Une demi génération au moins, c’est le retard qu’accuse la Police de Lausanne et d’autres dans l’exercice opportun de l’interpellation et dans l’application du moyen discrétionnaire lors des contrôles de personnes. C’est un déficit dommageable sachant que ces polices, principalement urbaines, doivent se positionner puis intégrer partiellement ou totalement les nouvelles sciences et modus operandi génétiques, prédictifs et autres méthodes d’anticipation et de robotisation. Il y a lieu de parier qu’elles resteront à la traîne encore une ou deux décennies.
Les conséquences sont connues : agents de terrain frustrés et désabusés, statistiques remodelées à la veille des élections, hiérarchies qui se couvrent et se recouvrent d’insignifiance.
L’excellent reportage de Shyaka Kagame et Gabriel Tejedor diffusé par Temps Présent RTS le 27 septembre passé (2018) révèle avec finesse et intelligence la problématique du délit de faciès et l’incapacité policière à la résoudre.
Discriminations persistantes au sein de plusieurs polices
Nombreux sont les intervenant-e-s externes qui ont constaté puis dénoncé publiquement une détérioration des pratiques d’interpellation et une augmentation des discriminations raciales depuis 2015, après s’être réjouis d’une accalmie liée à l’introduction du Brevet fédéral de policier dès 2004. Voir mon opinion publiée par Le Temps le 17 avril 2018.
La clairvoyance du policier courageux
Dans ce reportage, nous découvrons un – jeune ex – policier qui témoigne à visage découvert. Son diagnostic ne souffre d’aucune subjectivité. Il est le reflet des dizaines de policières et policiers que je croise chaque semaine et qui, pour diverses raisons, n’osent ou ne peuvent pas s’exprimer. Ils le feront, me rassurent-ils, une fois libérés du métier trompe-l’oeil.
Ce seul témoignage suffit par sa qualité argumentative.
Néanmoins, on peut regretter que ses anciens pairs aient oublié que la parole libérée reste l’arme la plus efficace du policier.
Articles de lois contre la discrimination raciale et professionnelle
@ M. Frédéric Maillard :
Autant votre article est bref, autant il sera susceptible de générer de nombreux commentaires, car il peut prêter à des sous-entendus qui vous seront attribués à tort ou à raison. En voici un :
Le « délit de faciès », pris au premier degré, c’est rendre coupable une personne en raison de son aspect dû à son origine. Par extension, on parle de « délit de faciès » quand il y a suspicion de culpabilité dirigée vers cette personne. Considérez-vous que le policier qui contrôlera prioritairement des personnes de couleur sur son chemin ou lors d’une manifestation soit inopportun ? Si tel était le cas, la bonne conduite du policier serait en décalage avec le bon résultat qu’on attend de son travail. L’exemple que j’ai choisi des « personnes de couleur » est vague, mais resserrons les statistiques. Si les arrestations pour trafic de drogue montrent une proportion importante de délinquants d’une certaine origine par rapport à l’ensemble des origines confondues, cette proportion dominante peut être considérée comme reflétant la situation à grande échelle, soit les personnes de cette origine parmi les autres que l’on croise dans la rue, ou lors d’une manifestation. Quand bien même une marge d’incertitude existe, ce serait une erreur en terme d’efficacité de vouloir ignorer cette réalité, afin de ne pas avoir de suspicion due… au faciès lié à l’origine, ou en rapport des statistiques ? Maintenant quand vous mettez en avant « la clairvoyance du policier courageux » qui reflète l’avis de dizaines de policières et policiers que vous croisez chaque semaine, quel est l’avis des autres que vous croisez également et qui « manquent de courage » ?.. Le fait qu’ils ne viennent pas à vous, ou que vous ne les questionniez pas, ne suffit pas pour leur attribuer les mêmes opinions qu’à ceux que vous désignez comme « courageux ». Il serait ainsi utile, pour donner plus de consistance à la version que vous donnez, d’expliquer pourquoi la majorité des policières et policiers n’osent pas s’exprimer librement. Et qui sont les intervenants externes qui relèvent les cas de discrimination raciale ? Sur quels critères ? Dans le contexte du travail de la police le comportement discriminatoire ne peut pas être reconnu comme il le serait dans d’autres situations ordinaires. En est-il tenu compte ? On peut en douter…
Bonjour Monsieur,
je vous remercie pour votre commentaire circonstancié.
J’ai été bref car j’ai déjà abordé cette thématique plusieurs fois dans mes blogs et dans de précédentes interviews presse. Je voulais seulement rebondir sur le récent reportage de Temps Présent.
Votre définition du délit de faciès est celle que j’argumente dans mes cours et conférences.
