Politique de sécurité : militaire ou policière ?

Le Conseil fédéral a adopté, ce mercredi 11 novembre, sa nouvelle politique de sécurité. Sur fond migratoire, un possible appui de l’armée auprès des gardes-frontières est évoqué, tel que le prévoit la législation. Par ailleurs, le rapport juge peu probable qu’un conflit armé puisse affecter notre pays. Cela n’empêche pas d’observer quelques agitations d’esprit parmi les franges policières les plus vulnérables…

Ces policiers – souvent issus d’erreurs de casting – se cherchent un rôle face aux afflux de migrants et face aux menaces de l’Etat islamique. Du coup, ils sont tentés de revêtir une posture plus… militaire.

J’aimerais donc, ici, rappeler la différence intrinsèque qui existe entre le policier et le militaire. Cette distinction est salutaire pour notre démocratie. Elle se manifeste essentiellement sur deux points.

– Le statut. La police est une délégation. L’armée est une mobilisation.

– Le moyen. La fin ne justifie pas les moyens. Les outils et les armes des uns et des autres sont parfois les mêmes mais leurs usages diffèrent grandement. A ce propos, n’oublions pas qu’en Suisse, 55 à 60 % des activités policières, toutes confondues, sont d’ordre judiciaire et non sécuritaire.

Cela n’empêche pas d’envisager une collaboration de l’armée avec les tiers-policiers. L’article 57, alinéa 2, de notre Constitution fédérale précise que « L’armée contribue à prévenir la guerre et à maintenir la paix (…). Elle apporte son soutien aux autorités civiles lorsqu’elles doivent faire face à une grave menace pesant sur la sécurité intérieure (…). » En situation de paix, l’armée peut donc venir en aide aux cantons, souverains en matière de police, et leur offrir un apport auxiliaire.

  • Le policier suisse est mon vis-à-vis, mon délégué. Il est détenteur du pouvoir exécutif dans l’enquête, le maintien de la paix publique et l’application des règles administratives sur le champ opérationnel. Il me représente et me protège.
  • Le militaire suisse, quant à lui, est mon alter ego. S’il devait y avoir une mobilisation générale, c’est à moi qu’il reviendrait de revêtir l’uniforme de soldat.

Le policier est en face de moi.

Le militaire est, constitutionnellement, en moi.

C’est précisément la raison pour laquelle la police n’appartient pas aux policiers ; alors que l’armée de milice appartient à ses soldats.

La guerre serait fatale. Elle transformerait de fond en comble notre rapport personnel au pouvoir étatique. Elle nous soumettrait à d’autres légitimités, à un autre code pénal, à d’autres tribunaux. Elle bouleverserait tous nos usages civils, bloquerait les issues et les voies de communication pour laisser place aux exclusions les plus imprévisibles et, le plus souvent, irréversibles. Face à de telles contraintes, le seul front que nous devrions et que nous pourrions opposer serait celui d’une force armée disciplinée et intransigeante. A cet effet, la nomination d’un-e général-e est prévue.

La paix, tout au contraire, nous offre le droit de plaider notre innocence, de recourir contre notre propre Etat, jusqu’à la Cour européenne des Droits de l’homme s’il le faut. Et, si nous devions en arriver là, nous serions accompagnés, volontairement ou non, par la police, co-équipière de nos droits comme de nos devoirs.

La prévention des criminalités en temps de paix ne se pense pas ni ne se conduit comme la défense d’un pays en situation de guerre ou de crise majeure.

Le policier est l’exact opposé du militaire. S’il devait lui céder sa place, nous aurions alors perdu notre pari de sauvegarder la paix.

 

 

Privatiser la sécurité, suite

(Le féminin est compris dans la forme du texte.)

Le convoyage des détenus sera entièrement privatisé à Genève. Dès le 1er novembre 2015, une société privée de sécurité assurera l’entier de cette mission en lieu et place des agents de l’Etat (RTS – 27. 10. 2015). Il se pourrait bien que d’autres tâches de surveillance carcérale soient confiées au secteur privé (Le Temps – 05. 11. 2015).

Lire également le blog de Michel Porret La ligne de mire – et son sujet Privatiser la sécurité du 31 octobre 2015.

Une personne détenue, quelque soit l’avancement de la procédure, avant, pendant ou après condamnation, ou relaxe, est placée sous l’autorité de l’Etat. Ici, placer veut dire contenir et, en substance, éviter les fuites, les collisions d’enquêtes ou toute manifestation de vengeance d’éventuels complices ou adversaires à l’encontre de la personne privée de liberté.

