Violences policières en Suisse

Depuis 2015, j’enregistre une détérioration des interpellations policières et par conséquence une recrudescence des violences. Je ne dispose malheureusement pas de chiffres. Les “cas” sont le plus souvent classés – pour ne pas dire étouffés – à l’interne des corporations. Selon les témoignages que je recueille au jour le jour et selon mes estimations, une interpellation sur cinq n’est plus opérée avec décence et objectivité.

J’identifie trois causes,

la première, d’ordre temporel…

  1. Un cycle temporel propre aux institutions suisses. S’agissant des métiers de sanction, nous nous trouvons face à des oscillations qualitatives toutes les 6 et 12 années, environ. 2015 correspond à la 11ème année après l’introduction du Brevet fédéral et son cours obligatoire en Droits humains. L’autorité référentielle que produisait ce Brevet semble ainsi résorbée.
  1. La deuxième, d’ordre pédagogique. Policière / policier : une formation d’adultes. Les policiers du bassin lémanique et du Valais sont formés à l’Académie de Police de Savatan. Cette Académie est rétrograde et privilégie des modes opérationnels de confrontation plutôt que de résolution des problèmes.
  1. La troisième, d’ordre managérial. Un contenant managérial de défiance. Plusieurs corporations sont encore soumises à une organisation par trop militarisée, ultra-hiérarchisée et recroquevillée sur elle-même. La gradation et le salaire y sont liés. Ces derniers paramètres sont assujettis aux qualifications et au bon vouloir de ceux qui vous précèdent, ce qui engendre des effets de redevabilité très forts et sournois. Face à la dégénérescence d’une interpellation “… vous êtes tenté de couvrir vos erreurs, pire vos fautes, plutôt que de les avouer et ensuite les traiter” me confie-t-on souvent.

Trois résolutions possibles

  1. Encore et davantage enseigner le contexte géopolitique, les origines criminologiques et notre rapport historique aux valeurs fondamentales, celles qui forgent notre démocratie et de surcroît les actions policières. Donner un sens profond et universel à l’engagement policier contribue à prévenir les baisses cycliques de motivation.
  2. Ouvrir les formations de base et continues à la pluridisciplinarité et aux sciences de gestion.
  3. Confier des lieux de vidages et de médiation à des organes neutres et indépendants. Ouvrir les postes à responsabilité au personnel civil qualifié comme ont su le faire les polices de Grande-Bretagne après avoir reconnu, dans les années 90, une hausse des violences policières. Enfin, intégrer les femmes ainsi que les ressortissants étrangers dans les états-majors.

C’est bien parce que l’on bénéficie, en Suisse, de très bonnes polices que l’on devrait pouvoir remédier aux manquements constatés ou… avoués.

La torture ? Jamais !

En temps de paix et sur le champ public, seuls les policiers sont autorisés à limiter les Droits fondamentaux : nos Droits.

Limiter – positivement – n’est pas violer – négativement -.

(Le féminin est compris dans le texte – 2 minutes de lecture)

Il est juste et raisonnable qu’une personne susceptible de pouvoir commettre un délit ou un crime puisse être interpellée et privée momentanément de liberté par des agents policiers. Ce, afin que le plus grand nombre d’entre nous s’en trouve protégé. Il en est de même pour une personne présumée coupable ou surprise en flagrant délit. Toutes ces actions policières doivent naturellement être proportionnées et conduire à un procès équitable.

Une interpellation policière ne peut être opérée que par des personnes dont nous connaissons le profil et dont nous avons évalué les comportements et les compétences. Ces personnes – physiques – seront assermentées devant les autorités et en présence du public comme témoin. Dès la date de cette confirmation officielle, ces mêmes personnes muteront. Elles “s’uniformeront” – au sens propre et figuré – et deviendront des personnes morales (et de force publique) en prolongation de l’État qu’elles représenteront dorénavant.

Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le respect de cet Article 5. de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme est placé sous la garantie du policier dès l’heure de son assermentation. Ce dernier devient alors le seul et unique détenteur concret et pratique de cet article et de tous les autres, conventionnés, signés et ratifiés par l’État qu’il engage dans ses actes.

