L’Eurofoot de l’ambivalence

Ne pas céder à la peur. Ne minimiser aucun risque.

Paris, capitale de la discorde et du feu, devrait retrouver son habit de fête dès ce soir. Et pourtant, la tension est palpable.

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Contagion suisse

« Chez nous, en Suisse, sous l’influence des événements qui ont lourdement affecté nos voisins, on leur fait peur à nos jeunes policiers apprenants…» me confiait récemment un commandant de police. On les équipe de nouvelles couches, de gilets, d’armes lourdes et d’artifices divers. D’aucuns revendiquent même, et en dehors de toute pesée d’intérêts, un plan Vigipirate. Les services de la Confédération (Police fédérale et Services de renseignements ndlr.), quant à eux, n’abondent pas dans ce sens. Ses deux voisins, l’un chef de corps et l’autre chef opérationnel, renchérissent : «tout cela ne sert à rien. On entraîne nos gens dans une fausse voie. Nous conduisons nos policiers à la guerre alors que leurs prérogatives servent la paix. A terme, leurs cerveaux seront déconnectés des valeurs civiles. Le policier se doit d’être rassurant pour, à son tour, produire des liens de confiance. » Et : « en les suréquipant, on les disperse et on les fragilise. Ils n’acquièrent pas les bonnes capacités à résoudre les problèmes mais foncent dans le tas… ».

Ne pas céder à la peur et ne pas sombrer dans l’état de guerre pour lequel nos policiers n’ont ni attribution ni légitimité me paraît être la première précaution d’usage. Il est curieux – et malsain – de constater durant ces temps de trouble et de crise qu’il y a toujours un ou l’autre prélat de police, généralement déchu de ses premières conquêtes, pour se frotter les mains et mettre au pas de guerre ses juvéniles troupes.

L’amiral Alain Coldefy, ancien inspecteur général des armées françaises, est pourtant formel. Faire face à un parent (en dehors de tout danger imminent de mort ndlr.) lors, par exemple, d’une quelconque manifestation de mécontentement « … ce n’est pas du tout le métier de l’armée. Il y a donc une ambiguïté qu’on n’a pas intérêt à faire durer. » Et à l’homme d’expérience de conclure sur l’état d’urgence qui règne actuellement en France : « il fallait prendre cette décision pour un temps, mais le terrorisme ne se combat que par les voies normales qu’offre la République. » En clair, nous ne sommes pas en guerre et l’armée interviendra que lorsqu’il sera trop tard. Jamais, j’espère ! Pour l’heure, nous avons besoin de policières et policiers à l’esprit de paix et à la pratique de bonne et juste proportions. “Souples et légers” dit l’adage du métier.

La réponse ne se trouve pas dans les suréquipements, mais dans la détermination de nos gardiens de paix à maintenir ce subtile équilibre des rapports de force, quoiqu’il arrive.

Bière d’une main et pouce serré de l’autre !

 

Les outils de contrôle policier. Pas d’excès !

Faut-il permettre aux policiers de recourir plus facilement à des outils de contrôle tels que les tests ADN avec séquences codantes ?

Faut-il étendre les surveillances téléphoniques ?

Ces questions taraudent nos élus.

Contexte et actualité

Après de nouvelles violences en Ville de Berne, dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 mai passés, le municipal bernois Reto Nause a déclaré vouloir permettre aux policiers de recourir à des écoutes téléphoniques plus étendues qu’aujourd’hui.

Précédemment et à la suite du quadruple meurtre de Rupperswil, en Argovie, le 21 décembre 2016, l’idée d’extension des tests ADN est à l’examen. Le conseiller national Albert Vitali a déposé une motion dans ce sens.

Eclairages

Les polices suisses, depuis leurs créations, régissent toutes leurs opérations en respectant quatre principes de base, immuables :

  1. Tout individu, interpellé par la police, est présumé innocent. C’est le pouvoir judiciaire qui condamne, en dernière sentence, non la police; questions d’objectivité et de séparation des pouvoirs.
  2. La police respecte la sphère privée de toute personne. Normal, son champ d’action est public*.
  3. Les efforts consentis par la police et permettant d’établir les faits doivent conduire au procès le plus équitable possible.
  4. La police respecte inconditionnellement l’intégrité physique, morale et psychique de tout individu.