Que dire de la volonté de l’Etat de mieux protéger sa population, de mieux gérer le monde carcéral et ses flux si elle se manifeste par une forme d’impuissance à les produire de ses propres moyens ?

Les arguments financiers et d’employabilité du personnel sont connus. Ils ne forgent pas la démocratie. Encore moins dans un contexte où les débats sécuritaires surchauffent les préjugés et les interprétations.

Cette décision souffre d’une autre incohérence, plus sensible, située en amont de l’immersion professionnelle : la formation de base de ces agents d’Etat et son contenu pédagogique.

A l’heure actuelle, former – instruire devrais-je malheureusement dire – aux métiers de sanction, d’ordre et d’armes semble facile.

Vous mettez les recrues commandées en rang et le « bon-beau-public » se laisse glacer. Mais, cultiver le sens de l’Etat, saisir jusqu’au fond de ses tripes les quêtes universelles de justice et d’équité forgées dans le sang et la sueur de nos prédécesseurs… celles qui vous donnent le désir et la force de vous remettre en question, de monter au front, de braver le danger et de défendre des intérêts bien supérieurs à ceux qui prévalent dans l’économie ou au sein des fractions politisées… ça, je peux vous l’affirmer sur pièce, par centaines et par milliers, c’est un tout autre défi. Les modèles sont rares.

Et, à quoi bon ? Peuvent rétorquer, aujourd’hui, les Assistants de Sécurité Publique d’Etat, auxiliaires de police assermentés et dotés de pouvoir d’autorité ; demain, les agents de détention d’Etat, assermentés eux aussi, s’ils doivent les uns après les autres céder leurs places à des employés d’entreprises privées, aussi efficaces soient-il ?

En Suisse, les violences policières subsistent

En 10 ans, sur les 5’000 policières et policiers, de quatorze corporations différentes, que j’ai rencontré en analyse de pratique ou en résolution des problèmes comportementaux, j’ai recueilli sept dizaines de témoignages alarmants dont plusieurs repentances. Evidemment, il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg. En réalité, on ne sait pas grand-chose sur la nature de ces dérapages. Pour trois raisons : les hiérarchies sont manipulées par leur base ou complices ou sommées de se taire par le politique pour éviter toute vague médiatique.

On en parle quand c’est trop tard, lorsque le film amateur est diffusé comme c’est le cas ces jours-ci aux Etats-Unis. Les mécanismes qui engendrent de telles violences sont connus : mauvais recrutement opéré par de mauvais « éléments » (langage policier courant), bonne instruction mais mauvaise formation d’adulte, frustration professionnelle répétitive, confusion des pouvoirs exécutif et judiciaire, sous-culture guerrière et machiste cultivée par des anciens mal-vieillissants dans les vestiaires et les bars de nuit.

La violence commise par un agent d’Etat professionnel et assermenté, censé nous protéger, est d’autant plus choquante que ce dernier est entraîné à la maîtrise et à la proportionnalité de son geste. Imaginez-vous l’horloger massacrant des pièces tourbillon par excès professionnel…

Dans notre pays, c’est en 2003 que le Conseil fédéral institue le premier Brevet de policier. Notre gouvernement insiste alors sur les moyens de formation qui développent le sens critique de l’agent, son comportement moral et pratique ainsi que sa réelle capacité de représentativité de l’Etat. En effet, l’habilité, comme l’efficience tactique, d’un agent de pouvoir étatique reposent sur cette introspection personnelle et sur le respect des droits fondamentaux.

Le policier n’est pas un professionnel comme les autres.

Il est la force de l’Etat et sa référence.

Si c’est trop lourd pour lui, qu’il s’en aille.

De telles compétences s’exercent et se vérifient ensuite, au jour le jour, dans le cœur de l’action. En même temps, et chacun l’aura compris, il n’y a pas mieux placé que les policiers pour contourner la loi, les règlements et la pléthore d’ordres de service internes. Travestir la transcription des faits, et par conséquent, la rédaction des rapports, est devenue une grande spécialité pour plusieurs d’entre eux.

Je ne vois qu’une résolution possible à ce stade. Créer des lieux de vidages dans les corps de police ; simplement, avec une ligne téléphonique protégée et une permanence physique neutre, confidentielle et indépendante. Ainsi, l’erreur serait déposée, discutée, éventuellement traitée psychologiquement ou/et juridiquement, le cas échéant, soignée ou/et réparée, avant qu’elle ne débouche, si nécessaire, sur du pénal.

