Armes et espace public

“Acquérir une arme létale vous engage dans un processus lent et complexe pour aboutir à une action rapide. » C’est en ces termes que les policiers instructeurs de tirs, avec lesquels je collabore, introduisent leurs cours.

En effet, aucune arme de défense, qu’elle soit morale, politique, spirituelle ou létale n’est efficiente, à terme, sans qu’au préalable, son détenteur ait pu discerner son intention initiale, réfléchir son comportement et finalement entraîner sa parole, son geste et son attitude le long du processus d’apprentissage.

Une population porteuse d’armes au quotidien : une idée mort-née !

Bernard Wicht, Professeur à l’Institut d’études politiques, historiques et internationales de l’Université de Lausanne et invité du journal RTS La Première du vendredi 16 septembre passé (2016), est favorable au port d’armes généralisé, selon le principe de liberté accordée aux citoyens. Monsieur Wicht pense qu’il faut diffuser le port d’armes auprès de la population.

Ce principe pourrait me plaire. À priori, il me semble juste. Pourtant, à y lire les risques de plus près, son application détournerait la vocation de l’espace public.

Armer l’espace public nécessite l’arbitrage d’une autorité déléguée, reconnue par tous et détentrice du pouvoir d’interpellation.

Une autorité investie par nos soins et qui puisse nous rendre compte de chacun de ses gestes comme devra le faire cette policière de l’Oklahoma, aux Etats-Unis, ayant abattu un homme noir le 16 septembre passé (2016). Comment gérer les actions armées de personnes privés au sein de l’espace public, détentrices du pouvoir de neutralisation, sans qu’elles aient été investies et mandatées sous assermentation, sans qu’elles puissent bénéficier de formations continues, sans qu’elles soient dotées d’un pouvoir public et transparent ?

Que les populations soient responsables de leur défense, y compris en situation de paix, ne fait naître aucun doute en moi. Raison pour laquelle nous devons nous mêler de très près de la gouvernance de nos polices et de notre armée de défense. Nous devons aussi étendre les prérogatives et augmenter les champs disciplinaires de nos corporations policières.

Pourquoi alors ne suis-je donc point favorable à l’armement généralisé de la population ?

Armée de milice

En Suisse, plus de 180’000 adultes sont déjà armés, incorporés et prêts à nous défendre en cas de guerre. On peut y ajouter les milliers de membres des sociétés de tirs, les milliers d’amateurs et toutes celles et ceux qui ont épuisé leurs obligations militaires. La population adulte suisse est accoutumée aux armes et un grand nombre en dispose déjà.

Temps de paix

Nous ne sommes pas en guerre. La tentation politique – émotionnelle – d’imprimer la guerre sur nos fronts, depuis les attentats de Paris, est mortifère. Les menaces terroristes ne nous réduisent pas à la guerre. Aucunement. En ce sens, je partage l’avis de Michel Serres exprimé dans le quotidien Le Monde du 10 septembre 2016. En Europe, nous vivons des temps de paix comme jamais nous n’en avions connus. Prétendre le contraire, reviendrait à ignorer ce que représente le basculement et les ravages destructeurs de la vraie guerre. Celle qui vous déracine et broie vos lendemains, celle qui entrave vos libertés et votre dignité, de fond en comble. A ce que je sache, nos militaires ne contrôlent pas nos mouvements au bas de nos rues, dans nos quartiers. Darius Rochebin ne présente par le TJ en uniforme et le code pénal ainsi que les tribunaux sont toujours civils. Équiper d’armes létales les citoyens suisses reviendrait implicitement à reconnaître, dans les usages et coutumes de notre pays, l’entrée, de fait, en guerre. Ce serait forcer le scénario catastrophe, sans mesure aucune, et bousiller du jour au lendemain nos espérances et nos tentatives de prévention et d’éducation.

S’incliner et se coucher devant la propagande et les attaques des terroristes : jamais !

Il n’est pas question, pour moi et tant d’autres, d’accorder nos pas au rythme de danse macabre que ces cinglés tentent de nous imposer. Sans compter ces autres individus, esseulés et désabusés, qui se jettent sur la même piste de danse à la conquête d’un partenaire de mort.

Multiplicité des armes

Les armes sont diverses. Pas question pour moi non plus de désarmer les citoyens mais plutôt de promouvoir la multitude d’armes à notre disposition. Dans une démocratie vivante, la prévention des dégénérescences des conflits violents s’opère de mille manières et par des moyens, instruments et armes tels que le savoir, la transparence, l’initiative, le référendum, le service milicien non obligatoire et, entre autres, l’usage formé et encadré d’armes létales.

Je suis favorable au service militaire milicien mais pas à la généralisation du port des armes.