Ces quatre fondements nous préservent – et protègent aussi les agents policiers – des abus. Ils justifient que nous assermentions et déléguions aux tiers policiers le choix d’engagement et d’opportunité ainsi que les usages de la force, de la contrainte et de la privation momentanée de la liberté.

Les écoutes téléphoniques en Suisse sont réalisées, aujourd’hui, avec l’autorisation de l’autorité judiciaire (cantonale ou fédérale) qui dirige la procédure pénale.

Les tests ADN en Suisse sont opérés, aujourd’hui, dans plusieurs situations de contrôle d’identité ou d’enquête. Ils ne sont autorisés que pour l’examen des séquences non codantes, c’est à dire non converties en protéines. Seul le sexe des individus est décelable.

 

Prises de position

Compléments à l’écoute du débat sur Forum RTS La Première du 23 mai 2016

Extension des tests ADN

L’idée de vouloir étendre les tests ADN aux séquences codantes dans les situations de meurtres ou de viols est, selon moi, justifiée; pour, au moins, trois raisons :

  1. Les séquences codantes permettent d’identifier la couleur des yeux, des cheveux et même la stature des personnes suspectées.
  2. Les tests codants confirment les soupçons portés sur une personne mais innocenteront aussi celle qui serait accusée, voire condamnée, à tort. Aux USA, récemment, plusieurs personnes ont ainsi été innocentées et libérées après des années de prison…
  3. Le champ d’action est interpersonnel, circonscrit par les agents policiers et les scientifiques associés.

Je ne vois donc aucun problème à ce que l’on puisse procéder à de tels tests, y compris sur ma propre personne, le cas échéant. Je connais les paramètres d’une telle démarche et je donne ma confiance aux polices.

La dose fait le poison

Extension des surveillances téléphoniques

Dans l’intention d’étendre les écoutes téléphoniques, la confiance que je pourrais accordée aux policiers ne servirait pas à grand chose. Car ces derniers ne maîtrisent pas l’entier du processus de collecte des données qui, pour grande partie, est – ou sera – dépendant des entreprises commerciales de télécommunications et de gestion numérique. Plusieurs de ces firmes sont d’obédience privée. La police est administrée par le service public. Augmenter les écoutes téléphoniques à des fins préventives, collecter des milliers de conversations non contextualisées puis les analyser afin d’en extraire une action préventive est aussi problématique que bénéfique. Ce champ technologique est pratiquement illimité et les ramifications gigantesques. Qui peut me garantir que des collectes erronées à mon sujet n’aboutissent pas dans les serveurs des services secrets étrangers avec de fausses indications et des liaisons biaisées ?

L’intelligence de nos policiers serait alors engloutie par de puissants moyens technologiques non circonscrits.

La volonté d’étendre les surveillances téléphoniques ne permet pas de garantir qu’elles soient toujours ciblées, justifiées et proportionnelles.

 

* Le boulanger, avant qu’il ne devienne policier, pouvait interdire l’accès du public à son laboratoire de fabrication du pain. Il doit comprendre qu’aujourd’hui, devenu policier, les paradigmes ont changé. Il travaille au service public. Tout en préservant la confidentialité des enquêtes en cours son champ opérationnel est devenu transparent. Cette transparence est garantie par la loi.

Un corps faible est commandé.

Un corps fort agit.

Ne dit-on pas que le silence des bons est plus terrible que les actes des méchants ?

Alors, pourquoi le nouveau Président de la Société suisse des officiers (SSO) s’évertue à vouloir défendre le silence compromettant de ses membres ?

Pourquoi considère-t-il les propos du chef de notre armée, devant un parterre de 150 officiers généraux d’Etat-Major à Brugg (AG), comme, finalement, si peu graves ?

Son allégeance serait-elle façonnée par deux poids, deux mesures ?