Nous aurions, enfin, une radiographie des carences policières comme des dizaines d’autres professions en possèdent déjà et l’utilisent pour améliorer leurs pratiques.

Le policier est-il de droite ou de gauche ?

 

De droite ! Evidemment. Moi aussi, quand j’étais chef d’entreprise j’étais perçu comme étant à droite. Et, après, quand j’ai enseigné la gestion des équipes dans les écoles sociales, mes clients et mes partenaires commerciaux ont cru que je basculais à gauche. Mes confrères professeurs, quant à eux, me voyaient à droite. Mes étudiants ? A gauche. Puis, à l’introduction du Brevet fédéral de policier, j’ai été sollicité par une police cantonale. Alors, soudain, les mêmes étudiants m’ont trouvé peu fiable et… m’ont livré à la droite des flics. Pas tous. Plusieurs d’entre eux en ont profité pour faire leur coming out : « Vous savez, Monsieur Maillard, je suis officier… à l’armée, et, je pense souvent que la droite… ferait tant de bien à la gauche. » Les policiers, mes nouveaux compères, craignaient qu’une chose : que je sois à gauche, ressortissant d’une école sociale, pensez donc ! « Tu réfléchis trop Maillard. C’est pas bon. » Enfin, développant les premiers cours pour le diplôme supérieur de policier, je suis devenu, très progressivement, l’allié des réformes gouvernementales de droite comme de gauche. C’est marrant, on ne m’a jamais offert le centre.

 

« C’est une question de point de fuite, de perspective. » Me confiait l’autre jour un policier. « Si, comme flic, tu dois faire face à des activistes antifascistes. T’as vu ce qui s’est passé à Berne ? Je peux te dire que t’as pas beaucoup de sympathie pour la gauche. C’est vrai que les manifs Pediga ne doivent pas être simples à gérer non plus. T’as vu ce qui s’est passé à Dresde ? Je plains mes collègues. Bon, dans un cas comme dans l’autre, on se fait quand même plaisir… on arrive toujours à en serrer quelques-uns ! Et pis, les tatouages. Faut faire gaffe. Ce sont des signes d’appartenance, de parti, chez les voyous comme chez nous. »

 

A bâbord ou à tribord le flic ?

 

Je n’ai pas de conseil à donner.

Pourtant, lorsque je me remémore le texte suivant :

 

Au nom de Dieu Tout-Puissant !

Le peuple et les cantons suisses,

conscients de leur responsabilité envers la Création,

résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde,

déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l’autre et l’équité,

conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures,

sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que

la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres,

arrêtent la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 – état au 14 juin 2015.

 

… c’est vrai qu’au fond de moi, je me dis qu’après tout, le policier, ne sert-t-il pas et ne protège-t-il pas les faibles, d’abord et en priorité les faibles ? Alors, pourquoi ne pourrait-il pas gagner le parti des faibles ? Nul n’est à l’abri, non ?

 

Mais, dans ce cas, dites-moi, les faibles… sont-ils de gauche ou de droite ?

Gior Gio
Gior Gio

Policier et journaliste : même combat ?

Le policier est à la sécurité publique ce que le journaliste est à l’information publique.

 

Dans le paysage médiatique suisse on trouve des acteurs de droit public et privé. La concurrence que se livrent les médias exige de ceux-ci une lutte acharnée pour survivre. Les trois cents polices suisses ne sont pas épargnées par quelques formes de concurrence, d’abord entre elles mais aussi face à certaines prestations des sociétés privées. Par contre, et heureusement pour nous, les polices ne sont pas astreintes à la rentabilité.

Depuis une génération les médias numériques sont à la portée de tout-un-chacun grâce à l’essor fulgurant des nouvelles technologies. N’importe qui peut relayer un fait divers, soumettre quelques traits d’investigation et le publier sur son blog personnel par exemple. C’est comme si la sécurité publique se passait progressivement du policier.

 

Pouvons-nous imaginer vivre, demain, la même mutation en matière sécuritaire que celle vécue, aujourd’hui, par les médias ?

 

Le journaliste fait face aux transformations du monde de l’information. Le journaliste se mue en médiateur et superviseur de forums, de blogs avec autant de chroniqueurs et contributeurs volontaires. Il offre à ses derniers une crédibilité et la notoriété de son journal.

