En France : le maintien de l’ordre, une lente agonie policière.

Le mardi 28 mars passé, notre voisin de pays assistait ou participait (subsidiairement) à la dixième journée de grève nationale contre la réforme des retraites. Un sentiment d’impuissance, de magnitude nationale, prédominait alors.

(2 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte – 127ème post)

La gestion des foules : un véritable défi sociétal

La gestion des foules représente l’un des plus grands défis des polices européennes du 21ème siècle, aux côtés des spectres contemporains que sont le réchauffement climatique, les pandémies, la guerre, les flux migratoires et l’intelligence artificielle.

En France, la liberté de manifestation est enrayée par l’incapacité de sa police nationale à prévenir les dégénérescences. Ses seules démonstrations se résument à la réaction et à la confrontation, signes de faiblesse.

Les voyous ne méritent pas qu’on leur ressemble

L’ambivalence atteint son paroxysme lorsque des membres des forces de l’ordre se comportent à leur tour comme les voyous auxquels ils font face. Le tableau sociétal se trouble, les références existentielles de l’État de Droit vacillent, nos valeurs universelles sont bafouées par ceux-là même qui les représentent, les détiennent et sont censés les garantir.

C’est alors qu’un puissant dilemme apparaît. Les pesées d’intérêt s’annihilent.

Que des voyous puissent se comporter ainsi est évidemment intolérable et les forces de l’ordre doivent les référer en justice. Que des policiers puissent se comporter en voyous pose d’autres questions, beaucoup plus fondamentales :

Quelle police avons-nous construite, financée, cadrée et formée ?

Qui déférera les auteurs de délits et de crimes, parmi les policiers, à l’autorité judiciaire ? Et par quel instrument indépendant et distancié ?

Le destin d’une République

Tout le monde l’aura compris. Le destin de l’État République n’appartient pas aux casseurs ni aux infiltrés violents, mais bel et bien à ses représentants d’ordre… pour autant que ces derniers soient dotés de toutes les capacités à l’honorer (honorer le destin évolutif d’une Nation), dans la proportionnalité de leurs actes, dans le respect de l’intégrité physique, psychique et morale des individus, dans la règle absolue du vouvoiement* et le respect intégral de la liberté d’exercer des médias.

Les expertises sont flagrantes. Abandonner les terrains de guérilla et en substance, mettre à l’abri les personnes les plus vulnérables, afin de garantir coûte que coûte le droit de manifestation, déclaré ou non (pour autant que le rassemblement ne soit pas interdit), reste l’étalon de mesure de toute police d’État de Droit qui se mérite.

Lire mes opinions parues le 7 juin 2022 – Repenser le maintien de l’ordre, une urgence française, dans le quotidien Le Temps.

et le 29 mars 2023  – En France, le discrédit d’une République, dans le quotidien Le Temps.

Vu de Suisse – violences policières – reproduit dans le Courrier International du 03 avril 2023.

 

*Les policiers ont-ils le droit de tutoyer les civils ? “C’est le vouvoiement” qui prime, tranche Agnès Thibault-Lecuivre, cheffe de l’IGPN (Inspection Général des Services de Police Nationale), le 27 mars 2023.

 

 

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

18 réponses à “En France : le maintien de l’ordre, une lente agonie policière.

  1. Vous abordez-là un point absolument crucial: quel est le rôle de la police dans une situation de faillite démocratique? Maintenir l’ordre… mais quel ordre? Rappelons qu’historiquement en France, le politique a voulu compenser la diminution des effectifs (-13000) par l’armement des policiers (Flash-ball). En d’autres termes, compenser l’efficacité par la violence. Le premier éborgné est un lycéen qui manifestait contre une réforme de l’enseignement dans les jardins de l’académie…
    Dans l’évolution qui a suivi, on peut difficilement ne pas voir une volonté de dissuader les opposants de faire usage de leur droit de manifester par une augmentation de la violence et des risques de blessures, de mutilation voir de mort.
    La police contre la démocratie? Ce serait justifier toutes les violences.