(Le féminin est compris dans le texte – 2 minutes de lecture)

Le Président de la SSO minimise les propos de son chef mais incendie l’action de dénonciation des officiers informateurs aux médias. Sur les ondes de La Première (RTS), le mercredi 11 mai 2016 passé, dans l’émission Forum, il déclare : « … scandaleux… le fait qu’il y avait dans ce séminaire… un ou deux, ou trois, officiers qui ont… accueillis les mots du Commandant de Corps et les ont distribués aux médias… »

Pourquoi ne pas se réjouir de la résistance d’hommes d’honneur face aux propos, pour le moins irrespectueux, de leur chef suprême ?

Au sein des corps de notre armée, comme de plusieurs de nos polices, notamment celles qui maintiennent des réminiscences militaires dans leurs organisations et leurs hiérarchies, le désir d’un management plus ouvert et plus transparent se fait sentir. La sous-coutume du silence et de l’omerta n’a plus la cote.

Dans cette affaire de Brugg et selon le Président de la SSO, le fait d’avoir rompu l’asservissement du groupe est bien plus grave que le fait d’avoir dénoncé les déclarations indignes du chef. C’est bien cette attitude de faiblesse qui doit changer.

Œuvrer pour un management qui ne craint plus la critique.

Une telle évolution est salutaire.

D’une part, elle renforce la lutte contre les criminalités. Je constate que les enquêtes judiciaires menées par des inspecteurs à l’esprit frondeur et indépendant aboutissent à de meilleurs résultats. Ces policiers ne se laissent pas intimider par des supérieurs blasés, frustrés ou pire, paresseux.

D’autre part, cette nouvelle forme de gouvernance transversale vivifie la démocratie et facilite la dénonciation des irrégularités et des connivences nuisibles.

Dès lors, pourquoi craindre que des officiers supérieurs prennent leurs responsabilités en estimant que le maintien en alerte de notre démocratie est bien plus important qu’une certaine forme de loyauté envers un chef déviant ?

Le verbe policé

« Chères policières, chers policiers, je vous souhaite de pouvoir résister, résister de toutes vos forces jusqu’à désobéir. Désobéir à vos autorités et à votre hiérarchie si celles-ci bafouent les valeurs constitutionnelles sur lesquelles votre engagement est fondé ; mais, surtout, désobéir à vos ennemis intérieurs, au quotidien. »

Ici, l’exemple historique de la résistance du commandant de la police cantonale de Saint-Gall.

(3 minutes 30 secondes de lecture. Le féminin est compris dans le texte.)

Le verbe policier se conjugue.

Comme le geste, il sauve ou il blesse…

La gifle qui échappe à la maîtrise de proportionnalité d’un policier fatigué et irrité est un geste grave qui engendre des conséquences disciplinaires.

Témoignage réel : « ... n’obtempérant point, la personne interpellée se retourna contre moi et me provoqua. Je lui assainis une gifle sonnante et trébuchante… une seule, sans excès, afin qu’elle regagne sa cellule de rétention. Je n’ai prêté que peu d’attention à mon geste si ce n’est qu’un jeune stagiaire, un peu plus loin, immobile, m’observait… C’est pourquoi je profite de cette formation continue pour vous questionner Monsieur Maillard. Qu’en pensez-vous ? »

Le geste de ce policier est intolérable et témoigne d’un manque de résistance de sa part. Ceci dit, selon le contexte, je peux le comprendre. Or, je ne puis l’accepter. Une telle gifle, condamnée par la plupart des hiérarchies policières suisses, ne représente pas une violation des Droits humains. Je m’empresse de préciser qu’une deuxième gifle ou toute insistance soutenant l’intention de faire subir à la personne prévenue une punition aurait transformé ce geste en un acte progressif de torture et en une violation flagrante des Droits humains. La détermination volontaire et la souffrance infligée qualifient l’acte de torture.

Le comportement professionnel de ce policier est fautif mais son statut, construit sur les Droits humains, est préservé.

En clair, ce policier sera averti par voie disciplinaire usuelle mais ne sera pas privé d’exercer son activité. Idéalement, il participera à une analyse approfondie de sa pratique afin d’y déceler d’autres risques de dérive, d’éventuels travers ou dangers pour lui et autrui.

