Maroc: un Islam du “juste milieu” et l’Appel d’Al Quods

 

 

En tant que Commandeur des croyants, le roi Mohammed VI se veut le défenseur d’un « islam du juste milieu ». Le royaume marocain montre des signes d’ouverture aux autres religions, même si ses minorités restent discriminées. Selon l’agence de presse officielle (MAP), le souverain a réitéré sa détermination à œuvrer avec le pape François pour « la consécration des valeurs religieuses et spirituelles nobles partagées par l’humanité, des valeurs qui prônent la paix, la tolérance et la coexistence et qui rejettent toutes les formes d’ignorance, de haine et d’extrémisme ». Et ce ne sont pas que des mots.

En effet, François, lui aussi fervent partisan du dialogue interreligieux, a pu s’en rendre compte lors de sa visite les 30 et 31 mars dernier au Maroc où il a été accueilli par Mohammed VI à sa descente d’avion qui lui a fait visiter son Institut de formation d’imams. Le Maroc a choisi de reprendre en main le champ religieux à travers un programme de formation de cadres du culte religieux. Un islam tolérant, ouvert au dialogue et à la coexistence avec les autres religions. Ce centre a aussi un aspect diplomatique et se positionne dans le monde musulman et en Afrique subsaharienne comme un rempart contre l’extrémisme et la violence. Il s’agit de faire en sorte que les imams étrangers qui y participent, deviennent les ambassadeurs du modèle religieux marocain. Environ 1300 hommes et femmes suivent le cursus de 2-3 ans qui permet de devenir officiellement imams. Ils étudient le Coran, la jurisprudence islamique et ont des cours sur le christianisme et le judaïsme pour une vue globale sur les religions afin de pouvoir cohabiter avec d’autres communautés. La France a passé un accord avec le Maroc pour la formation de ses imams. Ainsi pourra être contré à long terme l’influence néfaste du Quatar (salafisme) non seulement en Afrique, mais aussi en France, en Suisse, en Belgique et ailleurs (voir « Qatar papers » de G. Malbrunot et C. Chesnot). Après avoir entendu les témoignages de plusieurs étudiants, le dialogue s’est transformé en musique avec l’orchestre philarmonique du Maroc : l’Ave Maria de Caccini, le chant juif du Chema Israël et celui de l’appel à la prière musulmane. Un moment de grâce et de beauté qui a émerveillé le pape.

En plus, Mohammed VI et François ont lancé « l’Appel d’Al-Quods (Jérusalem) » qui a été transmis à l’ONU. Il demande de maintenir Jérusalem comme « lieu de rencontre et symbole de coexistence pacifique entre juifs, chrétiens et musulmans ». Il plaide aussi pour la garantie de la pleine liberté d’accès à Jérusalem par les fidèles des trois religions et le droit de chacun d’y exercer son propre culte. C’est la réponse à la décision américaine en 2017, très contestée, de reconnaître Jérusalem comme seule capitale de l’Etat israélien.

Le discours du pape François était très attendu par le peuple marocain, 37 millions d’habitants dont quelque 30 000 chrétiens (catholiques, protestants et évangéliques) représentés par des Français et d’autres Européens, et en majorité, par des migrants africains. Il a plaidé pour la liberté de conscience et la liberté religieuse qui ne se limite pas seulement à la seule liberté du culte, mais qui doivent permettre à chacun de vivre selon sa propre conviction religieuse. « La tentation de croire en la vengeance comme un moyen légitime d’assurer la justice de manière rapide et efficace, nous menace toujours, mais l’expérience nous dit que la seule chose qu’apportent la haine, la division et la vengeance, c’est de tuer l’âme de nos peuples, d’empoisonner l’espérance de nos enfants, de détruire et d’emporter avec elles tout ce que nous aimons. Pas de prosélytisme, a-t-il encore ajouté »

A Abu Dhabi en janvier, le pape François et le grand imam de la mosquée Al Azhar, Ahmed Al Tayeb, avaient aussi signé un texte commun, sincère et sérieux, à l’issue d’une conférence qui avait réuni 700 représentants de toutes les religions, un texte qui peut être lu et médité par tous, marqué par le désir de réunir chrétiens et musulmans, les autres croyants, et finalement les hommes de bonne volonté. Un texte qui puise dans la tradition chrétienne, la tradition musulmane, et aussi dans les valeurs universelles et qui n’est pas sans provoquer des résistances. Mais il veut contrer les discours de haine et lutte contre les discriminations de sexe et d’ethnie comme religion. Le pape François, déclaré naïf par certains, n’ignore pas les grandes divisions politiques et religieuses du monde musulman, mais il mise sur la confiance et le dialogue. Le risque est bien plus grand pour le grand imam Al Thayeb (Egypte), le roi Mohammed VI et le roi Abdallah II de Jordanie, d’être assassinés par des fondamentalistes religieux comme l’avait été Yitzak Rabin en Israël (1995). Ils méritent notre soutien.

 

 

 

 

Afrique: Di Maio et la colonisation italienne

 

Le trublion Di Maio, vice-président du Conseil italien, semble ne pas connaître l’histoire coloniale de son pays, puisqu’il critique la colonisation française, sa monnaie CFA qui a permis aux anciennes colonies de s’intégrer dans le commerce mondial, et l’accuse tout simplement d’être responsable de la mort des migrants noyés dans la Méditerranée pour avoir pillé les ressources du continent africain !

