« Je persiste et signe … » Andréas Janin…

… policier municipal lausannois du 1er mars 2014 au 30 novembre 2015.

Découvert, au sens propre, lors du reportage de Temps Présent sur la RTS le 27 septembre 2018, Andréas Janin confirme la recrudescence des discriminations lors des interpellations de police notamment à Lausanne où il exerçait au sein de Police secours.

Questions

  1. Aujourd’hui, vous vous exprimez ouvertement. Comment pouvez-vous expliquer cette pression qui réduit au silence et à la contradiction une majorité de vos anciens collègues ?

Andréas Janin. Clairement, c’est la sécurité et la stabilité qu’offre le job. La charge du travail est dense et dès notre entrée en fonction on se retrouve devant des rapports qu’on ne sait pas rédiger, qu’on n’a pas examiné dans notre formation initiale. À cela s’ajoute la pression du groupe basé sur l’encensement du maillon fort et l’exclusion du maillon faible. Se détacher du Corps de police en étant jeune, sans tarder, comme je l’ai fait est alors un avantage. Je ne m’étais pas encore trop livré et n’avais pas donné toute ma vie à la police… vie que je ne saurais renier ensuite.

  1. Si l’on vous rétorquait aujourd’hui que vous n’étiez pas fait pour ce métier ?

Andréas Janin. Je me sentais mal. Je ne pouvais pas rester complice de telles injustices. Soit je me battais à l’intérieur, c’est à dire contre plusieurs de mes collègues, soit je prenais de la distance pour comprendre puis en parler. Vous n’avez pas le choix. Prendre du temps c’est s’extraire de l’emprise du Corps.

 

“Policier, c’est être au service de l’humain.

Je le suis davantage aujourd’hui étant à l’extérieur de la police.”

Andréas Janin

le vendredi 2 novembre 2018 à Lausanne

 

  1. Maintenant que vous êtes, d’une certaine façon, libéré, quelle vision vous anime ?

Andréas Janin. Je plaide la création d’une entité indépendante et neutre à laquelle mes anciens collègues pourraient avoir recours pour des conseils, comme un lieu de vidage authentique. Actuellement tout est sous le contrôle de la hiérarchie. Les services sont muselés.

  1. Le cursus de policier dont vous bénéficiez est-il utile pour votre reconversion professionnelle ?

Andréas Janin. Ma formation de policier et son brevet fédéral ne me servent pas à grand-chose hormis l’expérience humaine. C’est aussi pour cette raison que très peu de policiers n’osent protester. Vous êtes très vite démunis en dehors de la grande famille police. La formation initiale de policier devrait offrir davantage de compétences sociales et approfondir les causes des maux et des criminalités. La vraie question c’est : que pouvons-nous faire pour mieux connaître les réalités sociales que nous côtoyons dans notre métier ?

  1. Sur la base des témoignages directs dont je dispose et de mes analyses, j’affirme que depuis plusieurs années nous assistons à une détérioration des comportements policiers et qu’une interpellation sur cinq comporte une discrimination. Pouvez-vous infirmer ou confirmer cette proportion ?

Andréas Janin. Oui, je confirme. C’est inquiétant. Dans le quotidien de Police secours une intervention est poussée par la suivante. Nos actions sont marquées par la méfiance. On n’arrive plus à faire la différence entre le danger et le service public. À la fin, on se venge. On se défoule sur les faibles. De mon point de vue, à Lausanne, là où j’agissais, c’est encore plus important comme proportion, jusqu’à deux, trois interpellations sur cinq sont discriminantes.

 

 

 

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

2 réponses à “« Je persiste et signe … » Andréas Janin…

  1. Bonjour Monsieur Maillard,

    C’est un plaisir de vous lire, j’apprécie vraiment vos articles.

    Est-ce qu’il serait possible de développer un article sur la reconversion de policier(s) déchu(s) par les pratiques managériales étouffantes ? Ou déçus par leurs cursus professionnels, créant une frustration morale suivi de problèmes de santé, dont la seule issue de secours est d’arriver à la retraite. Quelles seraient les métiers qu’ils pourraient assumer à 50 ans ? Qui pourraient les conseillers ?

    D’avance merci pour votre réponse et au plaisir de vous lire.

    Avec mes meilleures salutations.

    1. Bonjour Madame, Bonjour Monsieur,

      vous avez raison et c’est une particularité de cette profession. Au faîte de leur expérience et de leur compétence, nombre de policiers dans la cinquantaine sont “rangés” dans des fonctions décoratives et peu opérationnelles en attendant la retraite. Il y a des exceptions fort heureusement. Le métier ayant été construit sur la démonstration physique, à cet âge, ils sont déconsidérés. Vous y ajoutez la retraite avancée (à force de compensations…) dans plusieurs cantons et ; dans le meilleur âge de la transmission ces agents nous quittent – en lieu et place de restituer leurs savoirs, savoirs financés par le denier public – pour rejoindre des organismes de sécurité privés ou l’ONU puisqu’ils sont encore pour la majorité en pleine forme…. quel gâchis !
      Vous abordez aussi la question de l’employabilité ou de la conversion dans d’autres professions ou activités que pourraient gagner d’anciens policiers au même âge… Cette question me préoccupe aussi. Nombre d’entre eux me confient que leur Brevet fédéral ou pratique policière ne valent pas grand chose dans le monde civil. Il y a donc lieu d’imaginer une formation plus large pour favoriser les conversions professionnelles. J’ai déjà proposé que les policiers en exercice puissent pratiquer des stages et des séjours dans d’autres domaines d’activités afin de faciliter les transitions futures.

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