Il en est un de plus, parmi les experts externes aux polices, qui est évincé en raison de son opinion. Dans l’exemple de Sebastian Roché, décrit ci-après, nous nous situons en France, où les critiques du sociologue de police à l’encontre de certaines pratiques policières – jugées trop violentes – lors de manifestations des gilets jaunes lui coûte sa place d’enseignant.
(3 minutes de lecture – le féminin est compris)
La critique est muselée
L’éviction du chercheur et formateur de polices, Sebastian Roché
Le sociologue français Sebastian Roché a été écarté par l’École nationale supérieure de la police, où il intervenait en tant qu’enseignant depuis 1993. Spécialiste des rapports “police et population” et chercheur au CNRS, il a osé critiquer. (Voir lien actif à france culture du 29 août 2019)
Tel est pourtant ce qu’une démocratie vivace peut espérer de mieux de la part d’un intervenant extérieur. “C’est en France, avec son pouvoir princier, cela ne saurait intervenir en Suisse fédérale…” dixit mon entourage professionnel policier, pour me rassurer… Mais, il y a aussi cet officier, fervent défenseur d’un management plus ouvert : “Tu vois Frédéric, ce n’est pas que chez nous !! “
Un intervenant extérieur, ça sert à quoi ?
En Suisse, 2003, lors de l’introduction progressive du Brevet fédéral de policier, les principales commissions de travail ainsi que le Conseil fédéral (par l’entremise de Joseph Deiss) insistent pour qu’au moins la moitié des formateurs comportementaux (branches sociales, éthique, Droits de l’Homme, psychologie, etc.) dudit Brevet provienne de l’extérieur des corporations. Il est explicitement souhaité que ces experts externes et vacataires puissent critiquer le système policier conventionnel – système appelé à une réforme urgente et salutaire.
La critique est le moteur de l’innovation
C’est sous cette recommandation que j’ai personnellement été engagé à la Police cantonale genevoise – institution pilote, à l’époque, pour le Module éthique et droits humains – par trois représentants, de la Police judiciaire, de la Gendarmerie et de la Police de sécurité internationale. Mes interventions et mes responsabilités ont perduré – par miracle ? – neuf années durant. Nombre de mes ex-partenaires internes à cette police me rappellent aujourd’hui encore combien cette indépendance a été indispensable pour “…bouger nos scléroses…”. En réalité, j’ai failli l’éjection plus d’une fois mais mon indépendance inconditionnelle était garantie par Monsieur le Conseiller exécutif cantonal David Hiler, grand homme d’État, persévérant et brillant comme tout, faisant l’unanimité. Le Conseiller d’État Hiler a toujours été davantage soucieux de la démocratie participative qu’il servait de toutes ses forces plutôt que de sa carrière personnelle. Les dents grinçaient à l’état-major de la Polcantgenève après qu’il ait signé la préface de mon premier essai “Police. état de crise ? Une réforme nécessaire” publié en 2009 aux éditions scientifiques de la Société d’études économiques et sociales *.
Un problème politique
La liberté d’expression est garantie** sous nos latitudes mais la marge de tolérance est politique. Monsieur Roché précise aussi qu’il s’agit avant tout d’une “décision politique“. Interrogé par l’Agence France-Presse, il rajoute que “cela montre la difficulté de la police à s’ouvrir à la société à un moment où elle se recroqueville de plus en plus sur elle-même, à son détriment”. Le sociologue a également critiqué le manque d’indépendance de l’IGPN (la police des polices).
De grands dommages démocratiques
Des inspecteurs de police examinant les comportements de leurs pairs (hic ! Une telle connivence serait risible dans la majorité des autres champs professionnels ou domaines d’activités), des formateurs policiers exclusivement issus des rangs policiers et des chercheurs nourris et encadrés par leurs propres sujets d’études laissent présager de piètres matchs nuls. Desquels, acteurs et spectateurs, si tel devrait être le tableau, s’en détourneraient pour abandonner le jeu démocratique aux spectres des plus sombres et dangereuses pages de notre histoire européenne.
* Co-écrit avec Yves-Patrick Delachaux. Postface du regretté chercheur et chef de police judiciaire, feu Olivier Guéniat. La Société d’études économiques et sociales a été créée en 1943, durant la deuxième guerre mondiale, afin de réfléchir et résister malgré le contexte géopolitique extrêmement pessimiste.
** Je fais, ici, naturellement exception des injures et atteintes à l’honneur en lien aux dispositions légales.
Je pense que vos blogs sont lus par de nombreux policiers, qu’ils s’y intéressent et ont des opinions à formuler. Pourquoi ne viennent-ils pas s’exprimer dans les colonnes ? Difficile en rapport du secret de fonction qui ne serait pas délimité clairement ? Ou l’usage du pseudo ne leur permettrait-il pas une garantie suffisante d’anonymat, nécessaire en raison de leur entourage professionnel ou de personnes politiques dont la police dépend ? Si ce devait être le cas, je poserai la question au journal Le Temps sur ses limites légales à ne pas divulguer le nom et les coordonnées du commentateur sous pseudo. La protection théorique et légale de l’anonymat ne l’est peut-être pas à 100 % en pratique, cela je ne le mesure pas… Mais peut-être que l’absence de commentateurs de la police est due encore à d’autres raisons. Et vous, êtes-vous aussi libre de vous exprimer que vous le désirez ? (Hormis ce qui relève du secret professionnel).
Bonjour Dominic,
merci de réagir.
En effet, je reçois régulièrement des avis de policiers praticiens ou retraités, majoritairement favorables. Ils s’expriment in vivo sur les terrains lors de mes interventions ou conférences; quasi jamais sur les réseaux sociaux, ce qui est une bonne chose. Je désapprouve ces commentaires policiers qui se répandent sur la toile bien souvent sous la forme d’un double langage peu constructif ou sous couvert d’une autre identité. Le policier est asservi au quotidien à un effet de groupe puissant qui, souvent, génère un double discours : la réprobation du changement devant les collègues pour ne pas heurter et l’adhésion face à l’intervenant que je suis…
Quant à moi, mon statut indépendant me garantit une liberté de parole – hormis sur les affaires professionnelles que je traite dans mes mandats policiers – mais cela n’empêche pas l’une ou l’autre rupture de collaboration parfois par effet collatéral. Mais, notre organisation politique fédéraliste est diversifiée et généralement je suis aussitôt sollicité par un autre canton ou une autre administration qui se réjouit de ma nouvelle disponibilité.
“la réprobation du changement devant les collègues pour ne pas heurter et l’adhésion face à l’intervenant que je suis…”
Il serait intéressant de savoir combien de policiers français désapprouvent la violence faite aux gilets jaunes, mais suivent le trend inspiré par le ministre, lui-même inspiré par le président.
Car tout le processus de la démocratie réside ici, entre courage et compromission (le pseudo en est une des manifestations) et autre langue de bois!
Le Temps tente une expérience intéressante avec sa “charte de l’environnement”, afin de vérifier l’écart entre promesses de campagne et réalisations réelles. Il faudra du temps pour voir si ça sert à quelque chose…