Plus grave aurait été son manque de contrôle verbal, dans la proclamation de propos injurieux, haineux, indignes ou le jugement irrespectueux et à voix haute à l’encontre d’une personne manifestement tourmentée, vulnérable, présumée coupable ou soupçonnée d’avoir commis un acte délictueux. L’article 5 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ne laisse place à aucun doute : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

Ces trois termes suffisent à l’autoanalyse de la parole et du geste policiers. Alors, cette gifle était-elle cruelle ? Inhumaine ? … ou encore… dégradante ?

Et l’insulte indigne et répétée l’est-elle aussi ?

Si l’on peine à discerner, il est toujours possible d’étayer cette introspection avec les considérants explicites et complémentaires inscrits dans la Convention contre la torture qui précisent la nature volontaire, la durée et l’intensité d’actes qualifiés de torture.

Voyons, maintenant, où se situe cette gifle, dans l’ordre d’importance des valeurs auquel se réfère tout policier d’Etat de Droit.

L’échelle des valeurs légales et professionnelles en Suisse :

  1. Droits humains, Conventions internationales ratifiées par la Confédération helvétique
  2. Constitutions fédérale et cantonales
  3. Lois nationales et cantonales
  4. Règlements cantonaux et communaux
  5. Ethique appliquée ou d’engagement (administration publique et gouvernance institutionnelle)
  6. Déontologie professionnelle (obédience métier)
  7. Ordre de service (bonne pratique relative à un Corps de police en particulier)

Telle que décrite dans le témoignage plus haut, cette gifle est une entorse à l’échelon 7, l’Ordre de service, le dernier et le moins important de la liste. Les Droits humains, quant à eux, se situent tout en haut de l’échelle et correspondent aux valeurs suprêmes.

Les Droits humains forgent bel et bien le statut et la légitimité du policier.

Pour clarifier les doutes qui subsisteraient sur les comportements de nos policiers, je préconise les deux voies de résolution suivantes :

  1. La création d’un organe de médiation neutre et indépendant comme vient de le faire le Département de la sécurité et de l’économie (DSE) de la République et canton de Genève. Ce service est de bon augure et améliorera le fonctionnement de la Police cantonale genevoise.
  1. Et, dans le cadre de la formation continue : l’instauration d’analyses de pratiques au sein des Corps de polices. Cette pédagogie interactive offre aux policiers participants la possibilité de sonder et de déterminer la portée de leurs actes et de leurs paroles.

Le policier est un professionnel pragmatique ; il a besoin de voir pour croire et de croire pour gagner.

La vidéosurveillance nous rend borgnes !

Peut-on s’y accoutumer, au point de n’y prêter plus aucune attention ?

La banalisation de l’image continue neutralise-t-elle nos capacités de discernement, de remise en question et de prévention ?

La prolifération des vidéosurveillances est une menace pour le développement des habilités policières… et fait de nous des citoyens borgnes !

Dans l’Arc jurassien suisse, plusieurs projets de surveillance filmée des déchetteries ont été abandonnés; les bases légales étant – heureusement – très exigeantes. L’arrêt du Tribunal fédéral du 13 octobre 2010 précise que la vidéosurveillance dans les espaces publics est une atteinte à la vie privée et qu’elle doit être l’ultime moyen d’assurer l’ordre.

Qu’on produise les meilleures technologies pour assurer notre sécurité ne souffre d’aucun pli. Néanmoins, selon moi, nous devrions préalablement répondre à une première question et se déterminer sur les quatre points qui suivent :

S’agit-il d’une démarche de sécurité privée ou publique ?

Privée : toute personne physique ou morale est libre d’organiser sa sécurité et sa sûreté sous le couvert des lois en vigueur.

Publique : les précautions sociales du “vivre ensemble” ainsi que les compétences discrétionnaires des policiers doivent être préservées. Ces dernières, en particulier, sont les meilleurs atouts que possèdent les policiers dans la lutte contre les criminalités. En plus du respect des dispositions légales, je recommande donc :

  1. qu’une réflexion et qu’une concertation entre les autorités et la population locale précède l’acquisition d’une installation vidéo.
  2. Que sa programmation informatique soit maîtrisée par deux parties civiles, au moins, disposant de compétences variées et complémentaires.
  3. Que cette démarche de vidéosurveillance soit accompagnée d’une communication publique proactive et d’une formation gratuite ouverte à toutes les personnes concernées et intéressées. Enfin,
  4. qu’une instance d’Etat (exemples : police communale, justice de paix, préfecture, etc.) se porte garante du traitement des images avant d’éventuelles transmissions aux pouvoirs exécutif (polices cantonales ou municipales ou régionales disposant des prérogatives judiciaires requises) et judiciaire.