    1. Bonjour et merci pour votre commentaire.
      Manifester est une noble activation démocratique malgré les risques encourus et les mauvaises intentions de certain.e.s. La police devrait avant tout être déployée pour protéger les manifestant.e.s et leur liberté de ton et d’expression. L’inversion des paradigmes à laquelle nous assistons est, en effet, dangereuse et contre-productive à terme. Aussi, je constate de grandes lassitude et fatigue dans les rangs policiers – tels que me le rapportent directement nombre d’agent.e.s concerné.e.s. Cette dégradation du climat au sein de la corporation ne fait qu’attiser la haine et que durcir les fronts.
      Frédéric Maillard

      1. “Aussi, je constate de grandes lassitude et fatigue dans les rangs policiers”

        Je vous invite à lire:

        https://www.blick.ch/fr/news/suisse/la-federation-suisse-de-police-veut-sevir-les-casseurs-qui-sen-prennent-aux-forces-de-lordre-ne-comprennent-que-la-fermete-id18457879.html

        “Quelles sont les mesures à prendre pour prévenir la violence contre la police?

        Nous sommes fermement convaincus qu’il faut agir avec fermeté face à de telles agressions et à de lâches attaques contre nos collègues. Malheureusement, ces personnes ne comprennent que ce langage.”

  2. Bonjour,

    ” la liberté de manifestation est enrayée par l’incapacité de sa police nationale à prévenir les dégénérescences.”

    Pas mieux chez nous. Et pourtant à une échelle de violences des manifestants moindre …

    Je critique particulièrement notre incapacité à défendre nos services de renseignements dans les médias…, alors que notre police cantonale la mieux dotée a été incapable d’anticiper, avant 22h15, une manifestation violente pour le soir même. Comme si des centaines de manifestants violents avaient spontanément eu l’idée de se réunir et de casser.

    Résultat?
    17 arrestations, pour 7 !!!!!!! policiers blessés…

    Heureusement que nous n’avons pas de chaîne d’informations en continu pour se moquer de nos lois et de nos impuissances… et pour montrer nos policiers blessés.

    https://www.stadt-zuerich.ch/pd/de/index/stadtpolizei_zuerich/medien/medienmitteilungen/2023/april/verletzte_polizistinnenundsachschaedennachausschreitungenind.html

    https://www.srf.ch/news/schweiz/unbewilligte-demonstration-linke-chaoten-verletzen-in-der-stadt-zuerich-mehrere-polizisten

    https://www.nzz.ch/zuerich/gewaltexzess-an-langstrasse-die-stadtpolizei-zuerich-ahnte-nichts-ld.1732951

    1. prôner la fermeté par crainte… votre lâcheté ne mérite pas mieux que le gouvernement que vous semblez souhaiter, une dictature.

  3. En fait , le pb est plus compliqué que cela . Déjà ,il faut dire que la violence a nettement augmenté en France suite aux GJ et le démarrage a été …la dégradation de l’ Arc de Triomphe en déc 2018 par des GJ : à partir de là , un cycle s’enclenche , l’Etat ne peut se permettre un autre événement de cet ordre . Et puis , cette” violence” policière est en réaction à une violence politique ( ultra-gauche , Nupes ) qui amène à une radicalité inconnue ailleurs en Europe : “Tout le monde déteste la police” est d’une absurdité sans nom ; comment un policier réagit-il en entendant cela ? parfois , il disjoncte , soumis à un stress énorme . La France est en proie au séparatisme et cette “violence policière” n’est qu’un symptôme parmi d’autres d’un pays au bord du chaos parce qu’il n’a pas l’intelligence , la culture nécessaire ,pour discuter de façon raisonnable et apaisée ( combien de fois la rue croit jouer un remake de la Révolution alors qu’elle n’est que le jouet de “tribuns” capables de dire n’importe quoi ) .

  4. Vous accusez les policiers d’agir « comme des voyous », quels éléments concrets vous permettent d’écrire de telles accusations? De preuves svp.