C’est en cela, précisément en cette jonction, que le policier et l’ensemble de nos polices m’importent plus que tout.

En effet, le policier représente l’État et engage notre Constitution dans chacun de ses mots, chacun de ses gestes et par son argumentaire oral et écrit. Il est le dépositaire institutionnel des Droits humains. “Servir et protéger”, à commencer par le plus faible comme le précise le préambule de notre Constitution fédérale, est sa devise. Il veille jour et nuit à ce que l’intégrité physique, psychique et morale de tout individu ne soit jamais transgressée. Il doit – ou devrait ? – savoir mieux que tout autre qu’une seule défiguration humaine affecte toute l’humanité, y compris la sienne.

Jusqu’à ce jour, nous n’avons rien trouvé de mieux pour assurer la paix, la sécurité, la tranquillité et la salubrité de nos quartiers, de nos campagnes et de nos vies.

Mais, attention, cette référence universelle, que nous espérions intangible et inaliénable depuis la deuxième guerre mondiale, est à nouveau et de plus en plus bafouée dans les propos et les décisions d’élus ou de candidats Nord-Américains, Européens et Suisses. Cette détérioration est gravissime. Elle ronge le référentiel métier de nos policiers et épie malicieusement nos libertés et nos Droits.

Près de 200 dignitaires militaires américains ont réagi et résistent, d’authentiques témoins aussi.

Cela ne suffit pas.

Les policiers doivent emboîter le pas jusqu’à désobéir s’il le faut. Il en va de notre crédit démocratique mais aussi de leur professionnalité, ultime et salvatrice !

A la police, les étrangers sont les bienvenus !

Les personnes d’origine étrangère représentent une plus-value pour nos polices suisses.

(2 minutes de lecture – Le féminin est compris dans le texte)

Dans plusieurs cantons leur naturalisation est facilitée. A la Police cantonale genevoise, par exemple, les personnes étrangères de plus de 25 ans sont admises en formation. Celles-ci doivent finaliser leur naturalisation suisse avant le terme de l’école de police.

Dans les analyses de pratique professionnelle, les apprenants policiers d’origine étrangère font preuve d’un esprit civique souvent plus développé que les Suisses.

Pas une semaine ne s’écoule sans que je sois impressionné par les compétences de jeunes aspirants policiers d’origine étrangère de deuxième ou troisième génération. Ces derniers saisissent avec épaisseur les valeurs de notre démocratie. Leurs décisions de s’engager dans un Corps de police reposent sur des vécus et des prises de conscience éprouvés. Notamment ceux dont les parents ont fui des pays en guerre. Leurs enfants saisissent – puissamment – le prix de la paix et de la liberté que leur offre la Suisse. Leurs motivations sont claires : ils veulent contribuer à la sauvegarde de nos valeurs fondamentales. Quant à ceux qui sont originaires d’Europe de l’Ouest ou du Sud, ils discernent la maturité politique de leur pays d’accueil et en sont reconnaissants. Ce qui n’est pas le cas de tous les aspirants suisses, dont certains laissent paraître une certaine suffisance et sont finalement assez peu conscients de la chance qu’ils ont de vivre ici.

La semaine passée, j’avais devant moi une classe de 36 étudiants policiers. Les deux tiers étaient d’origine étrangère; leur niveau de conscientisation politique et démocratique était supérieur à la norme.

Des policiers au passeport étranger sont actifs dans plusieurs cantons suisses. 

Les polices cantonales de Bâle-Ville (depuis 1996), de Schwyz, Neuchâtel et Jura comptent dans leurs rangs des policiers de nationalité étrangère. D’autres gouvernements cantonaux envisagent d’ouvrir leurs effectifs aux étrangers.

Si de telles dispositions sont précieuses et gratifiantes pour nos polices, je ne m’imagine pas qu’il puisse en être autrement au sein de notre société civile grâce à la naturalisation facilitée des jeunes étrangers de troisième génération.

 

Les outils de contrôle policier. Pas d’excès !

Faut-il permettre aux policiers de recourir plus facilement à des outils de contrôle tels que les tests ADN avec séquences codantes ?