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Du cas particulier vers une dérive de la surveillance généralisée (ou dite de  masse – voir lien de sensibilisation actif – cliquer ici)et le risque d’aliénation du travail d’investigation policière !

Le premier danger pour le policier : qu’il perde progressivement ses moyens d’interprétation (à discrétion et de façon opportune), son flair professionnel dans le courant des enquêtes ainsi que la bonne et respectueuse compréhensions des origines des maux de société. Il deviendrait alors l’auxiliaire d’une robotique sans état d’âme avant de lui céder sa place.

Deuxième danger pour le policier : qu’il puisse s’imaginer poursuivre les malversations – principalement – sur la base de données filmées et enregistrées l’éloignerait peu à peu des causes criminologiques, des résolutions de problèmes et de la collaboration avec d’autres acteurs de bonne volonté.

Danger pour nous tous : placer au sein des espaces collectifs d’éducation, d’orientation professionnelle et de responsabilisation (écoles, centres de tri des déchets, centres communautaires et d’animation socioculturelle, etc.) des caméras de surveillance signifie – en apparence du moins – que l’on renonce à nos facultés humaines de gérer nos propres lieux de vies par nos propres compétences comportementales, y compris celles que l’on délègue à nos policiers assermentés.

 

 

Le profilage policier…

… ou le contrôle de faciès est un dilemme de sécurité publique.

(3 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte.)

Une résolution a été développée par plusieurs polices européennes !

Il est essentiel que le policier puisse nous interpeller (tout un chacun), nous retenir physiquement et temporellement, vérifier notre identité et, suivant l’intérêt commun, nous conduire au commissariat. Nous tolérons cette intrusion dans nos vies parce que les policiers, lors de leurs assermentations, jurent fidélité à l’Etat de Droit que nous avons constitué au fil des générations et que nous contribuons à entretenir chaque jour ; ne serait-ce que par le paiement de taxes et des salaires de la fonction publique.

Dans notre démocratie, le policier est donc autorisé à limiter nos droits, à contrôler notre identité, à restreindre momentanément notre liberté de mouvement.

C’est alors que le dilemme tend sa jambe.

D’une part, comme on vient de le constater, le policier interfère dans nos droits fondamentaux. D’autre part, il en est le garant. Mandaté qu’il est à défendre de toutes les forces que nous lui accordons d’appliquer, en toute proportionnalité, ces mêmes droits fondamentaux.

Comment résoudre ce contre-sens ?

Vous en conviendrez, ce croisement d’intérêts n’est pas simple à gérer et parfois périlleux si l’on en croit les images tournées récemment à Lausanne – attention, hors contexte – où l’on distingue une patrouille de policiers malmenée par un groupe d’individus avant que des renforts ne surviennent.

Une déformation professionnelle à la peau dure.

Au fil des décennies, il a été constaté que les contrôles sur la seule apparence ou sur le comportement social n’étaient pas probants et qu’ils ne permettaient pas de cerner les présumés coupables d’une infraction ou d’une agression. Au contraire, les policiers se perdaient, une fois sur deux, dans des pistes stériles, imprécises et hasardeuses. Les institutions de polices ont fini par admettre ce demi-échec.

Comment faire pour contrôler avec discernement et sur la base de signalements objectifs, prévenir et appréhender, tout en respectant les fondements de nos vies communes, et préserver nos références de droit et nos garanties constitutionnelles ?

Comment éviter le profilage racial qui engendre, à terme, les radicalisations et les hostilités communautaires ou religieuses ?

A ces dilemmes éthiques, plusieurs polices européennes, en partenariat avec des associations de juristes, s’y sont attelées et ont développé une idée originale :

le récépissé de contrôle.