    1. Allez regarder les vidéos qui circulent sur internet (mieux vaut éviter CNews en effet…).
      Honnêtement le terme voyoux n’est pas usurpé. Si vous souhaitez vraiment comprendre, vous irez faire les recherches vous-même en tapant, par exemple, “violence policière en France” sur youtube et éviter de cliquer sur les vidéos qui sont là uniquement pour faire le buzz. N’ayez pas peur non plus de visionner des vidéos d’analyses de la situation et du déroulement précis des évenements à Sainte-Soline par exemple, pas uniquement des idées biaisées que vous pourriez trouver au premier coup d’oeuil.

      1. Trois véhicules de police incendié, des centaines de cocktails molotov, battes de baseball et boules de pétanque saisies tout comme des blocs de ciment garnis de clous…..
        Qui est violent et venu pour casser à une manifestation interdite!!!!!

        1. Interview de l’agriculteur:

          https://www.leparisien.fr/faits-divers/video-peu-de-monde-sest-demande-comment-nous-on-le-vivait-en-pleurs-un-agriculteur-de-sainte-soline-raconte-son-desarroi-apres-les-affrontements-06-04-2023-U4P7HMBVXBA23OS7IY5GBWH2RY.php#xtor=AD-1481423553

          “Je regrette beaucoup qu’il y ait eu des blessés, mais personne ne s’est demandé comment nous pouvions vivre cela, nous agriculteurs. De voir nos outils de production saccagés, nos équipements détruits », témoigne Emmanuel Villeneuve, les larmes aux yeux. Cet agriculteur des Deux-Sèvres qui doit bénéficier du projet de bassine, est encore sous le choc deux semaines après le rassemblement d’une violence extrême contre les mégabassines. « Ce n’est pas comme ça que ça devrait se passer, ça devrait se faire autour d’une table pour discuter comme nous le faisons, pas en détruisant les outils des autres », poursuit l’agriculteur, qui cultive plus de 150 hectares à Saint-Soline.

  5. Bonjour. Le “maintien de l’Ordre” en France, par la violence, n’est malheureusement pas une nouveauté. Dans ce domaine, le pays a même une forte tradition. On pourrait par exemple rappeler, les meurtres d’Algériens en 1961, c’est à dire il y a plus de 60 ans. Tout comme ceux de nombreux manifestants au fil du temps (Vital Michalon, Malik Oussekine, etc.). Et à aucun moment le Ministre de l’Intérieur concerné, ou son collègue de la Justice, n’a voulu traiter le dossier. Soit ils ont couverts les faits (“si j’avais un fils sous dialyse je l’empêcherais de faire le con dans la nuit”), soit ont affirmé que ce n’était que des actes individuels, et non systémiques. Comme s’il était anodin, d’aller “maintenir l’ordre” en refusant de porter son RIO.

    Après, la rupture entre police et population, s’est aussi établie au fil du temps, par des décisions politiques de “rationalisation”. Ainsi, il y a 35 ans, quand j’étais étudiant, dans ma ville il y avait un commissariat par quartier. Et les policiers étaient dans la rue, faisant par leur simple présence de la prévention. Ils passaient d’ailleurs de commerce en commerce pour parler avec les commerçants. Aujourd’hui, ils se sont bunkerisés dans l’Hôtel de Police, leur ronde étant remplacée par des caméras. Sauf que les caméras ne font pas de la dissuasion. Elles servent tout au plus à aider à la résolution de délits et crimes. Il n’y a donc plus de relation avec les policiers. D’autant que les rares qu’on peut croiser dans la rue, sont “armés jusqu’aux dents”. Et la prochaine étape de cette dégradation du rôle du policier est déjà en cours, avec la privatisation pure et simple de leurs activités. C’est déjà ce qui commence avec le stationnement. Et qui sera étendu petit à petit aux autres tâches. Comme cela c’est déjà fait entre la Police Nationale et les milices rurales (polices municipales).

    Sauf que, ce qui a changé aujourd’hui, et qui amplifie encore le gouffre qui se crée entre population et police, c’est la présence des téléphones portables. Car maintenant nombre de leurs dérapages sont filmés et diffusés avec une large audience sur Internet. C’est d’ailleurs ces affaires, et uniquement celles-ci qui entrainent l’ouverture d’investigations judiciaires. Et c’est aussi pour cela qu’il y a eu une tentative d’interdire de filmer des policiers en action. Pas de film, pas de violence policière!