Faut-il étendre les surveillances téléphoniques ?

Ces questions taraudent nos élus.

Contexte et actualité

Après de nouvelles violences en Ville de Berne, dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 mai passés, le municipal bernois Reto Nause a déclaré vouloir permettre aux policiers de recourir à des écoutes téléphoniques plus étendues qu’aujourd’hui.

Précédemment et à la suite du quadruple meurtre de Rupperswil, en Argovie, le 21 décembre 2016, l’idée d’extension des tests ADN est à l’examen. Le conseiller national Albert Vitali a déposé une motion dans ce sens.

Eclairages

Les polices suisses, depuis leurs créations, régissent toutes leurs opérations en respectant quatre principes de base, immuables :

  1. Tout individu, interpellé par la police, est présumé innocent. C’est le pouvoir judiciaire qui condamne, en dernière sentence, non la police; questions d’objectivité et de séparation des pouvoirs.
  2. La police respecte la sphère privée de toute personne. Normal, son champ d’action est public*.
  3. Les efforts consentis par la police et permettant d’établir les faits doivent conduire au procès le plus équitable possible.
  4. La police respecte inconditionnellement l’intégrité physique, morale et psychique de tout individu.

Ces quatre fondements nous préservent – et protègent aussi les agents policiers – des abus. Ils justifient que nous assermentions et déléguions aux tiers policiers le choix d’engagement et d’opportunité ainsi que les usages de la force, de la contrainte et de la privation momentanée de la liberté.

Les écoutes téléphoniques en Suisse sont réalisées, aujourd’hui, avec l’autorisation de l’autorité judiciaire (cantonale ou fédérale) qui dirige la procédure pénale.

Les tests ADN en Suisse sont opérés, aujourd’hui, dans plusieurs situations de contrôle d’identité ou d’enquête. Ils ne sont autorisés que pour l’examen des séquences non codantes, c’est à dire non converties en protéines. Seul le sexe des individus est décelable.

 

Prises de position

Compléments à l’écoute du débat sur Forum RTS La Première du 23 mai 2016

Extension des tests ADN

L’idée de vouloir étendre les tests ADN aux séquences codantes dans les situations de meurtres ou de viols est, selon moi, justifiée; pour, au moins, trois raisons :

  1. Les séquences codantes permettent d’identifier la couleur des yeux, des cheveux et même la stature des personnes suspectées.
  2. Les tests codants confirment les soupçons portés sur une personne mais innocenteront aussi celle qui serait accusée, voire condamnée, à tort. Aux USA, récemment, plusieurs personnes ont ainsi été innocentées et libérées après des années de prison…
  3. Le champ d’action est interpersonnel, circonscrit par les agents policiers et les scientifiques associés.

Je ne vois donc aucun problème à ce que l’on puisse procéder à de tels tests, y compris sur ma propre personne, le cas échéant. Je connais les paramètres d’une telle démarche et je donne ma confiance aux polices.

La dose fait le poison

Extension des surveillances téléphoniques

Dans l’intention d’étendre les écoutes téléphoniques, la confiance que je pourrais accordée aux policiers ne servirait pas à grand chose. Car ces derniers ne maîtrisent pas l’entier du processus de collecte des données qui, pour grande partie, est – ou sera – dépendant des entreprises commerciales de télécommunications et de gestion numérique. Plusieurs de ces firmes sont d’obédience privée. La police est administrée par le service public. Augmenter les écoutes téléphoniques à des fins préventives, collecter des milliers de conversations non contextualisées puis les analyser afin d’en extraire une action préventive est aussi problématique que bénéfique. Ce champ technologique est pratiquement illimité et les ramifications gigantesques. Qui peut me garantir que des collectes erronées à mon sujet n’aboutissent pas dans les serveurs des services secrets étrangers avec de fausses indications et des liaisons biaisées ?

L’intelligence de nos policiers serait alors engloutie par de puissants moyens technologiques non circonscrits.

La volonté d’étendre les surveillances téléphoniques ne permet pas de garantir qu’elles soient toujours ciblées, justifiées et proportionnelles.

