L’état d’urgence en France : un abîme

(le féminin est compris dans les formulations suivantes)

Le policier n’est pas habilité à la guerre.

Le militaire n’est pas habilité à la paix.

Les déviances les plus insoupçonnées se logent dans les entrailles des institutions de polices. Elles se nomment : frustration, fatigues chroniques, manque de reconnaissance, corruption, effets de groupe comme la redevabilité et l’aveuglement, banalisation de la violence, vengeances, traumatismes, etc.

Sous nos latitudes, le policier dispose – s’il a le courage de les solliciter – de l’appui de psychologues, d’éthiciens et de pédagogues pour contenir et repousser, voire résoudre, ses maux de « ventre ».

En Suisse, par exemple, celui qui s’engage dans la voie du diplôme supérieur de policier – comparable à la maîtrise professionnelle après le Brevet fédéral – débute son programme de cours par l’étude des transgressions. Celles qui affectent le bienfondé de l’Etat qu’il sert, les résidents qu’il protège et finalement son métier. Et, comme chacun le sait, ce métier, pour ne pas dire cette vocation, repose sur les Droits humains constitutifs de l’Etat démocratique.

La prolongation de l’état d’urgence en France (voir détails, chiffres et faits en activant ce lien).

La prolongation de l’état d’urgence en France ouvre une brèche dans laquelle les policiers, les premiers, risquent de sombrer.

Je connais déjà plusieurs agents qui sont sérieusement atteints dans leurs valeurs. Celles-là même qu’ils tentent de transmettre à leurs enfants… J’espère qu’ils seront soignés et que leurs séquelles ne les précipiteront pas dans les ténèbres.

L’état d’urgence est donc un – état – d’exception particulièrement déstabilisant pour un système politique et professionnel bâti au fil des siècles sur l’équilibre des forces.

La proclamation de l’état d’urgence après les terribles attentats du 13 novembre était, sans doute, nécessaire. Mais, la prolongation de ce qui ne peut durer présente des contours contre-productifs et contre-exemplaires. C’était prévisible, des policiers peu professionnels et vindicatifs ont commis des abus, pressés qu’ils étaient d’ “abattre” des affaires. Pourtant, aucune enquête sérieuse ne saurait être solidement étayée dans le feu des émotions.

Ont-ils conscience, ces policiers vulnérables, et leurs hiérarchies, de réveiller en leurs seins des démons d’outre temps plus forts qu’eux ?

Voici ce que déclarait, il y a trois ans, un policier français expérimenté en conclusion d’un séminaire sur la prévention des dérives policières :

“Dans le job de policier, nous ne sommes jamais aussi bons que lorsque nous sommes limités dans notre déploiement. Jamais aussi bons que dans le strict cadre de nos lois, sans exception; jamais aussi bons que dans l’exercice de nos autocritiques, sans concession; jamais aussi bons que sous l’oeil vigilant et actif de la société civile et des organisations de défense des Droits de l’Homme.

Ces dernières ne sont pas des entraves mais nos anges gardiens. Je dis bien nos anges gardiens.

Elles nous invitent à faire mieux, elles nous autorisent à nous satisfaire et à nous libérer des poids lourds de notre conscience. Et, surtout, elles nous donnent la garantie de pouvoir nous réjouir chaque matin, devant notre miroir, d’un monde plus juste.”

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

4 réponses à “L’état d’urgence en France : un abîme

  1. Cher Fred, je crains que malheureusement la proximité de l’Euro de foot et la peur qu’un attentat survienne au lendemain de la levée de l’état d’urgence ne fasse traîner l’affaire.

    1. … merci pour ta prévoyance Jean-Nicolas. Tu le sais bien, les raisons d’excepter sont toujours plus faciles et plus populaires que celles de respecter.

      Au plaisir,

      Frédéric

  2. Bonjour Luc-André, vous avez raison.

    Le policier militaire est dans l’ambivalence. A la fois militaire, donc disponible à l’état de guerre, et à la fois policier donc mobilisé en temps de paix, comme actuellement fort heureusement. Et, ce, dans le cadre d’affaires ayant cours sous le régime du recrutement et du service obligatoire de nos concitoyens. Ceci est d’autant plus probant, en Suisse, avec notre système milicien de sauvegarde, de défense et de contribution à la promotion de la paix.

    S’agissant maintenant de nos amis et voisins français, je crois que le militaire est plus apte aux situations d’état d’urgence que pourrait l’être le policier civil. D’ailleurs, les militaires sont étroitement associés au plan Vigipirate.

    La Suisse, quant à elle, est plurielle et fédérale et composée d’autant de polices que d’Etats cantonaux, de grandes villes et de régions et de municipalités avec leurs polices respectives. Dès lors, je ne vous cache pas l’intérêt que nous aurions à étudier le croisement des postures des uns et des autres, c’est à dire celles des policiers militaires sur le champ national et celles des policiers civils dans les cantons ou grandes régions. Toutes deux postures sont au bénéfice de formations associées ou quasi similaires. Imaginez le policier militaire en soutien exceptionnel des civils face à des menaces d’envergure, intéressant, non ? Reste à prendre en compte nos deux codes pénaux (l’un civil et l’autre militaire) et nombre de dispositions et prérogatives… Mais, rêvons un seul instant de pouvoir débattre de la conjugaison de nos forces et de l’apport d’autres corporations afin d’éviter la prédominance d’une telle sur les autres. On le sait bien, c’est là que réside le secret de notre démocratie: l’équilibre des règles contre l’abus des pouvoirs.

    Je vous invite à lire également mon précédent blog du 13 novembre 2015 intitulé : Politique de sécurité : militaire ou policière ?

    Bien à vous,

    Frédéric Maillard

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