Le policier qui contrôle prioritairement une population en particulier (pour rebondir sur vos termes) en raison des indices ou des faits en sa possession et qui énonce clairement ses motifs d’interpellation use de son pouvoir discrétionnaire ordinaire et légitime. Il ne discrimine pas négativement l’individu interpellé. Dans tel cas de figure, il n’y a pas de délit de faciès. On parle alors de profilage. Car le policier est concentré sur les événements et leurs risques, non sur quelques groupes de population souffrant de préjugés. Ainsi, comme on a pu le vérifier ces dernières décennies, si le trafic de cocaïne, par exemple, emprunte de nouvelles filières et de nouvelles trajectoires géographiques en se servant d’autres flux migratoires, le policier saura réorienter son action vers les nouvelles populations concernées ou à risque. Le trafic de cocaïne n’est pas africain, il se sert des ressortissant-e-s de l’Afrique de l’Ouest en s’infiltrant dans les circuits propices à la rentabilité (pour faire court…).
Ainsi, on peut conclure que le policier qui ne se prête pas à ce discernement géopolitique et cède à une forme de facilité pourrait discriminer un type de population en particulier. J’ai constaté que dans ce cas, le policier, ne justifie même pas ses actes ou ses gestes. Le délit de faciès à donc lieu.
S’agissant maintenant des policiers qui gardent le silence ou qui s’expriment sur leurs difficultés professionnelles, il y a lieu de contextualiser les témoignages. Les policiers sont soumis au secret de fonction et au devoir de réserve afin de préserver les procédures en cours. Fort heureusement. Mais, rien ne les empêcherait de déposer leurs aléas en des lieux de “vidage” protégés. Ainsi, nous disposerions de tendances, statistiques et autres appréciations plus globales.
Quant aux intervenants externes, ils se sont exprimés dans leurs travaux scientifiques s’agissant du regretté feu Olivier Guéniat ou de publication de thèse s’agissant du Dr en sociologie David Pichonnaz, par voie médiatique s’agissant de la psychologue d’urgence Noelia Aradas Miguel ou l’avocate Maître Aline Bonard, et bien d’autres que je ne saurais lister ici.
Au plaisir de vous lire à une autre occasion,
Frédéric Maillard
@ M. Frédéric Maillard :
Je vous remercie d’avoir consacré du temps pour m’éclairer sur les questions que je posais dans mon commentaire, et de citer les autres spécialistes : Sociologue, psychologue, avocate… Je suis tombé un peu dans le sujet sans m’être préalablement documenté, et je me rends compte que nous sommes bien loin du monde de la police que je connaissais mieux il y a… trente ans ! Mon sentiment est que cette police a du évoluer rapidement pour faire face à un monde plus « sauvage », donc propice à endurcir les « combattants » sur le terrain. Alors pas facile d’avoir le policier idéal qui doit être fort, juste, honnête et vaillant comme l’exemplaire Chevalier Baillard « sans peur et sans reproche ». Sans oublier que celui-là est en droit d’attendre que le roi lui fournisse une bonne armure ! Cette image que je donne est certainement un peu bête et fera rire, mais quand je vois le policier qui un soir aide à sauver un chat, je pense que le lendemain il devra peut-être se protéger d’un tigre qui lui saute au cou, et cela le public n’a souvent, à mon avis, pas trop envie d’y songer. On l’attend plutôt au virage avec une enquête pour dérapage intentionnel ou non. Et là ne pourrait-on pas parler aussi de suspicion orientée ? Je choisis un cas de figure qui se présente et se traite actuellement bien différement qu’à l’époque : Le policier tire à l’instant où il se sent en danger de mort. Il fera systématiquement l’objet d’une enquête devant déterminer s’il n’a pas excédé les limites relative à la situation de légitime défense, et si je ne me trompe pas cette procédure est systématique. Ainsi l’on examine si le policier n’aurait pas abusé de sa position de force en voulant se protéger trop tôt… Si c’est cette conclusion qui aboutit : « Il aurait pu faire autrement, il aurait du voir que… ». Par l’enquête faite d’office (qui se distingue d’un simple exercice d’évaluation en groupe), ne remet-on pas en cause les capacités moyennes que l’on attribue au policier qui a été finalement formé, évalué, et fait ensuite ses preuves au courant de son exercice ? Alors je vais peut-être un peu loin, et cela pourra faire bondir : Le « délit de flic » serait à mon avis une notion à plus discuter (ou exposer car le débat existe certainement déjà en interne).
En conclusion, excusez-moi d’avoir pris peut-être trop de place dans cette colonne, mais c’est pour dire aussi que j’apprécie les articles tels que le vôtre qui contribuent à établir un lien de compréhension entre la police et le public dont je fais partie. Je regrette aussi M. Olivier Guéniat qui faisait « un plus » dans le même sens.