 

* Le boulanger, avant qu’il ne devienne policier, pouvait interdire l’accès du public à son laboratoire de fabrication du pain. Il doit comprendre qu’aujourd’hui, devenu policier, les paradigmes ont changé. Il travaille au service public. Tout en préservant la confidentialité des enquêtes en cours son champ opérationnel est devenu transparent. Cette transparence est garantie par la loi.

La vidéosurveillance nous rend borgnes !

Peut-on s’y accoutumer, au point de n’y prêter plus aucune attention ?

La banalisation de l’image continue neutralise-t-elle nos capacités de discernement, de remise en question et de prévention ?

La prolifération des vidéosurveillances est une menace pour le développement des habilités policières… et fait de nous des citoyens borgnes !

Dans l’Arc jurassien suisse, plusieurs projets de surveillance filmée des déchetteries ont été abandonnés; les bases légales étant – heureusement – très exigeantes. L’arrêt du Tribunal fédéral du 13 octobre 2010 précise que la vidéosurveillance dans les espaces publics est une atteinte à la vie privée et qu’elle doit être l’ultime moyen d’assurer l’ordre.

Qu’on produise les meilleures technologies pour assurer notre sécurité ne souffre d’aucun pli. Néanmoins, selon moi, nous devrions préalablement répondre à une première question et se déterminer sur les quatre points qui suivent :

S’agit-il d’une démarche de sécurité privée ou publique ?

Privée : toute personne physique ou morale est libre d’organiser sa sécurité et sa sûreté sous le couvert des lois en vigueur.

Publique : les précautions sociales du “vivre ensemble” ainsi que les compétences discrétionnaires des policiers doivent être préservées. Ces dernières, en particulier, sont les meilleurs atouts que possèdent les policiers dans la lutte contre les criminalités. En plus du respect des dispositions légales, je recommande donc :

  1. qu’une réflexion et qu’une concertation entre les autorités et la population locale précède l’acquisition d’une installation vidéo.
  2. Que sa programmation informatique soit maîtrisée par deux parties civiles, au moins, disposant de compétences variées et complémentaires.
  3. Que cette démarche de vidéosurveillance soit accompagnée d’une communication publique proactive et d’une formation gratuite ouverte à toutes les personnes concernées et intéressées. Enfin,
  4. qu’une instance d’Etat (exemples : police communale, justice de paix, préfecture, etc.) se porte garante du traitement des images avant d’éventuelles transmissions aux pouvoirs exécutif (polices cantonales ou municipales ou régionales disposant des prérogatives judiciaires requises) et judiciaire.

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Du cas particulier vers une dérive de la surveillance généralisée (ou dite de  masse – voir lien de sensibilisation actif – cliquer ici)et le risque d’aliénation du travail d’investigation policière !

Le premier danger pour le policier : qu’il perde progressivement ses moyens d’interprétation (à discrétion et de façon opportune), son flair professionnel dans le courant des enquêtes ainsi que la bonne et respectueuse compréhensions des origines des maux de société. Il deviendrait alors l’auxiliaire d’une robotique sans état d’âme avant de lui céder sa place.

Deuxième danger pour le policier : qu’il puisse s’imaginer poursuivre les malversations – principalement – sur la base de données filmées et enregistrées l’éloignerait peu à peu des causes criminologiques, des résolutions de problèmes et de la collaboration avec d’autres acteurs de bonne volonté.

Danger pour nous tous : placer au sein des espaces collectifs d’éducation, d’orientation professionnelle et de responsabilisation (écoles, centres de tri des déchets, centres communautaires et d’animation socioculturelle, etc.) des caméras de surveillance signifie – en apparence du moins – que l’on renonce à nos facultés humaines de gérer nos propres lieux de vies par nos propres compétences comportementales, y compris celles que l’on délègue à nos policiers assermentés.

 

 

Lente agonie des vertus policières françaises ?

Le retour des oiseaux migrateurs confère à notre printemps un air de désinvolture. Les sujets d’actualité, quant à eux, se sont ultra-sédentarisés, comme s’ils restaient figés dans les pages les plus sombres de notre histoire.