Au XIXe et XXe siècle, l’Italie a colonisé l’Erythrée, la Somalie, la Libye, et plus tard l’Ethiopie sous Mussolini (1935-41). L’écrivaine Igiabo Scego, citée par Le Monde Afrique du 10 février, ne mâche pas ses mots. Fille de migrants Est africains, à la fois romaine et somalienne, elle dévoile comment  les territoires conquis ont été brutalisés, malmenés, violentés, les femmes souvent réduites en domestiques et esclaves sexuelles et  les hommes pendus. Des actes de barbarie, des atrocités sans noms, sont restés impunis que la société italienne de l’époque  a préféré oublier, malgré les noms des édifices, des places, des rues donnés attestant la présence italienne et culturelle : avenue de Libye, rue Asmara, quartier africain.  Le pire a été la guerre menée par Mussolini pour conquérir l’Ethiopie du célèbre Negus à partir de 1935. Deux pays pourtant membres de la Société des Nations (SDN) et ayant signé la Convention de Genève. Mussolini a fait bombarder les soldats éthiopiens pieds nus avec des gaz toxiques interdits et des hôpitaux de campagne nouvellement installés dans ce pays dénué de tout.  Un épisode bouleversant raconté dans le livre du délégué du CICR Marcel Junod : Le troisième combattant  qui a inspiré de nombreux nouveaux délégués pour le CICR.

La colonisation italienne, comme les autres colonisations, a laissé de profondes marques dans les peuples, notamment en Somalie, par les écoles et la langue italienne. L’auteur de ces lignes a rencontré un jour dans le train Genève-Zurich un migrant poussant le chariot des boissons qui parlait parfaitement l’italien !  Parmi les migrants actuels, beaucoup viennent d’Erythrée, d’Ethiopie et de Somalie, n’en déplaise au vice-président du Conseil Di Maio. Ils fuient les dictatures, les guerres tribales, les Shabab. Les 400 qui se sont noyés près de l’île de Lampedusa en octobre 2013  venaient d’Erythrée. Ils croyaient qu’ils seraient accueillis !  Le pape François italien d’origine y est accouru pour jeter des fleurs dans la mer en criant : vergonia, vergonia ! Quelle honte ! Quelle honte ! Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur, a lui refusé le débarquement d’autres Erythréens en août 2018. Aucun journal italien n’a mentionné les liens historiques de l’Italie avec ces migrants… Au contraire de la France qui ne nie pas son passé colonial, le président Macron a même parlé de crimes contre l’humanité pour l’Algérie….

Il y a des ressemblances entre la colonisation portugaise en Angola où le dictateur Salazar avait envoyé ses troupes auteurs aussi à toutes sortes d’atrocités que les rescapés ayant fui en Namibie dans les années 70 racontaient dans les camps. Après l’indépendance en 1975, trois mouvements de libération vont encore s’entretuer pendant plusieurs années, soutenus par les Russes et les Allemands de l’Est d’une part (MPLA), et les Sud-Africains aidant Jonas Savimbi… Toute une génération de jeunes furent ainsi sacrifiés comme ceux des anciennes colonies italiennes. Maintenant ce sont en partie les Chinois qui en récoltent partout les fruits.

Afrique: quand les Eglises s’en mêlent…

Dans beaucoup de pays africains, les Eglises sont les seules institutions solides et bien structurées. Presque partout, elles jouent le rôle de médiatrice. Des évêques, en partenariat avec d’autres Eglises ou communautés religieuses, ont élevé la voix pour dénoncer les abus d’hommes politiques ou alerter sur des faits politiques qui peuvent devenir dangereux pour les populations. A lire ce qui suit, il semble que les hommes au pouvoir dans les pays africains ont été catéchisés par l’influence chinoise pour démolir la démocratie et les droits de l’homme et se mettre au pas. De plus l’influence des gilets jaunes en France dont certains veulent tout simplement casser le système, n’est pas négligeable non plus.

On l’a vu ces derniers jours avec l’Eglise catholique, aidée par d’autres Eglises, en République Démocratique du Congo (RDC). Avec ses 40 000 témoins dans tout le pays, elle a pu rapidement savoir qui avait gagné les élections sans prononcer son nom. Quand la Commission électorale indépendante (Ceni) a prononcé le nom de Félix Tshisekedi, elle a pu révéler celui de Martin Fayulu. Communications internet et téléphoniques bloquées, intimidations, répressions, report de 3 millions de voix de Fayulu en faveur de Félix Tshisekedi et du dauphin de Kabila Emmanuel Ramazani Shadary… Ils ont été bien conseillés par certains acteurs étrangers… Malgré l’intervention de l’Union Africaine et de l’ONU qui sont intervenus pour faire connaître la « vraie » vérité, la Cour constitutionnelle a proclamé Tshisekedi président, qui est devenu un exécutant du clan Kabila.

