Le carré suisse : des enseignements pour la police ?

Le Carré « Swiss made » ne tourne pas rond

Sollicité, tout récemment, par plusieurs hauts cadres policiers suisses, pour repenser et refondre les toutes vieilles stratégies militaires de maintien de l’ordre en de nouvelles dispositions policières civiles, j’ai choisi de sonder l’histoire.

Notre histoire.

Comprendre le passé pour ne pas perdre son chemin dans l’avenir. A cette occasion, j’ai redécouvert le fameux « Carré suisse ». Examinant de près cette tactique de défense qui forgea la réputation guerrière des Confédérés mercenaires du 14ème au 16ème siècle,  j’ai été frappé – si je puis dire – par l’ingéniosité de nos devanciers.

Le « Carré helvétique » était formé dans son pourtour extérieur de soldats équipés de longues piques, utilisées pour arrêter les charges de cavaleries. Cette garde périphérique formait une ceinture protectrice et entourait les soldats hallebardiers positionnés au centre.

Au moins trois règles dictaient et animaient leurs actions.

 

  1. La problématique change, le chef change.

Comme première règle, les hommes choisissaient un capitaine dans leurs rangs, quel que soit son grade, au jour le jour, bataille après bataille. Ils privilégiaient celui qui détenait la meilleure idée du moment, celui qui appréhendait le mieux la configuration du terrain, celui qui était dans sa pleine capacité physique et psychique le jour “J”.

 

  1. La force de la différence.

La deuxième règle consistait à respecter et à mélanger, tout à la fois, les origines culturelles et religieuses des uns et des autres, d’un canton à l’autre, d’une ligue à l’autre. En ligne, à mes côtés gauche et droite, les voisins du village et en colonne, devant et derrière moi, deux inconnus ; ceux-là même qui prient dans une autre langue.

 

  1. Croire en l’issue, toujours.

Alors que la troisième condition fixait un point de ralliement au terme du combat, en un lieu précis, à retrouver impérativement et en santé si possible, prétexte à en découdre au plus vite.

 

Ce sont là des pistes qui pourraient être utiles pour redéfinir les stratégies de maintien de l’ordre au sein de nos corporations. Déjà qu’aujourd’hui, en des lieux incertains, la récupération de techniques militaires mortifères affaiblit les missions de police, si au moins nous profitions de l’enseignement de l’histoire…

Tourne le monde.

 

 

Pour ou contre les caméras portées sur le corps des policiers ?

Pour ou contre les caméras portées sur le corps des policiers ?

Je suis contre.

Non aux caméras et oui à la parole du policier assermenté.

Les rajouts successifs de combinaison et de matériel divers n’annoncent rien de bon dans ce métier de l’humain. Ils peuvent soumettre le policier à une forme d’esclavagisme technologique. Suivant cette logique, l’agent des forces de l’ordre sera bientôt remplacé par des robots.

En même temps, je comprends tellement bien cette inclinaison technique. Elle vient compenser un manque de confiance de la part de certains citoyens. Et mon petit doigt me dit que plusieurs d’entre- eux n’ont peut-être pas tout à fait tort… Je connais aussi, de cas en cas, les dérives de policiers recrutés par faiblesse ou incompétence, frustrés et violents. A cela s’ajoute, parfois, des formations lacunaires et une responsabilité diluée dans une pléthore d’échelons hiérarchiques.

Sous le joug de ces lacunes, je préfère encore que la majorité des agents puissent porter une caméra sur eux et faire valoir une preuve d’innocence après plainte du public ou doute de la hiérarchie.

Ou, à l’inverse, que le pouvoir judiciaire et mieux encore, qu’une instance neutre et indépendante, puisse démontrer la malveillance ou la maltraitance commise par une minorité d’agents.

En troisième voie, l’enregistrement son et image pourrait être utilisé en formation afin de corriger des maladresses, le cas échéant. L’erreur n’étant pas la faute ; traitée aux côtés de ses pairs puis corrigée, elle permet de progresser. Alors que la faute doit être sanctionnée.