En France, l’Etat d’urgence régurgite son lot d’abus, de violences et d’immaturités policières.

C’est ce que nous révèle le rapport de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT), publié en mars 2016. Cette ONG internationale est réputée pour son indépendance et sa rigueur. Elle compte parmi ses membres actifs des fonctionnaires d’armée et de police de tous rangs.

L’enquête en question est préoccupante, pour deux raisons. D’une part, la légitimité et l’exemplarité des polices de la République voisine sont compromises, notamment aux yeux des jeunes générations. D’autre part, les forces de polices françaises semblent ne point disposer d’outils pour résoudre leurs propres carences.

Chaque institution publique doit pouvoir compter sur des organes d’évaluation critique, et si possible, indépendants.

La menace terroriste

Actuellement, sur nos terres européennes, je distingue quatre axes de prévention et de lutte contre le terrorisme :

  1. Harmonisation des codes juridiques et judiciaires d’un pays à l’autre.
  2. Sécurisation et échanges des paramètres informatiques entre pays dotés des instruments adéquats (les 28 membres de l’UE ne sont pas égaux dans leurs moyens).
  3. Conduite de missions opérationnelles et d’investigations sur le terrain par l’enquête, la récolte d’indices probants et la neutralisation des personnes dangereuses ou potentiellement dangereuses.
  4. Information, sensibilisation et promotion des expériences et réflexions socioculturelles dans les cercles scolaires et les milieux associatifs.

Cette dernière action est capitale. Elle solidifie les trois premières.

“A quoi sert de nous battre si nous asséchons nos valeurs culturelles et morales ?” Avertissait Churchill au coeur de la deuxième guerre mondiale. Les mêmes propos ont été tenus par les défenseurs armés de Sarajevo qui subissaient le plus long siège de l’histoire de la guerre moderne (du 5 avril 1992 au 29 février 1996). Les mauvais gestes policiers, extrêmement dommageables, répertoriés dans le rapport de l’ACAT-France desservent non seulement la prévention des menaces terroristes mais aussi et surtout l’esprit constitutif de nos démocraties.

Nos constitutions sont forgées dans le respect et la protection des intégrités et des libertés humaines, sociales et culturelles.

Résolution & innovation

Peut-on, enfin, imaginer voir des policiers, actifs du bout à l’autre de la chaîne sécuritaire – radieux dans le sauvetage d’un animal domestique et hargneux dans l’usage de la force proportionnée -,  intervenir dans les cycles scolaires obligatoires ? Accompagnés de tous les volontaires de la démocratisation active, les animateurs socioculturels, les soignants, philosophes, théologiens, etc… ; ils témoigneraient, ensemble, de la complexité de la lutte antiterroriste, à toute échelle : temporelle, informatique, juridique et géographique.

Et, par la même occasion, ces agents du service public pourraient se valoriser personnellement et restaurer les essences des polices d’Etat de Droit… avant qu’elles n’agonisent.

Sauvetage en haute mer démocratique

Le jour se lève.

Les eaux se sont apaisées.

Je suis nullement satisfait.

A peine soulagé.

Le peuple n’a pas gagné. Il a seulement rattrapé l’incapacité de son Parlement à s’opposer à une initiative nuisible et anticonstitutionnelle.

Une majorité des votants a compensé la faiblesse de ses représentants.

Le long de ses quatre dernières années nous avons hérité d’une Assemblée fédérale terriblement peureuse et silencieuse.

Patrick Marione

(Photo de Patrick Marione. 2013)

« Le silence des bons est plus terrible que les actes des méchants. » (Formule attribuée à Martin Luther King)

Même l’équipe de football la plus populaire d’un championnat ne peut pas bafouer les règles d’arbitrage. Que s’est-il donc passé depuis fin 2012 ? Pourquoi l’UDC, avec son initiative de renvoi effectif des étrangers criminels, n’a pas été sifflée “hors jeu” sur le terrain parlementaire. Le 20 mars 2015 l’Assemblée fédérale aurait dû avoir le courage d’invalider cette initiative et de la refuser au vote.