    1. Euh, vous semblez inverser les rôles! Si les forces de l’ordre sont présentes en masse c’est pour empêcher les black blocs et autres casseurs de tout saccager !!!!

  6. J’aime à vous lire et vos réflexions devraient être enseignées en France . Malheureusement, nous avons une police trop sous influence politique et cela s’avère assez catastrophique, surtout dans le maintient de l’ordre lors de manifestations . Les relations entre Police et organisateurs se sont améliorées ces derniers temps, le nouveau Préfet de Police de Paris ayant changé de méthode . Après, il existe en France des éléments violents qui interviennent pour “casser” du flic et les symboles du “capitalisme” sans discernement . Cela s’est produit à Lyon où j’habite ces 15 derniers jours . Il s’en est suivi un jeu du chat et de la souris peu agréable pour les habitants des quartiers concernés avec plus ou moins de dégradations après une soirée très agitée et des dégradations importantes du seul fait des manifestants .
    Alors si quelques policiers “pètent les plombs”, la fatigue y est sûrement pour beaucoup avec le stress .
    Quand à la manifestation de Sainte Soline, on était dans une bataille rangée où la défense du terrain était le fait de la police ( gendarmerie ici ) . Ils ont plutôt bien fait le travail et je ne pleure pas sur les manifestants blessés . Il y avait aussi un manque de Service d’Ordre efficace des manifestants pacifiques présents . Mais je pense que pour eux, cela se finit en un échec cinglant alors qu’ils aurait pu gagner les faveurs de l’opinion si les éléments violents avaient été exclus dès le départ . Les proximités idéologiques et l’acceptation d’une violence limitée mais réelle par différents groupes ont permis ce désastre .

      1. Nous sommes ici typiquement dans la gestion non démocratique d’un projet hautement politique. Le projet de rétention d’eau est soupçonné, non sans argument, de n’être qu’un paravent pour priver la collectivité de l’eau contenue dans les nappes phréatiques au profit de quelques agriculteurs pratiquant la culture extensives, ceci tout en générant des pertes par évaporation. A défaut de consultation, tout ce qui reste au public lésé est de se réunir pour manifester son opposition. La chose qui peut paraître découler d’un droit naturel (se réunir et manifester son opinion), mais que le gouvernement interdit…
        A partir de là, le clash est programmé.
        Le piège est bien là: lorsque le lien de confiance entre la population et l’autorité est rompu, qu’y a-t-il encore de légitime à défendre? Les gardes Suisses s’en souviennent encore…

  7. Bonjour,
    si la France avait un système parlementaire (a la Suédoise ou a l’anglaise) les MP (membres du parlement) opposition ou même la majorité pourraient poser des questions “embarrassantes mais porteuses de progrès” en session plénière. Ici il existe un lien entre les violences et le système présidentiel français qui permet toutes les dérives, puisqu’il ne responsabilise pas.

    Quand a l’institution policière, comme l’église elle se protège… en couvrant les crimes des flics ripoux.
    Un “bon flic” ne peut hélas pas sans risques témoigner des crimes de “mauvais flic”, Mr. Darmanin (ministre de l’intérieur) a même essaye de faire passer une loi criminalisant photographier des policiers en action…répréhensible ! Loi scélérate fort heureusement retoquée par le conseil constitutionnel.

    Ici la relaxation entre le système politique et une police respectable me semble essentielle a connaître.

    1. Révisez vos références, les parlementaires ont le pouvoir de poser toutes les questions au gouvernement et institutions tout comme ils peuvent mettre en place des commissions d’enquête qui ont accès à toutes les informations et peuvent demander à auditionner n’importe qui, y compris les ministres en fonction.

      L’interdiction de filmer et photographier des policiers résulte de la situation passée ou des voyous ont diffusé les photos de policiers et que ces derniers et leurs familles ont fait l’objet de menaces de la part de voyous trafiquants. Des policiers qui enquêtaient sur des trafics de stupéfiants ont été tués chez eux à leur domicile par ces trafiquants.
      Merci de cesser de défendre les voyous au lieu de défendre ceux qui tentent d’éviter les pillages de magasins et vandalisme lors de manifestations.

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