Privatiser la sécurité, suite

(Le féminin est compris dans la forme du texte.)

Le convoyage des détenus sera entièrement privatisé à Genève. Dès le 1er novembre 2015, une société privée de sécurité assurera l’entier de cette mission en lieu et place des agents de l’Etat (RTS – 27. 10. 2015). Il se pourrait bien que d’autres tâches de surveillance carcérale soient confiées au secteur privé (Le Temps – 05. 11. 2015).

Lire également le blog de Michel Porret La ligne de mire – et son sujet Privatiser la sécurité du 31 octobre 2015.

Une personne détenue, quelque soit l’avancement de la procédure, avant, pendant ou après condamnation, ou relaxe, est placée sous l’autorité de l’Etat. Ici, placer veut dire contenir et, en substance, éviter les fuites, les collisions d’enquêtes ou toute manifestation de vengeance d’éventuels complices ou adversaires à l’encontre de la personne privée de liberté.

Que dire de la volonté de l’Etat de mieux protéger sa population, de mieux gérer le monde carcéral et ses flux si elle se manifeste par une forme d’impuissance à les produire de ses propres moyens ?

Les arguments financiers et d’employabilité du personnel sont connus. Ils ne forgent pas la démocratie. Encore moins dans un contexte où les débats sécuritaires surchauffent les préjugés et les interprétations.

Cette décision souffre d’une autre incohérence, plus sensible, située en amont de l’immersion professionnelle : la formation de base de ces agents d’Etat et son contenu pédagogique.

A l’heure actuelle, former – instruire devrais-je malheureusement dire – aux métiers de sanction, d’ordre et d’armes semble facile.

Vous mettez les recrues commandées en rang et le « bon-beau-public » se laisse glacer. Mais, cultiver le sens de l’Etat, saisir jusqu’au fond de ses tripes les quêtes universelles de justice et d’équité forgées dans le sang et la sueur de nos prédécesseurs… celles qui vous donnent le désir et la force de vous remettre en question, de monter au front, de braver le danger et de défendre des intérêts bien supérieurs à ceux qui prévalent dans l’économie ou au sein des fractions politisées… ça, je peux vous l’affirmer sur pièce, par centaines et par milliers, c’est un tout autre défi. Les modèles sont rares.

Et, à quoi bon ? Peuvent rétorquer, aujourd’hui, les Assistants de Sécurité Publique d’Etat, auxiliaires de police assermentés et dotés de pouvoir d’autorité ; demain, les agents de détention d’Etat, assermentés eux aussi, s’ils doivent les uns après les autres céder leurs places à des employés d’entreprises privées, aussi efficaces soient-il ?

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com