Je ne peux pas me réjouir des résultats de cette votation car si celle-ci avait trouvé ne serait-ce qu’une petite majorité, les fondements policiers auraient été purement et simplement annihilés !

Les expulsions automatiques auraient été exécutées par des policiers qui, soudainement, se seraient vu amputés d’un des quatre principes de base(*) qui régissent leurs missions. Le principe de conduite au procès équitable – travail existentiel du policier exécutif qui consiste à dresser les faits constatés pour les déposer au pouvoir judiciaire – aurait été jeté à la mer et coulé dans les fonds marins. Aucun garde-fou n’aurait été, alors, si puissant pour empêcher que des policiers viennent arrêter, à trois heures du matin, votre employé ou votre beau-frère, sans que ces derniers puissent bénéficier d’un jugement et d’une défense digne de ce nom. Nous aurions alors découvert des polices totalement désarticulées, privées de leur capacité de maîtrise, peut-être même livrées au zèle de quelques dirigeants extrémistes.

Car malgré le résultat de cette votation, une question subsiste :

Comment est-ce possible de revendiquer plus de sécurité publique tout en se moquant de la maîtrise ou du principe de base de celles et ceux qui en ont la charge ?

Ne baissons pas la garde, de nouvelles tempêtes sont à prévoir.

(* Les trois autres principes de base du policier suisse sont le respect de la présomption d’innocence, le respect de la sphère privée et le respect absolu de l’intégrité physique, morale et psychique des personnes interpellées ou/et placées en garde à vue ou en détention provisoire.)

L’état d’urgence en France : un abîme

(le féminin est compris dans les formulations suivantes)

Le policier n’est pas habilité à la guerre.

Le militaire n’est pas habilité à la paix.

Les déviances les plus insoupçonnées se logent dans les entrailles des institutions de polices. Elles se nomment : frustration, fatigues chroniques, manque de reconnaissance, corruption, effets de groupe comme la redevabilité et l’aveuglement, banalisation de la violence, vengeances, traumatismes, etc.

Sous nos latitudes, le policier dispose – s’il a le courage de les solliciter – de l’appui de psychologues, d’éthiciens et de pédagogues pour contenir et repousser, voire résoudre, ses maux de « ventre ».

En Suisse, par exemple, celui qui s’engage dans la voie du diplôme supérieur de policier – comparable à la maîtrise professionnelle après le Brevet fédéral – débute son programme de cours par l’étude des transgressions. Celles qui affectent le bienfondé de l’Etat qu’il sert, les résidents qu’il protège et finalement son métier. Et, comme chacun le sait, ce métier, pour ne pas dire cette vocation, repose sur les Droits humains constitutifs de l’Etat démocratique.

La prolongation de l’état d’urgence en France (voir détails, chiffres et faits en activant ce lien).

La prolongation de l’état d’urgence en France ouvre une brèche dans laquelle les policiers, les premiers, risquent de sombrer.

Je connais déjà plusieurs agents qui sont sérieusement atteints dans leurs valeurs. Celles-là même qu’ils tentent de transmettre à leurs enfants… J’espère qu’ils seront soignés et que leurs séquelles ne les précipiteront pas dans les ténèbres.

L’état d’urgence est donc un – état – d’exception particulièrement déstabilisant pour un système politique et professionnel bâti au fil des siècles sur l’équilibre des forces.

La proclamation de l’état d’urgence après les terribles attentats du 13 novembre était, sans doute, nécessaire. Mais, la prolongation de ce qui ne peut durer présente des contours contre-productifs et contre-exemplaires. C’était prévisible, des policiers peu professionnels et vindicatifs ont commis des abus, pressés qu’ils étaient d’ “abattre” des affaires. Pourtant, aucune enquête sérieuse ne saurait être solidement étayée dans le feu des émotions.

Ont-ils conscience, ces policiers vulnérables, et leurs hiérarchies, de réveiller en leurs seins des démons d’outre temps plus forts qu’eux ?