La victoire du peuple a été volée. Il se révoltera peut-être à sa manière. Boko Haram les aidera…  La RDC est un exemple typique des mentalités actuelles en Afrique sub-saharienne. Les dictateurs et leurs cours, armés par des états étrangers, font la loi et font croire à une croissance économique sans problèmes. – Au Togo, en août 2017, un mouvement de protestation contre le pouvoir du président Faure Gnassigbé (40 ans au pouvoir avec le père), s’est organisé. Les évêques togolais sont sortis de leur silence en janvier 2019, revendiquant leur « mission prophétique » : « Les événements que nous vivons dans notre pays au plan politique et social ne sauraient nous laisser indifférents. Les violences contre les blessés, les personnes détenues et les morts au cours du dialogue entre les acteurs politique, sont inacceptables… »

Au Cameroun, en décembre 2017, même scénario, le président de la Conférence épiscopale, Mgr Samuel Kleda, s’est prononcé contre une éventuelle candidature de Paul Biya au pouvoir depuis 35 ans : « il y a un temps pour tout », a-t-il dit, l’enjoignant de réfléchir à une transition pacifique. Peine perdue, Paul Biya a gagné avec 71,28 % des suffrages. « D’où viennent tous ces pourcentages », se sont demandé les Eglises ?

Au Sénégal, ancienne vitrine d’une démocratie assumée par les exemples des présidents Léopold Senghor et Abdou Diouf, le président Macky Sall n’en fait qu’à sa tête. Mgr Ndiaye, archevêque de Dakar, lors d’une déclaration de la presse en 2018 : « C’est Dieu qui donne le pouvoir et le pouvoir est un service ». – Au Tchad, en partenariat avec les autres communautés religieuses, l’archevêque de Njamena Edmond Djitangar a dénoncé la mauvaise gestion du pays et critique l’application des mesures que le gouvernement avait proposées suite à des grèves : « Manifestement, ces mesures n’ont pas donné de résultats escomptés. D’autres mesures se sont ajoutées, prises unilatéralement par le gouvernement alors que les conditions de vie de la population n’ont cessé de se dégrader. »

Au Kenya, c’est la Conférence épiscopale qui est en première ligne pour appeler le pouvoir et l’opposition à des « comportements responsables » Le Kenya a traversé une longue crise politique entre 2017 et 2018 avec un scrutin controversé au terme duquel Raila Odinga s’était autoproclamé président en janvier 2018. Mais sous pression des Eglises, il s’est réconcilié avec le président Uhuru Kenyatta.

Au Soudan du Sud, les Eglises ne cessent de dénoncer les affrontements loyalistes et la rébellion. La Conférence des évêques sud-soudanais avait publié une lettre pastorale dénonçant les crimes dans le plus jeune Etat indépendant d’Afrique. Elle avait rencontré le président, les deux vice-présidents, les ministres, les parlementaires, les responsables de l’opposition, les militaires et autres hommes politiques. Pourtant, le Soudan du Sud continue d’être en proie à une guerre civile depuis 5 ans. Les combats opposent les forces du président Salva Kiir et son ancien vice-président Rick Machar, ayant des bases ethniques. – Enfin en Tanzanie, les Evêques ont dénoncé les abus de pouvoir du président John Magufuli, qui a interdit les réunions des partis politiques jusqu’aux prochaines élections. Ils ont condamné les violations de la Constitution, notant que : « Les médias sont suspendus temporairement, restreignant ainsi le droit pour les citoyens d’être informés, la liberté d’opinion et le droit d’expression. » Au Burkina Faso où règne l’état d’urgence, Boko Haram sévit au nord,et les Eglises viennent en aide aux habitants effrayés. Au Burundi, le président, Pierre Nkurunziza, règne comme le roi Louis XIV d’après une participante à un séminaire à Caux…

Durcissement des expulsions en Algérie

 

Depuis plus d’un an, les expulsions d’étrangers se sont aggravées en Algérie.  Rien d’étonnant quand on considère ce qui se passe également à Malte, en Italie avec le nouveau gouvernement, et dans d’autres pays européens et aux Etats-Unis. Mais la méthode est consternante. Des bus et des camions amènent des groupes d’étrangers vers les frontières de l’extrême sud du pays (La Croix 11.01.2019). Le sort de 117 demandeurs d’asile déposés comme des paquets dans le désert à une quinzaine de km. de la frontière avec le Niger, a choqué beaucoup de monde. Un cri d’alarme a été lancé le 31 décembre dernier par la Ligue Algérienne des Droits de l‘Homme (LADDH) : les autorités algériennes ont abandonné un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants près de la frontière nigérienne,  qui a pu être identifié : 47 Syriens, 17 Yéménites, et 53 Palestiniens. Tous avaient été détenus dans un centre de rétention à Tamanrasset, condamnés à 3 mois de prison avec sursis pour entrée illégale sur le territoire algérien ! Le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) s’en est aussi mêlé, exigeant une aide humanitaire aux personnes bloquées. Certains Syriens avaient même été enregistrés par le HCR à Alger, au Liban et en Jordanie.