A la police, le même phénomène s’opère, et, presque comme toujours, débute sur le continent américain. Là-bas, courir derrière le voleur n’est déjà plus l’exclusivité du flic. Dans une dizaine d’états, des chasseurs de prime s’en chargent. Chez nous aussi, nos polices ne pourront bientôt plus assumer toutes les tâches qui leurs sont dévolues.

Roger-H.goun
Roger H.Goun

Afin d’anticiper cette transformation sociétale et de ne point la subir, le policier devra, tout comme le journaliste le fait déjà, muter sa posture.

 

Le policier doit rester le seul rapporteur des preuves et des signalements auprès du pouvoir judiciaire. Tout le reste, il devra, tôt ou tard, s’en décharger ou le déléguer. Le policier est moins bon que le militaire dans la tactique de combat ; il est moins bon que l’informaticien dans les méandres d’internet. Le policier est potentiellement bon, excellent même, quand il doit poser un discernement ou une régie d’ordre sur les pièces à conviction, le constat des faits, l’enregistrement des témoignages et la détection des actes répréhensibles.

 

Le policier saura-t-il s’adapter à son temps comme le journaliste est en train de le faire ?

Le carré suisse : des enseignements pour la police ?

Le Carré « Swiss made » ne tourne pas rond

Sollicité, tout récemment, par plusieurs hauts cadres policiers suisses, pour repenser et refondre les toutes vieilles stratégies militaires de maintien de l’ordre en de nouvelles dispositions policières civiles, j’ai choisi de sonder l’histoire.

Notre histoire.

Comprendre le passé pour ne pas perdre son chemin dans l’avenir. A cette occasion, j’ai redécouvert le fameux « Carré suisse ». Examinant de près cette tactique de défense qui forgea la réputation guerrière des Confédérés mercenaires du 14ème au 16ème siècle,  j’ai été frappé – si je puis dire – par l’ingéniosité de nos devanciers.

Le « Carré helvétique » était formé dans son pourtour extérieur de soldats équipés de longues piques, utilisées pour arrêter les charges de cavaleries. Cette garde périphérique formait une ceinture protectrice et entourait les soldats hallebardiers positionnés au centre.

Au moins trois règles dictaient et animaient leurs actions.

 

  1. La problématique change, le chef change.

Comme première règle, les hommes choisissaient un capitaine dans leurs rangs, quel que soit son grade, au jour le jour, bataille après bataille. Ils privilégiaient celui qui détenait la meilleure idée du moment, celui qui appréhendait le mieux la configuration du terrain, celui qui était dans sa pleine capacité physique et psychique le jour “J”.

 

  1. La force de la différence.

La deuxième règle consistait à respecter et à mélanger, tout à la fois, les origines culturelles et religieuses des uns et des autres, d’un canton à l’autre, d’une ligue à l’autre. En ligne, à mes côtés gauche et droite, les voisins du village et en colonne, devant et derrière moi, deux inconnus ; ceux-là même qui prient dans une autre langue.

 

  1. Croire en l’issue, toujours.

Alors que la troisième condition fixait un point de ralliement au terme du combat, en un lieu précis, à retrouver impérativement et en santé si possible, prétexte à en découdre au plus vite.

 

Ce sont là des pistes qui pourraient être utiles pour redéfinir les stratégies de maintien de l’ordre au sein de nos corporations. Déjà qu’aujourd’hui, en des lieux incertains, la récupération de techniques militaires mortifères affaiblit les missions de police, si au moins nous profitions de l’enseignement de l’histoire…

Tourne le monde.

 

 

Pour ou contre les caméras portées sur le corps des policiers ?

Pour ou contre les caméras portées sur le corps des policiers ?

Je suis contre.

Non aux caméras et oui à la parole du policier assermenté.

Les rajouts successifs de combinaison et de matériel divers n’annoncent rien de bon dans ce métier de l’humain. Ils peuvent soumettre le policier à une forme d’esclavagisme technologique. Suivant cette logique, l’agent des forces de l’ordre sera bientôt remplacé par des robots.

En même temps, je comprends tellement bien cette inclinaison technique. Elle vient compenser un manque de confiance de la part de certains citoyens. Et mon petit doigt me dit que plusieurs d’entre- eux n’ont peut-être pas tout à fait tort… Je connais aussi, de cas en cas, les dérives de policiers recrutés par faiblesse ou incompétence, frustrés et violents. A cela s’ajoute, parfois, des formations lacunaires et une responsabilité diluée dans une pléthore d’échelons hiérarchiques.