C’est pourquoi j’ai une condition au refus d’en rajouter sur le poitrail du policier : avoir la certitude que les gestes de ce dernier obéissent aux fondements démocratiques et aux valeurs universelles de notre Etat de droit. Aujourd’hui encore, des policiers recruteurs et instructeurs semblent se moquer de notre Constitution, celle-là même qui justifie leur existence et les emploie. Et, à voir les tatouages et signes de mort ou de violence sur la peau et sur les doublures d’uniformes de ces quelques policiers, malheureusement encore trop nombreux, je crains que nos corporations héritent de caméras, tôt ou tard.

 

A quoi reconnaît-on un policier ?

… à son uniforme ?

Certainement pas, les inspecteurs de la police judiciaire, par exemple, n’en portent pas.

… à son assermentation ?

Non plus. Huissiers, officiers d’Etat civil, experts de l’administration fiscale, gardes-faunes et j’en passe, suivant les cantons, engagent de façon exceptionnelle l’Etat et sont assermentés.

… à son arme ?

Non, sans être policiers, nombre d’agents d’Etat attachés aux questions de sécurité publique ou à la protection de la population sont équipés d’armes diverses.

 

Quel est alors le signe de reconnaissance d’un policier ?

… sa carte de légitimation ?

Oui, certainement. Même si des inspecteurs du fisc, des travailleurs sociaux ou des agents d’exploitation de transports publics dans plusieurs municipalités ou cantons suisses portent des cartes de police sur eux.

 

Le policier dispose-t-il de pouvoirs exclusifs permettant de le distinguer des agents d’Etat, des autres fonctionnaires assermentés et des autres porteurs d’armes ?

Oui, il dispose du pouvoir de coercition lui permettant d’user de la contrainte, de la force jusqu’à la privation momentanée de la liberté d’une personne interpellée. Ce premier pouvoir n’est pas totalement exclusif car d’autres professionnels de sanction peuvent en user partiellement. Cette capacité opérationnelle est maîtrisée, sous nos latitudes, par la proportionnalité, le respect absolu de l’intégrité physique, psychique et morale de la personne retenue et par l’énoncé des motifs de l’arrestation provisoire.

Le moyen de discrétion est, quant à lui, exclusif au policier d’Etat. C’est un pouvoir qui est souvent lié aux opportunités qui s’offrent à l’agent de prévenir, ou non, une situation dégénérescente ou d’appréhender, ou non, un contrôle. Ce deuxième pouvoir permet au policier de discerner un danger imminent, de sélectionner une personne soupçonnée d’infraction ou signalée comme pouvant nuire à la paix sociale, mais aussi de faire choix d’initiative dans un lieu donné et vis-à-vis d’un groupe d’individus en particulier. Ce pouvoir présente néanmoins des risques d’abus importants. C’est pourquoi il est maîtrisé par le devoir de non discrimination négative. Sous-entendu que la discrimination professionnelle (ou positive) est autorisée et se justifie dans l’intervention. En effet, le policier produit une forme de discrimination professionnelle positive quand il recherche une personne en fuite sur la base des signalements transmis par sa centrale. Il pourrait s’agir d’un jeune homme aux cheveux blonds et mi-longs, pantalons rouges, soupçonné d’un vol à la tire, par exemple. Le policier « discrimine » aussi quand il contrôle des résidents occasionnels dans un hall de gare ou un automobiliste sur vingt. Il ne saurait le faire sur la base de critères dénués d’indices criminalistiques.

 

Enfin, le policier est-il le représentant de la loi le plus probant ?

Comme vous vous en doutez : non. Bien d’autres agents d’Etat représentent et appliquent la loi comme les préfets dans plusieurs cantons, les magistrats, les juges ou encore les officiers d’Etat civil. Par contre, il est vrai que le policier reste représentant prioritaire de nos droits. Car le policier est avant tout notre protecteur civil en situation de paix. Il est le premier – et le seul sur la voie publique – détenteur institutionnel des Droits humains. Nul autre que le policier, au jour le jour, peut préserver notre innocence, nous conduire au procès équitable et garantir notre intégrité physique, psychique et morale.