Mais rien de s’est passé. La Ligue des Droits de l’Homme a été stupéfaite de lire en plus un faux communiqué affirmant que l’opération s’était bien passée dans le respect des droits humains… ! Martin Wyss, le chef de l’Organisation Internationale des Migrations basée au Niger (OIM), est lui satisfait de la bonne coopération du Niger pour enrayer les migrations du Sud vers le Nord. Mais il ne prend pas en considération celles du Nord vers le Sud qui représentent actuellement un défi humanitaire et logistique considérable, ceci d’autant plus qu’on assiste à un durcissement de la politique algérienne. Le fait que le pays s’en prenne indistinctement à des personnes vulnérables ou pas, a créé un choc. Un haut fonctionnaire au ministère algérien de l’intérieur a justifié cette manière de faire en disant que ces personnes sont des djihadistes liés aux groupes armés au Soudan et au Mali et bénéficient de faux passeports ! Alors pourquoi ne sont-ils pas arrêtés et jugés ? Certains ont rebroussé  chemin sur Alger, ne voulant pas aller au Niger dont ils ne connaissent pas la langue. D’autres  requérants d’asile ont été vus au Maroc à 2600 km. d’Assamakka à la frontière du Niger.  Les 90 restants n’ont donné aucun signe de vie… Le HCR a même dû démentir des informations selon lesquelles il aurait donné son aval aux refoulements.

Des mensonges pour se justifier. C’est pourtant ce qu’on entend dans un pays où l’hospitalité était sacrée. Mais les pays européens ne sont guère différents. Quand on pense au million de réfugiés au Liban qu’on laisse patauger sous la neige et l’eau dans leurs camps, on ne peut qu’avoir honte… Au même moment un joueur de tennis britannique se met à pleurer devant la TV parce que, handicapé de la hanche, il ne peut plus participer aux compétitions. Et la grande perdante du concours de descente dames à Adelboden, a 2 secondes de retard sur la première !  Nous ne sommes pas sur la même terre apparemment…

Au secours, l’humanité des gens  est en voie de disparition, comme les espèces animales ou les plantes….

 

 

Discours à Oslo du Dr Mukwege, prix Nobel de la Paix

Accordez trois minutes de lecture au discours courageux du Dr Mukwege…

 

Dans la nuit tragique du 6 octobre 1996, des rebelles ont attaqué notre hôpital à Lemera, en République Démocratique du Congo (RDC). Plus de trente personnes tuées. Les patients abattus dans leur lit à bout portant. Le personnel ne pouvant pas fuir tué de sang-froid.

Je ne pouvais pas m’imaginer que ce n’était que le début.

Obligés de quitter Lemera, en 1999 nous avons créé l’hôpital de Panzi à Bukavu où je travaille encore aujourd’hui comme gynécologue-obstétricien.

La première patiente admise était une victime de viol ayant reçu un coup de feu dans ses organes génitaux.

La violence macabre ne connaissait aucune limite. Cette violence malheureusement ne s’est jamais arrêtée.

Un jour comme les autres, l’hôpital a reçu un appel. Au bout du fil, un collègue en larmes implorait : « S’il vous plaît, envoyez-nous rapidement une ambulance. S’il vous plait, dépêchez-vous. » Ainsi, nous avons envoyé une ambulance comme nous le faisons habituellement.

Deux heures plus tard, l’ambulance est revenue. A l’intérieur une petite fille de tout juste dix-huit mois. Elle saignait abondamment et a été immédiatement emmenée en salle d’opération.

Quand je suis arrivé, les infirmières étaient toutes en larmes. La vessie du nourrisson, son appareil génital, son rectum étaient gravement endommagés. Par la pénétration d’un adulte.

Nous prions en silence : mon Dieu, dites-nous que ce que nous voyons n’est pas vrai.

Dites-nous que c’est un mauvais rêve.

Dites-nous qu’au réveil tout ira bien.

Mais, ce n’était pas un mauvais rêve.

C’était la réalité.

C’est devenu notre nouvelle réalité en RDC.

Quand un autre bébé est arrivé, j’ai réalisé que ce problème ne pouvait pas trouver une solution au bloc opératoire, mais qu’il fallait se battre contre les causes profondes de ces atrocités.

Je me suis rendu au village de Kavumu pour parler avec les hommes : pourquoi vous ne protégez pas vos bébés, vos filles et vos femmes ? Où sont les autorités ?

À ma grande surprise, les villageois connaissaient le suspect. Tout le monde avait peur de lui, car il était membre du Parlement provincial et jouissait d’un pouvoir absolu sur la population.

Depuis plusieurs mois sa milice terrorisait le village entier. Elle avait instillé la peur en tuant un défenseur des droits humains qui avait eu le courage de dénoncer les faits. Le député s’en est tiré sans conséquences. Son immunité parlementaire lui permettait d’abuser en toute impunité.

Ces deux bébés ont été suivis de dizaines d’autres enfants violés.

Lorsque la quarante-huitième victime est arrivée, nous étions désespérés.

Avec d’autres défenseurs des droits humains, nous avons saisi un tribunal militaire. Finalement, ces viols ont été poursuivis et jugés comme crimes contre l’humanité. Les viols des bébés à Kavumu ont cessé.

Les appels à l’hôpital de Panzi aussi. Mais l’avenir psychologique, sexuel et génésique de ces bébés est hypothéqué.

Ce qui s’est passé à Kavumu et qui continue aujourd’hui dans de nombreux autres endroits au Congo, tels que les viols et les massacres à Béni et au Kasaï, a été rendu possible par l’absence d’un État de droit, l’effondrement des valeurs traditionnelles et le règne de l’impunité, en particulier pour les personnes au pouvoir.