Sous le joug de ces lacunes, je préfère encore que la majorité des agents puissent porter une caméra sur eux et faire valoir une preuve d’innocence après plainte du public ou doute de la hiérarchie.

Ou, à l’inverse, que le pouvoir judiciaire et mieux encore, qu’une instance neutre et indépendante, puisse démontrer la malveillance ou la maltraitance commise par une minorité d’agents.

En troisième voie, l’enregistrement son et image pourrait être utilisé en formation afin de corriger des maladresses, le cas échéant. L’erreur n’étant pas la faute ; traitée aux côtés de ses pairs puis corrigée, elle permet de progresser. Alors que la faute doit être sanctionnée.

C’est pourquoi j’ai une condition au refus d’en rajouter sur le poitrail du policier : avoir la certitude que les gestes de ce dernier obéissent aux fondements démocratiques et aux valeurs universelles de notre Etat de droit. Aujourd’hui encore, des policiers recruteurs et instructeurs semblent se moquer de notre Constitution, celle-là même qui justifie leur existence et les emploie. Et, à voir les tatouages et signes de mort ou de violence sur la peau et sur les doublures d’uniformes de ces quelques policiers, malheureusement encore trop nombreux, je crains que nos corporations héritent de caméras, tôt ou tard.

 

A quoi reconnaît-on un policier ?

… à son uniforme ?

Certainement pas, les inspecteurs de la police judiciaire, par exemple, n’en portent pas.

… à son assermentation ?

Non plus. Huissiers, officiers d’Etat civil, experts de l’administration fiscale, gardes-faunes et j’en passe, suivant les cantons, engagent de façon exceptionnelle l’Etat et sont assermentés.

… à son arme ?

Non, sans être policiers, nombre d’agents d’Etat attachés aux questions de sécurité publique ou à la protection de la population sont équipés d’armes diverses.

 

Quel est alors le signe de reconnaissance d’un policier ?

… sa carte de légitimation ?

Oui, certainement. Même si des inspecteurs du fisc, des travailleurs sociaux ou des agents d’exploitation de transports publics dans plusieurs municipalités ou cantons suisses portent des cartes de police sur eux.

 

Le policier dispose-t-il de pouvoirs exclusifs permettant de le distinguer des agents d’Etat, des autres fonctionnaires assermentés et des autres porteurs d’armes ?

Oui, il dispose du pouvoir de coercition lui permettant d’user de la contrainte, de la force jusqu’à la privation momentanée de la liberté d’une personne interpellée. Ce premier pouvoir n’est pas totalement exclusif car d’autres professionnels de sanction peuvent en user partiellement. Cette capacité opérationnelle est maîtrisée, sous nos latitudes, par la proportionnalité, le respect absolu de l’intégrité physique, psychique et morale de la personne retenue et par l’énoncé des motifs de l’arrestation provisoire.

Le moyen de discrétion est, quant à lui, exclusif au policier d’Etat. C’est un pouvoir qui est souvent lié aux opportunités qui s’offrent à l’agent de prévenir, ou non, une situation dégénérescente ou d’appréhender, ou non, un contrôle. Ce deuxième pouvoir permet au policier de discerner un danger imminent, de sélectionner une personne soupçonnée d’infraction ou signalée comme pouvant nuire à la paix sociale, mais aussi de faire choix d’initiative dans un lieu donné et vis-à-vis d’un groupe d’individus en particulier. Ce pouvoir présente néanmoins des risques d’abus importants. C’est pourquoi il est maîtrisé par le devoir de non discrimination négative. Sous-entendu que la discrimination professionnelle (ou positive) est autorisée et se justifie dans l’intervention. En effet, le policier produit une forme de discrimination professionnelle positive quand il recherche une personne en fuite sur la base des signalements transmis par sa centrale. Il pourrait s’agir d’un jeune homme aux cheveux blonds et mi-longs, pantalons rouges, soupçonné d’un vol à la tire, par exemple. Le policier « discrimine » aussi quand il contrôle des résidents occasionnels dans un hall de gare ou un automobiliste sur vingt. Il ne saurait le faire sur la base de critères dénués d’indices criminalistiques.

 

Enfin, le policier est-il le représentant de la loi le plus probant ?

