas toujours clairs d’ailleurs…) et des libertés d’interprétations hasardeuses du fédéralisme de la part de la direction de Savatan. D’aucun jurant que de leur carrière ils remettraient à leur juste place cette – équipe de vaniteux impertinents – … pour ne pas reproduire ici l’exact vocabulaire utilisé.
      Des erreurs de casting, en effet, que plusieurs commandements de polices romandes reconnaissent et traînent derrière eux, n’ayant pas pu ou pas su ou pas osé agir plutôt, et, il faut bien l’admettre, n’ayant pas toujours été soutenus politiquement. À l’heure actuelle, ces directoires attendent les retraites des dernières personnes concernées.

      Mais l’ambivalence persiste. Car l’APS a toujours su manier avec outrecuidance ses relations publiques, son rayonnement international, compromettre nombre de liens, certes largement usurpés mais qui génèrent un vaste parterre de redevabilités (les sociologues s’en régalent). Les invités se succèdent mais tous ne sont pas dupes. Quand bien même il est difficile de résister aux invitations, flatteries et autres cérémonies dûment photographiées. D’aucun se sont sentis piégés. Je dois quand même re-préciser, ici, que tout ce « cirque » fait sourire et n’est pas du tout pris au sérieux par la grande et diversifiée assemblée policière suisse.

      Enfin, depuis 2018, l’APS est scruté de près par des policières et policiers courageux et intègres, accompagnés de juristes, qui montent des dossiers et sont près d’intervenir à nouveau en cas d’abus d’autorité ou de malveillances. Des policiers qui font juste et – enfin, devrais-je souligner – leur job.

      1. Je pensais que sur ce sujet qui peut être délicat, vous le dites bien, je devrais me contenter d’une réponse de quelques lignes… Votre commentaire à la valeur d’un article, je le considère honnête et objectif, c’est très apprécié !

      2. Donc, si on comprend bien, les attaques contre cette école de police à Savatan ont fait pschiiittt…

        Plutôt réjouissant, en somme.

        Si cela ne vous plaît que la formation des policiers soit stramm, pouvez-vous nous dire ce que vous préconiseriez: petit déjeûner au lit pour tout le monde ? macramé ? “gender studies” ? théories anti-autoritaires ? enseigner aux élèves qu’il n’existe pas d’insécurité, mais seulement un “sentiment d’insécurité” ? Est-ce que le but est de transformer les policiers en “community organizers” gauchistes ?

        On aimerait bien savoir quelle doctrine est proposée à la place de l’entraînement physique dur, et de la discipline militaire.

        1. Bonjour Monsieur Martin,

          Laissez donc de côté ces mouvements gauchistes qui s’approprient de tous les événements possibles pour discréditer la police, ce n’est pas dans cet esprit que Monsieur Maillard expose ses avis, et il ne va pas se réjouir d’une école qui ne fonctionne pas bien, son but est au contraire d’avoir une police efficace capable d’analyser les situations autrement que le Berger allemand qui lui, suit une autre école adaptée à son niveau de compréhension : ordres, rappels, lâchers, félicitations, récompense… Les critiques sur cette école ne concernent pas le confort, en parlant de « petit-déjeuner au lit » vous maniez l’ironie qui n’aide pas à se constituer des opinions honnêtes, les élèves sont volontaires, ils veulent être à la hauteur, cela me paraît évident. Parlons maintenant de l’autorité, qui n’est pas attaquée en tant que telle, mais par son exercice complètement inapproprié lors de démonstrations sur le terrain d’entraînement. Je vous donne un exemple basé sur un témoignage fiable : le chef se tourne rapidement vers la candidate policière pour lui envoyer un coup dans l’estomac : « Voilà ce qui peut vous arriver quand vous n’êtes pas sur vos gardes ». Dans ce jeu de rôles, le chef est donc le malfaiteur d’une seconde à l’autre, après avoir été l’enseignant dans une relation basée sur la confiance. En réalité cet homme n’est pas un malfaiteur fictif, mais un chef imbécile à qui l’on a confié la tâche d’enseigner. Le Berger allemand qui suivrait ce genre d’entraînement finirait pas mordre son maître… Je vous incite à réfléchir plus sur les moyens d’obtenir une police forte n’ayant pas de problème dans les rapports d’autorité.

  3. L’argumentation est un peu faible, elle tient surtout parce que la criminalité en Suisse reste celle des cols blancs ou autres escroqueries, de problèmes domestiques, ou du fait d’individus isolés.

    Si on prend une situation similaire à celle du Mexique, avec une criminalité organisée à grande échelle et de l’utilisation systématique d’armes de guerre, avec une violence extrême, la différence entre la police et l’armée devient très, très floue. La seule différence entre la police et l’armée à mon avis est que la police est réactive, alors que l’armée est active: la police n’intervient que lorsqu’un individu transgresse une loi, elle réagit à un acte, alors que l’armée intervient dès l’identification de l’ennemi, sans attendre de lui qu’il agisse d’une manière ou d’une autre.

    Si des individus font du crime une activité quotidienne, que leur activité est faite au grand jour et aux yeux de tous, lorsque la transgression n’est plus à prouvée, car affichée et revendiquée, et que l’utilisation de la violence armée est explicite, que reste-t-il de la différence entre police et armée ? Lorsque le rôle de la police n’est plus de démontrer une culpabilité, mais uniquement de restaurer l’ordre et que cela ne passe plus que par la neutralisation de criminels pour qui tuer un policier est un acte normal, alors on passe à celui de l’armée.

    Je ne considèrerais pas la proportionnalité comme une facteur décisif: entre l’utilisation d’armes chimiques, nucléaires et conventionnelles, il existe aussi une graduation, entre tuer une militaire désarmé ou en possession d’une arme, il y a aussi une différence, une distinction du point de vue militaire, pour éliminer un soldat caché dans un village, on ne détruit pas le village sous une déluge de bombes.

  4. Comment se fait-il que personne ne comprenne la différence essentielle entre police (institution civile) et gendarmerie (institution militaire) ?

    1. Bonjour,

      je ne peux pas répondre pour des tiers.
      Mais, s’agissant de mon constat : … parce que les gendarmeries suisses (auxquelles je faisais référence dans mon dernier post) sont entièrement assimilées aux polices cantonales et ne répondent qu’à des obligations et des lois civiles. La différence subsiste que dans l’inscription – sur certains uniformes ; et véhicules pour le canton de Vaud – qui témoigne d’une facette historique. Dans le canton de Vaud, précisément, cette inscription, comme une singularité de caractère territorial, a été maintenue en distinction des huit polices régionales et de la Police municipale lausannoise (toutes dénommées polices communales).
      En France, depuis 2009, la Gendarmerie nationale a été placée sous la tutelle du Ministère de l’intérieur (notamment pour les enquêtes judiciaires) tout en conservant, en effet, des tâches militaires régies, quant à elles, par l’autorité du Ministère des Armées. En Italie, les Carabiniers sont une force militaire (police militaire) mais avec des missions civiles, etc. Les modèles allemands et autrichiens ou nordiques ou encore anglo-saxons sont encore différents.

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