Le viol, les massacres, la torture, l’insécurité diffuse et le manque flagrant d’éducation, créent une spirale de violence sans précédent.

Le bilan humain de ce chaos pervers et organisé a été des centaines de milliers de femmes violées, plus de 4 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays et la perte de 6 millions de vies humaines. Imaginez, l’équivalent de toute la population du Danemark décimée.

Les gardiens de la paix et les experts des Nations Unies n’ont pas été épargnés. Plusieurs ont trouvé la mort dans l’accomplissement de leur mandat. La Mission des Nations Unies en RDC reste présente jusqu’à ce jour afin que la situation ne dégénère pas davantage. Nous leur en sommes reconnaissants.

Cependant, malgré leurs efforts, cette tragédie humaine se poursuit sans que tous les responsables ne soient poursuivis. Seule la lutte contre l’impunité peut briser la spirale des violences.

Nous avons tous le pouvoir de changer le cours de l’Histoire lorsque les convictions pour lesquelles nous nous battons sont justes.

Vos Majestés, Vos Altesses Royales, Excellences, Distingués membres du Comité Nobel, Chère Madame Nadia Murad, Mesdames et Messieurs, Amis de la paix,

C’est au nom du peuple congolais que j’accepte le prix Nobel de la Paix. C’est à toutes les victimes de violences sexuelles à travers le monde que je dédie ce prix.

C’est avec humilité que je me présente à vous portant haut la voix des victimes des violences sexuelles dans les conflits armés et les espoirs de mes compatriotes.

Je saisis cette occasion pour remercier tous ceux qui pendant ces années ont soutenu notre combat. Je pense, en particulier, aux organisations et institutions des pays amis, à mes collègues, à ma famille et à ma chère épouse, Madeleine.

Je m’appelle Denis Mukwege. Je viens d’un des pays les plus riches de la planète. Pourtant, le peuple de mon pays est parmi les plus pauvres du monde.

La réalité troublante est que l’abondance de nos ressources naturelles – or, coltan, cobalt et autres minerais stratégiques – alimente la guerre, source de la violence extrême et de la pauvreté abjecte au Congo.

Nous aimons les belles voitures, les bijoux et les gadgets. J’ai moi-même un smartphone. Ces objets contiennent des minerais qu’on trouve chez nous. Souvent extraits dans des conditions inhumaines par de jeunes enfants, victimes d’intimidation et de violences sexuelles.

En conduisant votre voiture électrique, en utilisant votre smartphone ou en admirant vos bijoux, réfléchissez un instant au coût humain de la fabrication de ces objets.

En tant que consommateurs, le moins que l’on puisse faire est d’insister pour que ces produits soient fabriqués dans le respect de la dignité humaine.

Fermer les yeux devant ce drame, c’est être complice.

Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes, mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard.

Mon pays est systématiquement pillé avec la complicité des gens qui prétendent être nos dirigeants. Pillé pour leur pouvoir, leur richesse et leur gloire. Pillé aux dépens de millions d’hommes, de femmes et d’enfants innocents abandonnés dans une misère extrême… tandis que les bénéfices de nos minerais finissent sur les comptes opaques d’une oligarchie prédatrice.

Cela fait vingt ans, jour après jour, qu’à l’hôpital de Panzi, je vois les conséquences déchirantes de la mauvaise gouvernance du pays.

Bébés, filles, jeunes femmes, mères, grands-mères, et aussi les hommes et les garçons, violés de façon cruelle, souvent en public et en collectif, en insérant du plastique brûlant ou en introduisant des objets contondants dans leurs parties génitales.

Je vous épargne les détails.

Le peuple congolais est humilié, maltraité et massacré depuis plus de deux décennies au vu et au su de la communauté internationale.

Aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, plus personne ne peut dire : je ne savais pas.

Avec ce prix Nobel de la Paix, j’appelle le monde à être témoin et je vous exhorte à vous joindre à nous pour mettre fin à cette souffrance qui fait honte à notre humanité commune.

Les habitants de mon pays ont désespérément besoin de la paix.

Mais :

Comment construire la paix sur des fosses communes ?

Comment construire la paix sans vérité ni réconciliation ?

Comment construire la paix sans justice ni réparation ?

Au moment même où je vous parle, un rapport est en train de moisir dans le tiroir d’un bureau à New York. Il a été rédigé à l’issue d’une enquête professionnelle et rigoureuse sur les crimes de guerre et les violations des droits humains perpétrés au Congo. Cette enquête nomme explicitement des victimes, des lieux, des dates mais élude les auteurs.

Ce Rapport du Projet Mapping établi par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits Humains, décrit pas moins de 617 crimes de guerre et crimes contre l’humanité et peut-être même des crimes de génocide.

Qu’attend le monde pour qu’il soit pris en compte ? Il n’y a pas de paix durable sans justice. Or, la justice ne se négocie pas.

Ayons le courage de jeter un regard critique et impartial sur les événements qui sévissent depuis trop longtemps dans la région des Grands Lacs.

Ayons le courage de révéler les noms des auteurs des crimes contre l’humanité pour éviter qu’ils continuent d’endeuiller cette région. Ayons le courage de reconnaître nos erreurs du passé.