Comme vous vous en doutez : non. Bien d’autres agents d’Etat représentent et appliquent la loi comme les préfets dans plusieurs cantons, les magistrats, les juges ou encore les officiers d’Etat civil. Par contre, il est vrai que le policier reste représentant prioritaire de nos droits. Car le policier est avant tout notre protecteur civil en situation de paix. Il est le premier – et le seul sur la voie publique – détenteur institutionnel des Droits humains. Nul autre que le policier, au jour le jour, peut préserver notre innocence, nous conduire au procès équitable et garantir notre intégrité physique, psychique et morale.

 

 

Ce sont les femmes qui humaniseront la police

Pour la première fois, les aspirantes policières de l’école régionale de Colombier (NE) sont plus nombreuses que leurs homologues hommes. Une tendance qui rassure ? J’ai sondé les représentants d’une dizaine de corporations. Il en ressort quelques peurs, dont celle de perdre le pouvoir – masculin –, et le constat d’un temps qui évolue.

A mon sens, cette tendance est un espoir. Comme le vœu – qu’on n’espère pas pieux – que la féminisation des polices puisse contribuer à mettre fin à une certaine suprématie des mâles. En tout cas de certains mâles, dominants, en certaines circonstances bien définies. Au-delà des questions de parité, toutes relatives, ou des capacités musculaires, tout aussi relatives au vu du développement des sciences bioniques, il y a clairement péril en la demeure pour les vieux de la vieille. Même s’ils seront bientôt une minorité.

Je le constate tous les jours, les profils féminins interrogent l’ancestrale discipline policière, bien plus que la discipline militaire suisse qui s’est vue réformée par la force du scrutin populaire et par les apports insolites de multiples compétences civiles, pluridisciplinaires et miliciennes. Car oui, il existe encore des institutions où les effets d’une féminisation policière sont redoutés. L’Académie de Savatan en est une. Elle a récemment fait parler d’elle en intégrant une grande partie de la formation de base des futurs policiers cantonaux genevois. Les dirigeants de cette école sont tous des hommes. Plusieurs ont été refoulés de leurs corporations respectives pour divers motifs. Vous aurez beaucoup de peine à déceler leurs cursus d’études. Ils n’apparaissent nulle part. Peuvent-ils revendiquer une formation initiale de policier ? Pas tous, tant il est vrai qu’elle n’est nullement nécessaire pour diriger une école de police. Alors, sont-ils titulaires d’une formation pédagogique ? Ce qui serait, vous en conviendrez, utile, pour former… d’autant qu’ils ne se contentent pas d’instruire mais prétendent éduquer des adultes, mères et pères de famille, candidats aux polices. Ni les uns, ni les autres ne sont diplômés en gestion institutionnelle ou en administration de biens publics. Il faut le dire franchement, ces lacunes sont très dommageables à terme. Formation juridique alors ? N’en jetez plus.

La gouvernance qui prévaut à la tête des polices doit retenir notre souffle de citoyennes et citoyens car elle conditionne celles et ceux qui, dans la partie latine de notre pays, nous serviront et nous protégeront demain. Les effets pour le moins compromettants de la situation actuelle se feront sentir plus vite qu’on ne le pense et les générations futures le paieront très cher.

Pourquoi ce détour à Savatan ? Imaginez un seul instant la venue de femmes au milieu de cet état-major d’hommes, rien qu’entre eux. Aucune chance.

Elles seront instantanément bluffées par la soldatesque, sur le champ d’une guerre imaginaire et des gloires… tant espérées. Les injonctions seront assassines. Quel grade Madame ? P’tite dame, avez-vous déjà menotté ? Les postulantes auront beau plaider leur tour du monde linguistique, leur doctorat en anthropologie, leur master en sciences criminelles, leur brevet d’avocate, leurs expériences dans les entreprises multinationales, elles seront toutes assignées à de la sous-traitance et à l’aumônerie. C’est-à-dire à tous les enseignements existentiels et fondateurs de notre démocratie – donc de nos polices – considérés par nombre de galonnés comme des jobs de «femmelette» et de «chochotte». Intimidés de la sorte, nos futures policières et futurs policiers hériteront d’un métier au socle vacillant, sans âme; d’un métier «qui s’exécute le cerveau dans les talons, un pas derrière l’autre», aligné, assujetti, inféodé. Le contre-exemple parfait à tous les profils plus que nécessaires à la lutte antiterroriste, aux investigations laborieuses et au courage de rompre la routine et d’investiguer par-delà les ordres. Sur ce plan, nos politiques sont, soit naïves, soit calculatrices. Elles ne sauraient ignorer les problèmes de casting et de gestion. Les notes de service, les rapports écrits et consignés, les témoignages, le nombre de départs plus ou moins volontaires, sont significatifs et de plus en plus nombreux… qu’ils devraient rompre les digues tôt ou tard.