Ce récépissé est simple et concret. Il se présente sous la forme d’un petit formulaire papier ou électronique dans lequel est précisé le type d’échange vécu entre le représentant des forces de l’ordre et la personne appréhendée. Une explication notifiée et concertée qui fait beaucoup de bien aux différentes parties et clarifie d’éventuels malentendus. En Espagne et au Royaume-Uni, ces quittances de bonne conduite donnent déjà entière satisfaction et augmentent, selon les polices, l’efficience de leur travail. Cette méthodologie a aussi pour objectif de lutter contre les discriminations internes aux corporations. Ces dernières entretiennent bien souvent une sous-culture sournoise et néfaste de la compétition, de la performance et de collecte des trophées dans ce qui s’apparente parfois à de véritables chasses à l’homme.

Enfin, face à l’argument qui affirme que remplir de tels formulaires prend du temps, l’officier de police espagnol, David Martín-Abanades, prétend, qu’au contraire, le gain de temps est notable et que la démarche toute entière favorise les bonnes arrestations et permet une nette diminution des contrôles inutiles. Les policiers espagnols étaient tout d’abord sceptiques. Aujourd’hui, ce procédé est bien accepté. L’arrestation paraît alors plus légitime aux yeux du policier. De plus, les donnés obtenues grâce au récépissé offrent un aperçu conséquent des motifs pour lesquels les individus sont contrôlés.

Les polices des Pays-Bas sont parvenues aux mêmes conclusions.

A suivre.

Lente agonie des vertus policières françaises ?

Le retour des oiseaux migrateurs confère à notre printemps un air de désinvolture. Les sujets d’actualité, quant à eux, se sont ultra-sédentarisés, comme s’ils restaient figés dans les pages les plus sombres de notre histoire.

En France, l’Etat d’urgence régurgite son lot d’abus, de violences et d’immaturités policières.

C’est ce que nous révèle le rapport de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT), publié en mars 2016. Cette ONG internationale est réputée pour son indépendance et sa rigueur. Elle compte parmi ses membres actifs des fonctionnaires d’armée et de police de tous rangs.

L’enquête en question est préoccupante, pour deux raisons. D’une part, la légitimité et l’exemplarité des polices de la République voisine sont compromises, notamment aux yeux des jeunes générations. D’autre part, les forces de polices françaises semblent ne point disposer d’outils pour résoudre leurs propres carences.

Chaque institution publique doit pouvoir compter sur des organes d’évaluation critique, et si possible, indépendants.

La menace terroriste

Actuellement, sur nos terres européennes, je distingue quatre axes de prévention et de lutte contre le terrorisme :

  1. Harmonisation des codes juridiques et judiciaires d’un pays à l’autre.
  2. Sécurisation et échanges des paramètres informatiques entre pays dotés des instruments adéquats (les 28 membres de l’UE ne sont pas égaux dans leurs moyens).
  3. Conduite de missions opérationnelles et d’investigations sur le terrain par l’enquête, la récolte d’indices probants et la neutralisation des personnes dangereuses ou potentiellement dangereuses.
  4. Information, sensibilisation et promotion des expériences et réflexions socioculturelles dans les cercles scolaires et les milieux associatifs.

Cette dernière action est capitale. Elle solidifie les trois premières.

“A quoi sert de nous battre si nous asséchons nos valeurs culturelles et morales ?” Avertissait Churchill au coeur de la deuxième guerre mondiale. Les mêmes propos ont été tenus par les défenseurs armés de Sarajevo qui subissaient le plus long siège de l’histoire de la guerre moderne (du 5 avril 1992 au 29 février 1996). Les mauvais gestes policiers, extrêmement dommageables, répertoriés dans le rapport de l’ACAT-France desservent non seulement la prévention des menaces terroristes mais aussi et surtout l’esprit constitutif de nos démocraties.

Nos constitutions sont forgées dans le respect et la protection des intégrités et des libertés humaines, sociales et culturelles.

Résolution & innovation

Peut-on, enfin, imaginer voir des policiers, actifs du bout à l’autre de la chaîne sécuritaire – radieux dans le sauvetage d’un animal domestique et hargneux dans l’usage de la force proportionnée -,  intervenir dans les cycles scolaires obligatoires ? Accompagnés de tous les volontaires de la démocratisation active, les animateurs socioculturels, les soignants, philosophes, théologiens, etc… ; ils témoigneraient, ensemble, de la complexité de la lutte antiterroriste, à toute échelle : temporelle, informatique, juridique et géographique.