Ayons le courage de dire la vérité et d’effectuer le travail de mémoire.

Chers compatriotes congolais, ayons le courage de prendre notre destin en main. Construisons la paix, construisons l’avenir de notre pays, ensemble construisons un meilleur avenir pour l’Afrique. Personne ne le fera à notre place.

Mesdames et Messieurs, Amis de la paix,

Le tableau que je vous ai brossé offre une réalité sinistre. Mais permettez-moi de vous raconter l’histoire de Sarah.

Sarah nous a été référée à l’hôpital dans un état critique. Son village avait été attaqué par un groupe armé qui avait massacré toute sa famille, la laissant seule.

Prise en otage, elle a été emmenée dans la forêt. Attachée à un arbre. Nue. Tous les jours, Sarah subissait des viols collectifs jusqu’à ce qu’elle perde connaissance.

Le but de ces viols utilisés comme armes de guerre étant de détruire Sarah, sa famille et sa communauté. Bref détruire le tissu social.

À son arrivée à l’hôpital, Sarah ne pouvait ni marcher ni même tenir debout. Elle ne pouvait pas retenir ni ses urines ni ses selles.

A cause de la gravité de ses blessures génito-urinaires et digestives couplées à une infection surajoutée, personne ne pouvait imaginer qu’elle serait un jour en mesure de se remettre sur ses pieds.

Pourtant, chaque jour qui passait, le désir de continuer à vivre brillait dans les yeux de Sarah. Chaque jour qui passait, c’était elle qui encourageait le personnel soignant à ne pas perdre espoir. Chaque jour qui passait, Sarah se battait pour sa survie.

Aujourd’hui, Sarah est une belle femme, souriante, forte et charmante.

Sarah s’est engagée à aider les personnes ayant survécu à une histoire semblable à la sienne.

Sarah a reçu cinquante dollars américains, une allocation que notre maison de transit Dorcas accorde aux femmes souhaitant reconstruire leur vie sur le plan socioéconomique.

Aujourd’hui, Sarah dirige sa petite entreprise. Elle a acheté un terrain. La Fondation Panzi l‘a aidée avec des tôles pour faire un toit. Elle a pu construire une maison. Elle est autonome et fière.

Son histoire montre que même si une situation est difficile et semble désespérée, avec la détermination, il y a toujours de l’espoir au bout du tunnel.

Si une femme comme Sarah n’abandonne pas, qui sommes-nous pour le faire ?

Ceci est l’histoire de Sarah. Sarah est Congolaise. Mais il y a des Sarah en République Centrafricaine, en Colombie, en Bosnie, au Myanmar, en Iraq et dans bien d’autres pays en conflit dans le monde.

A Panzi, notre programme de soins holistiques, qui comprend un soutien médical, psychologique, socioéconomique et juridique, montre que, même si la route vers la guérison est longue et difficile, les victimes ont le potentiel de transformer leur souffrance en pouvoir.

Elles peuvent devenir des actrices de changement positif dans la société. C’est le cas déjà à la Cité de la Joie, notre centre de réhabilitation à Bukavu où les femmes sont aidées pour reprendre leur destin en main.

Cependant, elles ne peuvent pas y arriver seules et notre rôle est de les écouter, comme nous écoutons aujourd’hui Madame Nadia Murad.

Chère Nadia, votre courage, votre audace, votre capacité à nous donner espoir, sont une source d’inspiration pour le monde entier et pour moi personnellement.

Le prix Nobel de la Paix qui nous est décerné aujourd’hui n’aura de valeur réelle que s’il peut changer concrètement la vie des victimes de violences sexuelles de par le monde et contribuer à ramener la paix dans nos pays.

Alors, que pouvons-nous faire ?

Que pouvez-vous faire ?

Premièrement, c’est notre responsabilité à tous d’agir dans ce sens.

Agir c’est un choix.

C’est un choix :

– d’arrêter ou non la violence à l’égard des femmes,

– de créer ou non une masculinité positive qui promeut l’égalité des sexes, en temps de paix comme en temps de guerre.

C’est un choix :

– de soutenir ou non une femme,

– de la protéger ou non,

– de défendre ou non ses droits,

– de se battre ou non à ses côtés dans les pays ravagés par le conflit.

C’est un choix : de construire ou non la paix dans les pays en conflits.

Agir, c’est refuser l’indifférence.

S’il faut faire la guerre, c’est la guerre contre l’indifférence qui ronge nos sociétés.

Deuxièmement, nous sommes tous redevables vis-à-vis de ces femmes et de leurs proches et nous devons tous nous approprier ce combat ; y compris les États qui doivent cesser d’accueillir les dirigeants qui ont toléré, ou pire, utilisé la violence sexuelle pour accéder au pouvoir.

Les États doivent cesser de les accueillir avec le tapis rouge et plutôt tracer une ligne rouge contre l’utilisation du viol comme arme de guerre.

Une ligne rouge qui serait synonyme de sanctions économiques, politiques et de poursuites judiciaires.

Poser un acte juste n’est pas difficile. C’est une question de volonté politique.