La féminisation des polices est bien plus qu’une question de genre. Elle est la mise au tapis des mécanismes machistes et hiérarchisés à outrance.

En l’état, aucune femme ne peut franchir de postulation, de recrutement, d’admission professionnelle supérieure et, le cas échéant, serait épargnée par le couperet des qualifications – dont, par exemple, ladite académie tient le secret –, sur ses seuls faits d’armes. Aucune femme ne saurait diriger une école professionnelle, en Suisse, au seul motif de ses galons. Que la féminisation parvienne dans la police et la pratique évoluera; qu’elle entre en direction d’école de police et le mythe s’effondrera.

Bien entendu, nous ne pouvons pas généraliser. La femme «comme on ne fait plus d’hommes» existe aussi. Mais, en de telles circonstances, elle est et restera une exception. En effet, la femme doit faire preuve de toutes les ingéniosités du monde, celles-là même qui manquent aujourd’hui à plusieurs polices. Elle n’a pas le choix. Elle aiguise ses compétences sur les contours de la nature humaine et développe d’autres armes, par dizaines, mieux affûtées, plus fortes, audacieuses et perspicaces. Non pas qu’elle supplante le genre colosse d’avec celui de la prévention ou celui de la médiation mais, avec et par elle, la bête primitive est revisitée, critiquée, et en vient à s’autodéterminer. Le pouvoir imposé et menaçant devient autorité concertée, admise et reconnue. La femme en police n’est pas meilleure que l’homme mais elle oblige les récalcitrants à cultiver de vraies compétences de marché et non plus seulement quelques privilèges autarciques.

La féminisation des polices est bien plus qu’une question de genre. Elle est la mise au tapis des mécanismes machistes et hiérarchisés à outrance. Des mécanismes aliénants qui préjudicient gravement les capacités de nos polices. A quoi bon être un homme, un «vrai», sportif, discipliné, si je n’ose pas dénoncer l’indignité, si je n’ose pas m’opposer, par peur et par soumission, aux malfaisances qui rongent mon propre destin de vie professionnelle ?

C’est quoi un bon policier ?

L’évolution de nos sociétés provoque de fortes mutations sociales. Il existe encore des organisations de police qui les subissent. Chez elles, le statut policier se perd en conjectures. C’est quoi un policier ? A quoi reconnaît-on un policier ? Est-ce que le Brevet fédéral de policier fait d’un policier un bon policier ? Une habitante de Genève ou d’Yverdon peut se retrouver, par hasard, au coeur de l’action de trois, quatre, cinq, six polices différentes et parfois concurrentes. La police des transports est-elle une police comme les autres ? Les assistants de sécurité publique ou les gardes-frontière sont-ils policiers ?

Si nous nous penchons maintenant sur les fonctions policières, nous sommes davantage désorientés. Typiquement, le maintien de l’ordre est-il une tâche de sécurité publique ou de police ? Quelle est la différence ?

Les confusions naissent dès le recrutement puis s’échouent sur les plages des formations. En effet, plusieurs institutions de police conditionnent leurs aspirants dans le moule étroit d’une gymnastique guerrière. Durant mes analyses de pratique, j’ai répertorié quatre raisons, extraites des aveux policiers, qui conduisent à ce vice de forme. Les exigences d’engagements disciplinaires et physiques réduisent le policier à la confrontation militaire, alors qu’il n’a pas à s’y trouver. Cette sournoise sélection nous prive de nombreuses personnalités compétentes, qui manifestement ne peuvent pas répondre aux attentes des instructeurs recruteurs bodybuildés. Cette étroitesse managériale prétérite gravement les effectifs; insuffisants selon les déclarations de plusieurs syndicats et états-majors. Ce culte du corps bluffe la population, autant que le politique, sur les intentions et les réelles actions à mener. Dommage, parce que la police exerce un rôle bien plus important en amont et, si possible, avant que le crime ne vomisse ses effets visibles et désobligeants. De un. Je ne me lasse pas de le répéter. Je veux voir des policières et des policiers très bien entraînés. Mais qu’à leur entraînement optimal corresponde la meilleure formation tactique et technique possible. Cette catégorie de policiers ne représente qu’une fraction des 120 métiers que l’on trouve dans les polices suisses; métiers qui sont répartis dans plus de quatre-vingts corporations ou groupements thématiques et territoriaux. Réduire la police, et donc les facultés des jeunes filles et des jeunes gars que l’on recrute, à des gabarits physiques est une hérésie et une pure méprise; c’est ignorer les compétences et les réelles capacités de notre jeunesse; c’est aussi faire fi de notre fédéralisme.