Voici ce que déclarait, il y a trois ans, un policier français expérimenté en conclusion d’un séminaire sur la prévention des dérives policières :

“Dans le job de policier, nous ne sommes jamais aussi bons que lorsque nous sommes limités dans notre déploiement. Jamais aussi bons que dans le strict cadre de nos lois, sans exception; jamais aussi bons que dans l’exercice de nos autocritiques, sans concession; jamais aussi bons que sous l’oeil vigilant et actif de la société civile et des organisations de défense des Droits de l’Homme.

Ces dernières ne sont pas des entraves mais nos anges gardiens. Je dis bien nos anges gardiens.

Elles nous invitent à faire mieux, elles nous autorisent à nous satisfaire et à nous libérer des poids lourds de notre conscience. Et, surtout, elles nous donnent la garantie de pouvoir nous réjouir chaque matin, devant notre miroir, d’un monde plus juste.”

Crimes, délits et châtiments (suite…)

Le processus de fabrication démocratique et parlementaire a été bafoué. L’initiative de renvoi des étrangers délinquants est injustifiée et dangereuse. Elle ne soutient pas le travail de la justice ni de la police.

En cas d’acceptation, le retrait de l’autorisation de séjour provoquerait une recrudescence de clandestins. L’expulsion automatique, sans discernement, ouvrirait la voie à l’arbitraire… portant atteinte, tôt ou tard, à nos liens familiaux et professionnels.

Même les missions des polices s’en trouveraient affectées.

Des policiers au passeport étranger sont actifs dans plusieurs cantons suisses !

Les polices cantonales de Bâle-Ville (depuis 1996), de Schwyz, Neuchâtel et Jura comptent dans leurs rangs des policiers de nationalité étrangère. A Genève, les personnes étrangères sont admises en formation de police mais doivent obtenir leurs naturalisations pour l’examen du Brevet fédéral. – En passant, permettez-moi de douter des intentions de plusieurs militants genevois en faveur de cette initiative de renvoi. Eux-mêmes sont d’anciens policiers, ressortissants étrangers, et recruteurs de personnes étrangères …  –

Bref, dans ces cantons, l’expérience est saluée. D’autres gouvernements cantonaux envisagent d’ouvrir leurs effectifs aux étrangers.

Pour conclure, je voudrais exposer un exemple, plus que probant, auquel je serais confronté, sur le plan professionnel, si le peuple suivait l’avis des initiants. En analyse de pratique, on appelle cela un dilemme éthique.

Cas de figure

Voici la situation du policier bâlois prénommé Diego (fictif) arrêté par ses pairs et contraint à l’expulsion. Pourquoi ? Deux condamnations. Une première fois, il a été condamné pour conduite en état alcoolisé. Suite à son divorce, il a traversé une période difficile. Dans les milieux de police comme partout ailleurs de tels incidents se produisent. Les aléas de la vie le conduisent, ensuite, dans une seconde affaire privée. Il est maintenant impliqué dans une bagarre, avec blessés, malheureusement. Mon hypothèse est la suivante :

tandis que l’expulsion du pays serait certaine, celle de la police… ? Beaucoup moins.

La hiérarchie policière sanctionnerait son employé mais saurait, assurément, le protéger de toute expulsion de sa famille corporative.

 

 

La sécurité n’est pas un droit, le beau temps non plus

Lire également le blog de Suzette Sandoz Le grain de sable – et son sujet intitulé « Fathi Derder a raison : la sécurité n’est pas un droit. » du 29 novembre 2015.

 

L’humanité a été tragiquement amputée de plusieurs centaines de ses membres à Beyrouth, à Paris, à Bamako, en Egypte et ailleurs. L’état d’urgence a été proclamé chez nos voisins. Chez nous, il sera bientôt question de renforcer, ou non, les moyens mis à disposition de nos services de renseignements. Plus loin, on trie les humains aux frontières. Et quelques trublions, aux États-Unis, proposent de durcir les techniques d’interrogatoires… Les décisions, les propositions et les opinions fusent. Notamment, celle qui prétend que la sécurité est un droit. Plus qu’une maladresse, il s’agit d’une erreur.

 

La sécurité est un lent processus d’État, né de son devoir de nous protéger, mais ne saurait être garantie.