Et, par la même occasion, ces agents du service public pourraient se valoriser personnellement et restaurer les essences des polices d’Etat de Droit… avant qu’elles n’agonisent.

Maillon après maillon

(Le féminin est compris dans le texte)

Facilitons les initiatives de démocratisation active ; jusque-là plutôt portées par les animateurs socioculturels.

Prévenons les entraves à la sécurité, à la salubrité et à la tranquillité publiques jusque-là plutôt opérées par les agents de sanction.

Après les correspondants de nuit de Vernier ou de Lausanne,

des médiateurs nocturnes voient le jour à Yverdon-les-Bains.

Ces personnes volontaires sont comme des maillons hybrides et se situent entre l’action sociale et la police. Ils se distinguent des professionnels tout en revêtant un rôle officiel. Ce sont des citoyens dont les compétences sont reconnues par les autorités et l’administration publiques. Ils portent un gilet avec le sceau de l’Etat et sont dotés de moyens relationnels et techniques.

Ils débutent leur mission sur la voie publique ce vendredi 11 mars, de 22h00’ à 02h00’, et complètent ainsi la longue chaîne sécuritaire des acteurs sociaux : concierges, agents d’exploitation, employés d’édilité, surveillants, agents pastoraux, travailleurs sociaux, assistants de sécurité publique, inspecteurs sanitaires, policiers. Alors même que ces derniers inaugurent et clôturent la fabrication démocratique – à la fois par la surveillance des urnes de votations et d’élections jusqu’à l’arrestation la plus périlleuse -, ils n’ont pas à craindre que ces médiateurs uniformés ne fractionnent leurs pouvoirs. Au contraire, le champ d’intervention des policiers régionaux du Nord vaudois, ou du canton, sera jalonné de sentinelles bienveillantes et attentives. En même temps, il est utile de rappeler, ici, que les médiateurs nocturnes ne sont pas des indicateurs de police, ni des sous-traitants pour les éducateurs de proximité. Ces personnes de tous âges et de toutes origines sont totalement indépendantes et non astreintes au secret de fonction.

La police des transports, par exemple, partage déjà sa visibilité avec les parrains de gare. Les expériences sont concluantes.

Nous assistons donc à l’émergence d’une nouvelle faculté citoyenne. A l’heure où l’engagement associatif classique se raréfie, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Sauvetage en haute mer démocratique

Le jour se lève.

Les eaux se sont apaisées.

Je suis nullement satisfait.

A peine soulagé.

Le peuple n’a pas gagné. Il a seulement rattrapé l’incapacité de son Parlement à s’opposer à une initiative nuisible et anticonstitutionnelle.

Une majorité des votants a compensé la faiblesse de ses représentants.

Le long de ses quatre dernières années nous avons hérité d’une Assemblée fédérale terriblement peureuse et silencieuse.

Patrick Marione

(Photo de Patrick Marione. 2013)

« Le silence des bons est plus terrible que les actes des méchants. » (Formule attribuée à Martin Luther King)

Même l’équipe de football la plus populaire d’un championnat ne peut pas bafouer les règles d’arbitrage. Que s’est-il donc passé depuis fin 2012 ? Pourquoi l’UDC, avec son initiative de renvoi effectif des étrangers criminels, n’a pas été sifflée “hors jeu” sur le terrain parlementaire. Le 20 mars 2015 l’Assemblée fédérale aurait dû avoir le courage d’invalider cette initiative et de la refuser au vote.

Je ne peux pas me réjouir des résultats de cette votation car si celle-ci avait trouvé ne serait-ce qu’une petite majorité, les fondements policiers auraient été purement et simplement annihilés !

Les expulsions automatiques auraient été exécutées par des policiers qui, soudainement, se seraient vu amputés d’un des quatre principes de base(*) qui régissent leurs missions. Le principe de conduite au procès équitable – travail existentiel du policier exécutif qui consiste à dresser les faits constatés pour les déposer au pouvoir judiciaire – aurait été jeté à la mer et coulé dans les fonds marins. Aucun garde-fou n’aurait été, alors, si puissant pour empêcher que des policiers viennent arrêter, à trois heures du matin, votre employé ou votre beau-frère, sans que ces derniers puissent bénéficier d’un jugement et d’une défense digne de ce nom. Nous aurions alors découvert des polices totalement désarticulées, privées de leur capacité de maîtrise, peut-être même livrées au zèle de quelques dirigeants extrémistes.