Pas de confusion entre sphère privée et espace public

L’espace public ne saurait succomber aux velléités privées de quelques téméraires.

Nos bibliothèques sont ouvertes et libres d’accès, nos écoles, nos institutions, nos fondations culturelles battent le plein… Ne disposons-nous pas d’armes suffisantes pour résister à la tentation de nos peurs ?

Enfin, en relation à la posture policière, je suggère d’armer nos comportements et de réduire les risques mortels d’accidents de voiture, de pollution, d’incendie, qui, à ce jour, comptabilisent des probabilités bien plus fortes de nous atteindre de plein fouet qu’une attaque terroriste. Je ne minimise pas les menaces terroristes et leur augmentation mais je refuse de m’y soumettre.

Oui, je l’entends cet instinct qui clame l’action fortuite pour taire les assauts d’un tireur fou déboulant sur la terrasse de mon café. Je l’entends. Je la comprends. Dans ce cas hypothétique, la dégaine de mon arme automatique que je devrais avoir sur moi, après me l’être procurée, et l’avoir révisée, et chargée, tout en la protégeant du tempérament joueur de mes enfants, engendrera tout au plus un vaste business sournois et une lourde régulation juridique, ce, au détriment de notre vivacité démocratique.

L’entreprise est disproportionnée.

Ne greffons pas une deuxième tête d’armement industriel et généralisé sur le monstre terroriste.

 

Libérons les policiers de tout maintien d’ordre !

(3 minutes de lecture)

(Le féminin est compris dans le texte)

Une activité chronophage

Le maintien d’ordre engloutit des milliers d’heures d’entraînement et de présence, fort onéreuses. Ce, au détriment des urgentes et complexes investigations des milieux et réseaux pédophiles, terroristes et extrémistes de tous bords.

Le maintien d’ordre éloigne le policier de ses missions essentielles que sont la prévention, la protection des personnes, l’accueil des plaintes, l’enquête, l’interpellation et la garde à vue (appelée aussi arrestation provisoire ou de courte durée). Voir Habilité du policier suisse.

Le maintien d’ordre n’est pas une nécessité policière

A l’examen des principales compétences de police, notamment celles nécessitant un solide secret de fonction, le maintien de l’ordre est bel et bien une des tâches que l’on pourrait soustraire sans conséquences néfastes. La prestation du maintien d’ordre est étrangère à l’intrinsèque vocation des polices de bien public. Elle se réfère à des tactiques militaires et fait appel, dans les situations extrêmes, à des modes opératoires qui s’apparentent à une forme de guérilla urbaine.

Qui pourrait s’en charger alors ?

Des agents d’Etat assermentés, autres que policiers, pourraient se charger des opérations de maintien d’ordre, accompagnés qu’ils seraient de quelques policiers judiciaires ou tacticiens.

Par exemple, en Suisse, les Assistants de Sécurité Publique Niveau 3. (ASP3), moyennant un complément de formation, seraient tout à fait aptes au maintien d’ordre lors de manifestations publiques ou sportives. Ils seraient encadrés par des policiers expérimentés qui, le cas échéant, procéderaient aux contrôles, fouilles ou interpellations. Ces ASP3 sont des auxiliaires de police aux compétences variées (voir l’exemple genevois). Il sont uniformés et armés.

Quatre avantages d’intérêt public

Je vois quatre avantages à libérer nos policiers de terrain de tout maintien d’ordre lors des manifestations publiques.

  1. Soulager les ressources humaines et les dépenses publiques. Transférer le maintien d’ordre préserverait les forces policières judiciaires, d’enquête, de proximité, de prévention des violences et déprédations, de sensibilisation et de protection de l’environnement.
  2. Encourager et faciliter l’entraide intercantonale. Les différentes directions et corporations de polices pourraient plus facilement mettre à la disposition de leurs pairs et voisins le personnel non policier affecté au maintien de l’ordre sans obliger les policiers en exercice à interrompre le fil des enquêtes et des procédures en cours.
  3. Élargir le rayon dissuasif. Confier le maintien de l’ordre à des agents professionnels (exemple : les ASP3 – voir plus haut) et/ou à des miliciens de sécurité publique formés et assermentés permettrait encore de diversifier l’identité des interlocuteurs de sanction et par là même de renforcer la dissuasion.
  4. Maintenir l’autorité de l’État de Droit. Ces agents d’État s’investiraient, en dehors des mobilisations de maintien d’ordre, dans diverses tâches de surveillance, de protection et de rétention. Les Assistants de Sécurité Publique le font déjà dans plusieurs cantons. Ainsi, la parenté policière d’une commune ou d’un canton s’en trouverait enrichie.