 

Imaginer que la sécurité puisse être un droit des citoyens est tout au plus un fantasme d’ancienne garde militaire. Déclarer solennellement les droits fondamentaux au sortir de la deuxième guerre mondiale, puis les traiter entre nations et, enfin, les signer n’ont pas empêché le sang de couler. Malgré tout, ces ratifications offrent à chacune et à chacun d’entre nous, quelque soit son statut et son niveau social, une référence universelle, écrite, enseignée et revendiquée à toute heure.

 

L’application de ces droits est-elle confiée aux États ? Oui. Les États, par les moyens de prévention et d’action, sont bien les gardiens et les détenteurs des Droits humains.

 

La respiration de ces droits est clairement étatique.

L’aspiration, quant à elle, est citoyenne.

 

Respirer, aspirer. Rien de l’un sans l’autre. Veillons donc à ne pas asphyxier ni à hyperventiler notre démocratie. Maintenir son souffle, comme celui permettant à tout citoyen de recourir auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme contre son propre État. Ainsi, les Droits de l’Homme équilibrent le rapport des forces entre la personne et l’État.

 

Les Droits humains fondamentaux nous protègent mais ne nous épargnent pas. Ils n’ont pas la faculté de prolonger biologiquement nos vies ni d’empêcher des catastrophes naturelles de s’abattre sur nous et encore moins de nous contraindre à vivre sous cloche, à l’abri hypothétique de toute insécurité.

 

L’État ne peut pas mettre sous cloche protectrice ses citoyens et ses résidents sans corrompre son intrinsèque légitimité.

 

Eriger la sécurité en un droit présente un autre danger pour l’État : celui de produire du résultat coûte que coûte en abusant de son pouvoir. En effet, dans l’échelle de gravité des fléaux qui affectent notre humanité, la torture institutionnelle commise par des représentants d’État occupe le plus terrible des rangs. Les actes cruels, inhumains et dégradants défigurent nos semblables et l’humanité à laquelle nous appartenons. C’est pourquoi les tortionnaires (militaires et policiers) que j’ai rencontrés se sont autodétruits. Ils se sont enchaînés à leurs victimes dans les traumas de l’innommable, parfois jusqu’au suicide. Ceux-ci me confiaient souvent n’avoir pu déceler le piège qui s’était refermé sur eux. Celui qui produit l’étrange illusion de pouvoir sécuriser le monde à sa façon. Un monde apparemment sûr, mais qui, dans les situations ultra-sécurisées pour ne pas dire totalitaires, engendre en son sein des monstres inhumains, incontrôlables. L’État a beaucoup à faire pour prévenir et évaluer le comportement et les gestes de ses agents de sanction. Il ne peut pas se prémunir contre tous les dangers exogènes, volontaires ou non. L’État peut se défendre ou plutôt appeler à se défendre par nos engagements spontanés et notre ultime mobilisation militaire mais ne peut pas éviter que le malheur ne s’abatte sur lui, donc… sur nous.
La sécurité est un moyen. Et, dans les cas privés de sinistres, les dédommagements s’achètent avec un contrat privé appelé « police » – ça ne s’invente pas – d’assurance. Quelqu’un peut-il m’expliquer comment garantir le droit à la sécurité des membres d’une collectivité ? Sécuriser l’individu contre qui, contre quoi ? Contre un déchaînement meurtrier de la nature ? Contre les actes terroristes ? Lesquels ? Ceux opérés insidieusement par un membre de son pays, de sa communauté, de son quartier, de sa famille ?

 

La promesse d’un monde sécure ferait le jeu d’une idéologie surpuissante et déshumanisante. Le devoir et la conscience civiques des individus, citoyens ou pas, appellent, quant à eux, un vrai droit.

 

Un droit qui se gagne dès l’entrée en scolarité obligatoire : l’éducation !

 

Une éducation qui nous apprend à vivre ensemble, en toute égalité, avec auto-critique, multi-culturalité, transparence historique et ouverture sur le monde…

C’est, sans nul doute, bien ce droit qui nous permet(-tra ?) de cultiver le meilleur antidote contre les fanatismes, religieux y compris.

 

 

Mathieu Thauvin
Mathieu Thauvin