Troisièmement, nous devons reconnaître les souffrances des survivantes de toutes les violences faites aux femmes dans les conflits armés et les soutenir de façon holistique dans leur processus de guérison.

J’insiste sur les réparations ; ces mesures qui leur donnent compensation et satisfaction et leur permettent de commencer une nouvelle vie. C’est un droit humain.

J’appelle les États à soutenir l’initiative de la création d’un Fonds global de réparation pour les victimes de violences sexuelles dans les conflits armés.

Quatrièmement, au nom de toutes les veuves, tous les veufs et des orphelins des massacres commis en RDC et de tous les Congolais épris de paix, j’appelle la communauté internationale à enfin considérer le Rapport du Projet « Mapping » et ses recommandations.

Que le droit soit dit.

Cela permettrait au peuple congolais d’enfin pleurer ses morts, faire son deuil, pardonner ses bourreaux, dépasser sa souffrance et se projeter sereinement dans le futur.

Finalement, après vingt ans d’effusion de sang, de viols et de déplacements massifs de population, le peuple congolais attend désespérément l’application de la responsabilité de protéger les populations civiles lorsque leur gouvernement ne peut ou ne veut pas le faire. Il attend d’explorer le chemin d’une paix durable.

Cette paix passe par le principe d’élections libres, transparentes, crédibles et apaisées.

« Au travail, peuple congolais ! » Bâtissons un État où le gouvernement est au service de sa population. Un État de droit, émergent, capable d’entraîner un développement durable et harmonieux, non seulement en RDC mais dans toute l’Afrique. Bâtissons un État où toutes les actions politiques, économiques et sociales sont centrées sur l’humain et où la dignité des citoyens est restaurée.

Vos Majestés, Distingués membres du Comité Nobel, Mesdames et Messieurs, Amis de la paix,

Le défi est clair. Il est à notre portée.

Pour les Sarah, pour les femmes, les hommes et les enfants du Congo, je vous lance un appel urgent de ne pas seulement nous remettre le Prix Nobel de la Paix mais de vous mettre debout et de dire ensemble et à haute voix : « La violence en RDC, c’est assez ! Trop c’est trop ! La paix maintenant ! » Je vous remercie.

Denis Mukwege

Afrique du Sud: Un Forum social explosif contre l’économie extractive

 

 

Tout bouge en Afrique du Sud. Comme plusieurs mouvements en Europe, la nature reprend la place qu’elle avait avant la découverte de métaux précieux…

Une grande réunion a eu lieu les 12-15 novembre à Johannesburg qui a rassemblait quelques milliers de personnes venant de 60 pays, dont 28 d’Afrique, et aussi des deux Amériques, d’Asie Pacifique et d’Europe. Leur déclaration finale est sans ambiguïté : l’industrie extractive est destructrice, basée sur l’exploitation des  ressources naturelles  et des personnes qui y travaillent. « Nous reconnaissons notre diversité et nos perspectives différentes, mais nous sommes liés par notre désir d’un futur libre d’une économie extractive ! »

Qui sont-ils ? Un grand nombre de petits fermiers, des groupes de jeunes, d’Eglises, des pêcheurs, des représentants de syndicats et de communautés touchées par les activités des mines, des universitaires, des experts, etc. Tous veulent garantir l’intégrité de la nature et assurer un monde meilleur aux générations futures. Leurs exigences font échos à celles d’autres continents. Ils parlent tous par expérience : « Ces dernières décades, nous avons vu l’intensification de ce modèle économique néocolonial, raciste, patriarcal, basé sur une croissance sans limites sur une planète limitée ! Au nom du progrès, ce modèle a dévalué et dégradé notre terre. Il a surexploité les travailleurs, dépossédant les communautés concernées, ayant pour effet d’intensifier le réchauffement et créant une injustice climatique. Il a assujetti les communautés locales à une logique d’accumulation de capital qui profite aux entreprises transnationales, qui sont les nouveaux dirigeants du monde. »

« En plus, et comme si cela ne suffisait pas, des forces fascistes et autoritaires sont en progression partout qui nous menacent par la violence et la répression. Leur logique est d’accroître leur exploitation de la nature et de financiariser tout cela. Les océans, les fleuves, les petites rivières, les forêts, les montagnes, tout l’écosystème est maintenant au service du profit. Pour accompagner ce processus,  le spectre de guerres génocidaires apparaît qui montrera l’extermination des exclus et des marginalisés…Les paysans, les petits fermiers, les migrants, les personnes déplacées, les groupes de femmes, tous sont rendus esclaves du modèle patriarcal de développement d’extraction. Les droits des travailleurs ne sont souvent pas respectés, s’ils existent, les syndicats ne sont écoutés que s’ils sont d’accord avec l’entreprise. »

Les participants au Forum ne sont pas impressionnés par la révolution high-tech, le big data et l’intelligence artificielle qu’ils considèrent comme une mesure supplémentaire de l’industrie extractive. Ainsi, ils appellent à la résistance systématique contre les déplacements de populations,  la déforestation, la destruction des sources d’eau, et aussi l’extraction dans les mers.Toute l’assemblée a réclamé le droit de dire NON aux activités extractives sur leurs territoires, où les femmes ont un rôle important à jouer,  et OUI à une vie plus harmonieuse, à un modèle durable, respectueux de l’environnement. Ils demandent une transition juste, basée sur une reconversion industrielle où les travailleurs font un travail écologique et social, ou, s’ils ne peuvent pas, ils sont rétribués par un revenu et actifs dans les services publics essentiels. La déclaration explique la manière dont seraient gérées les communautés touchées par l’extraction minière. Avoir aussi le droit de laisser les ressources du sous-sol  (gaz, charbon, pétrole) qui ne doivent pas être exploitées à volonté pour maximiser le profit, mais pour un développement futur durable.