Je souhaite des filles et des gars qui aient du courage, qui prennent des initiatives, qui sachent contredire s’il le faut, qui ne se laissent pas faire, qui nagent à contrecourant, qui en imposent, qui maîtrisent leurs verbalisations et leurs argumentaires, et encore qui ne craignent pas de passer des milliers d’heures derrière les écrans, devant les cartes géographiques, dans les laboratoires scientifiques, au coeur des réseaux sociaux, et qui puissent traquer tout ce qui peut nuire à la sécurité de nos enfants. Et, s’il le faut, après tout ça, les unités dites spéciales interviendront. J’ai vu les dégâts qu’entraîne le fait de retenir des patrouilleurs équipés de leurs lourdes ceintures de charges dans les bureaux: un lot de désolations, de frustrations, de démotivations, mais aussi des nuisances institutionnelles ainsi que des dépenses inutiles.

De deux. Le policier se situe à l’exact opposé du militaire. Le premier préserve la paix. Le deuxième fait la guerre. En Suisse, Dieu merci, le militaire milicien espère ne jamais la faire. Préparer le policier à l’affrontement avec des pratiques et des obligeances guerrières revient à sauter une étape – la nôtre et celles des anciens – qui depuis presque septante ans nous réjouit et nous invite à vivre en paix. Faire comme si on avait tout épuisé et, pire, échoué, pour faire peur, couver la menace et orienter nos jeunes dans le conflit dégénérescent est un aveu d’échec, un manque de confiance. Là encore, faut-il le rappeler, si la guerre devait, par la plus nocive des dégradations, éclater, nos policiers civils seraient assujettis aux militaires dans un rang auxiliaire. Le pouvoir judiciaire et ses tribunaux ainsi que les médias publics revêtiraient, eux aussi, l’organisation, la logistique et l’uniformisation militaires. Tous devraient abandonner leurs postures civiles. Mais, aujourd’hui le policier prête serment au pouvoir civil et non au pouvoir militaire. La manipulation qu’opèrent certains esprits commandeurs et nostalgiques est très dangereuse, décalée, inopérante et contre-productive. S’ils avaient raison, il ne nous resterait que peu de liberté pour penser nos échecs quant au maintien de la paix, quant à notre diplomatie, devenue soudainement infructueuse, et quant à nos manquements en prestations et formations d’adultes, tels que nous aurions pu les offrir à nos jeunes aspirants policiers.

De trois. Jusqu’à ce jour, pas un seul cadre de police, pas un, n’a pu et su me dire pourquoi une jeune fille douée d’intelligence investigatrice, tenace, polyglotte et diplômée en informatique, en transactions financières ou en sciences sociales, se déplaçant sur une chaise roulante, ne pourrait pas entrer dans la police ? L’embarras circule depuis des années, d’une main gantée à l’autre. «Oh, je sais…» J’ai tant de fois essuyé les mêmes excuses à propos du sexe faible dont on m’assurait l’impossibilité éternelle à rejoindre l’étalon police; ou de la taille, parce que pour combattre les grands il faut être grand; ou de la dictée; de l’âge limite avant et après; de la nationalité; du cousinage fiscal; du genre sexuel et j’en passe.

De quatre. La population semble être satisfaite lorsqu’un déploiement policier – souvent affublé d’un nom d’oiseau ridicule – est opéré dans son quartier ou à proximité de sa gare. La population peut y croire, mais pas le policier de terrain qui, lui, se sait manipulé. Enfermé des heures durant dans des fourgons aux vitres teintées, il perd progressivement le fil de ses ambitions comme de ses enquêtes au profit d’un acte de présence que des centaines d’autres agents de l’Etat pourraient accomplir, sans carte de police et sans avoir été rémunérés durant leurs formations. On en revient à la rareté et à la cherté des ressources humaines. Dans les polices inaptes au changement, ces deux armes sont savamment et quotidiennement aiguisées par ceux qui recrutent et se barricadent.