Lire également le blog de Suzette Sandoz – Le grain de sable – et son sujet intitulé « Fathi Derder a raison : la sécurité n’est pas un droit. » du 29 novembre 2015.
L’humanité a été tragiquement amputée de plusieurs centaines de ses membres à Beyrouth, à Paris, à Bamako, en Egypte et ailleurs. L’état d’urgence a été proclamé chez nos voisins. Chez nous, il sera bientôt question de renforcer, ou non, les moyens mis à disposition de nos services de renseignements. Plus loin, on trie les humains aux frontières. Et quelques trublions, aux États-Unis, proposent de durcir les techniques d’interrogatoires… Les décisions, les propositions et les opinions fusent. Notamment, celle qui prétend que la sécurité est un droit. Plus qu’une maladresse, il s’agit d’une erreur.
La sécurité est un lent processus d’État, né de son devoir de nous protéger, mais ne saurait être garantie.
Imaginer que la sécurité puisse être un droit des citoyens est tout au plus un fantasme d’ancienne garde militaire. Déclarer solennellement les droits fondamentaux au sortir de la deuxième guerre mondiale, puis les traiter entre nations et, enfin, les signer n’ont pas empêché le sang de couler. Malgré tout, ces ratifications offrent à chacune et à chacun d’entre nous, quelque soit son statut et son niveau social, une référence universelle, écrite, enseignée et revendiquée à toute heure.
L’application de ces droits est-elle confiée aux États ? Oui. Les États, par les moyens de prévention et d’action, sont bien les gardiens et les détenteurs des Droits humains.
La respiration de ces droits est clairement étatique.
L’aspiration, quant à elle, est citoyenne.
Respirer, aspirer. Rien de l’un sans l’autre. Veillons donc à ne pas asphyxier ni à hyperventiler notre démocratie. Maintenir son souffle, comme celui permettant à tout citoyen de recourir auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme contre son propre État. Ainsi, les Droits de l’Homme équilibrent le rapport des forces entre la personne et l’État.
Les Droits humains fondamentaux nous protègent mais ne nous épargnent pas. Ils n’ont pas la faculté de prolonger biologiquement nos vies ni d’empêcher des catastrophes naturelles de s’abattre sur nous et encore moins de nous contraindre à vivre sous cloche, à l’abri hypothétique de toute insécurité.
L’État ne peut pas mettre sous cloche protectrice ses citoyens et ses résidents sans corrompre son intrinsèque légitimité.
Eriger la sécurité en un droit présente un autre danger pour l’État : celui de produire du résultat coûte que coûte en abusant de son pouvoir. En effet, dans l’échelle de gravité des fléaux qui affectent notre humanité, la torture institutionnelle commise par des représentants d’État occupe le plus terrible des rangs. Les actes cruels, inhumains et dégradants défigurent nos semblables et l’humanité à laquelle nous appartenons. C’est pourquoi les tortionnaires (militaires et policiers) que j’ai rencontrés se sont autodétruits. Ils se sont enchaînés à leurs victimes dans les traumas de l’innommable, parfois jusqu’au suicide. Ceux-ci me confiaient souvent n’avoir pu déceler le piège qui s’était refermé sur eux. Celui qui produit l’étrange illusion de pouvoir sécuriser le monde à sa façon. Un monde apparemment sûr, mais qui, dans les situations ultra-sécurisées pour ne pas dire totalitaires, engendre en son sein des monstres inhumains, incontrôlables. L’État a beaucoup à faire pour prévenir et évaluer le comportement et les gestes de ses agents de sanction. Il ne peut pas se prémunir contre tous les dangers exogènes, volontaires ou non. L’État peut se défendre ou plutôt appeler à se défendre par nos engagements spontanés et notre ultime mobilisation militaire mais ne peut pas éviter que le malheur ne s’abatte sur lui, donc… sur nous.
La sécurité est un moyen. Et, dans les cas privés de sinistres, les dédommagements s’achètent avec un contrat privé appelé « police » – ça ne s’invente pas – d’assurance. Quelqu’un peut-il m’expliquer comment garantir le droit à la sécurité des membres d’une collectivité ? Sécuriser l’individu contre qui, contre quoi ? Contre un déchaînement meurtrier de la nature ? Contre les actes terroristes ? Lesquels ? Ceux opérés insidieusement par un membre de son pays, de sa communauté, de son quartier, de sa famille ?
La promesse d’un monde sécure ferait le jeu d’une idéologie surpuissante et déshumanisante. Le devoir et la conscience civiques des individus, citoyens ou pas, appellent, quant à eux, un vrai droit.
Un droit qui se gagne dès l’entrée en scolarité obligatoire : l’éducation !
Une éducation qui nous apprend à vivre ensemble, en toute égalité, avec auto-critique, multi-culturalité, transparence historique et ouverture sur le monde…
C’est, sans nul doute, bien ce droit qui nous permet(-tra ?) de cultiver le meilleur antidote contre les fanatismes, religieux y compris.