Car malgré le résultat de cette votation, une question subsiste :

Comment est-ce possible de revendiquer plus de sécurité publique tout en se moquant de la maîtrise ou du principe de base de celles et ceux qui en ont la charge ?

Ne baissons pas la garde, de nouvelles tempêtes sont à prévoir.

(* Les trois autres principes de base du policier suisse sont le respect de la présomption d’innocence, le respect de la sphère privée et le respect absolu de l’intégrité physique, morale et psychique des personnes interpellées ou/et placées en garde à vue ou en détention provisoire.)

L’état d’urgence en France : un abîme

(le féminin est compris dans les formulations suivantes)

Le policier n’est pas habilité à la guerre.

Le militaire n’est pas habilité à la paix.

Les déviances les plus insoupçonnées se logent dans les entrailles des institutions de polices. Elles se nomment : frustration, fatigues chroniques, manque de reconnaissance, corruption, effets de groupe comme la redevabilité et l’aveuglement, banalisation de la violence, vengeances, traumatismes, etc.

Sous nos latitudes, le policier dispose – s’il a le courage de les solliciter – de l’appui de psychologues, d’éthiciens et de pédagogues pour contenir et repousser, voire résoudre, ses maux de « ventre ».

En Suisse, par exemple, celui qui s’engage dans la voie du diplôme supérieur de policier – comparable à la maîtrise professionnelle après le Brevet fédéral – débute son programme de cours par l’étude des transgressions. Celles qui affectent le bienfondé de l’Etat qu’il sert, les résidents qu’il protège et finalement son métier. Et, comme chacun le sait, ce métier, pour ne pas dire cette vocation, repose sur les Droits humains constitutifs de l’Etat démocratique.

La prolongation de l’état d’urgence en France (voir détails, chiffres et faits en activant ce lien).

La prolongation de l’état d’urgence en France ouvre une brèche dans laquelle les policiers, les premiers, risquent de sombrer.

Je connais déjà plusieurs agents qui sont sérieusement atteints dans leurs valeurs. Celles-là même qu’ils tentent de transmettre à leurs enfants… J’espère qu’ils seront soignés et que leurs séquelles ne les précipiteront pas dans les ténèbres.

L’état d’urgence est donc un – état – d’exception particulièrement déstabilisant pour un système politique et professionnel bâti au fil des siècles sur l’équilibre des forces.

La proclamation de l’état d’urgence après les terribles attentats du 13 novembre était, sans doute, nécessaire. Mais, la prolongation de ce qui ne peut durer présente des contours contre-productifs et contre-exemplaires. C’était prévisible, des policiers peu professionnels et vindicatifs ont commis des abus, pressés qu’ils étaient d’ “abattre” des affaires. Pourtant, aucune enquête sérieuse ne saurait être solidement étayée dans le feu des émotions.

Ont-ils conscience, ces policiers vulnérables, et leurs hiérarchies, de réveiller en leurs seins des démons d’outre temps plus forts qu’eux ?

Voici ce que déclarait, il y a trois ans, un policier français expérimenté en conclusion d’un séminaire sur la prévention des dérives policières :

“Dans le job de policier, nous ne sommes jamais aussi bons que lorsque nous sommes limités dans notre déploiement. Jamais aussi bons que dans le strict cadre de nos lois, sans exception; jamais aussi bons que dans l’exercice de nos autocritiques, sans concession; jamais aussi bons que sous l’oeil vigilant et actif de la société civile et des organisations de défense des Droits de l’Homme.

Ces dernières ne sont pas des entraves mais nos anges gardiens. Je dis bien nos anges gardiens.

Elles nous invitent à faire mieux, elles nous autorisent à nous satisfaire et à nous libérer des poids lourds de notre conscience. Et, surtout, elles nous donnent la garantie de pouvoir nous réjouir chaque matin, devant notre miroir, d’un monde plus juste.”