Oui aussi à des réparations pour les destructions écologiques faites aux peuples du Sud. La déclaration va loin en demandant l’abolition des investissements et des contrats commerciaux. Les communautés sont malheureusement divisées par la corruption et les fausses promesses où ceux qui résistent sont criminalisés, mis en prison ou tués, ceci avec la participation de leaders traditionnels, ce qui parle pour une démocratie populaire à tous les échelons. En fait la déclaration demande qu’on travaille au bien commun et à la préservation de cet impératif éthique. Elle affirme les droits de la nature qui n’est pas une propriété, mais sacrée.

En lisant cette déclaration, on se rend compte qu’elle se rapproche de l’encyclique du pape François « Laudato Si » qui met aussi en avant le bien commun et le caractère sacré de la terre. Mais comment vont réagir les multinationales,  et autres pays dictatoriaux qui achètent à coup de millions de dollars les terres des autres ou les endettent ? C’est le retour du balancier de la mondialisation à tout prix…

 

 

 

Une femme présidente de l’Ethiopie

 

Il aura fallu la démission du président Mulatu Teshome  pour qu’une femme soit élue présidente de l’Ethiopie, Shale Work Zwede. Depuis l’adoption d’une constitution moderne en 1995, elle devient la 4e cheffe de l’Etat.  Diplomate de carrière, elle a toutes les compétences. En effet, représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, auprès de l’Union Africaine (UA),  elle a été ambassadrice en France, à Djibouti, au Sénégal,  et représentante permanente de l’Ethiopie auprès de l’Autorité intergouvernementale pour le développement ((IGAD) dans l’est africain.

Le choix de cette femme hors du commun, résulte de négociations entre 4 partis qui forment la coalition au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), depuis 27 ans au pouvoir. Ces 4 partis veulent surtout éviter la confrontation et se sont bornés à 3 résolutions : respect de la loi, multipartisme, démocratie élargie à des partis dissidents.

Sa fonction de cheffe de l’Etat est essentiellement honorifique. Le vrai pouvoir est aux mains du premier ministre Ably Ahmed qui représente son pays dans les grands sommets internationaux. Il avait été choisi en avril dernier par la coalition EPRDF. Il est issu, pour la première fois, du plus grand groupe ethnique, les Oromo.

Depuis avril, il n’a cessé de montrer sa volonté de réformes. Une tâche ardue dans un pays de 104 millions d’habitants où les violences entre les communautés sont nombreuses. A cet effet, la Commission européenne des Droits de l’Homme a accusé le gouvernement de ne pas avoir su mieux protéger les citoyens lors des violences inter-communautaires qui ont fait fuir un million de personnes et fait de nombreuses victimes. Une victoire importante néanmoins pour lui, il a conclu la paix avec l’Erythrée, a libéré des milliers de prisonniers et créé un nouveau gouvernement où la moitié des postes sont occupés par des femmes…

Selon Le Monde Afrique (25.10.2018), l’EDPRF pourrait ne pas survivre aux réformes démocratiques en cours. La crise politique qui a secoué le pays a fissuré la grande coalition et la désignation du nouveau premier ministre Ably Ahmed a redistribué les cartes. « Le leadership est perdu* a osé dire un ancien maquisard tigréen. Plusieurs nouveaux partis émergent qui ont aussi quelque chose à dire. Le premier ministre, plein de bonne volonté, aura la tâche dure, et  Shale Work Zwede aussi. On l’a vu dans de nombreux autres pays, vouloir établir la démocratie, est un exercice périlleux qui demande beaucoup de temps…

 

 

 

Pauvre Afrique: maintenant c’est les Russes après les Chinois

En décembre 2017, l’ONU a autorisé les Russes d’envoyer des armes et des instructeurs en République centrafricaine (RFA). Bien fait et vite fait. Début 2018, 5 militaires et 170 civils débarquaient. « Ils sont partout dans le pays, explique Roland Marchal du Centre d’études et de recherches internationales (Ceri) : drapeaux, pin’s, publicité de leurs actions, protection rapprochée du président Faustin-Archange Touadera ; en juillet ils étaient entre 300 et 400 ». Et Thierry Vircoulon, de l’Institut français des relations internationales (Ifri) ajoute : « Ce sont d’anciens militaires travaillant pour une société de sécurité, la Wagner (connue pour ses mercenaires), présente en Syrie et en Ukraine, et des militaires des Forces spéciales. Le 22 août, ils ont signé un accord de défense avec les Faca, l’armée centrafricaine, qui pourra être formée dans les écoles militaires russes… »

Un pied de nez fait à la France que Moscou veut affaiblir et aux 350 militaires français encore présents à l’aéroport de Bangui. En fait, coup classique, tout se passe comme les Français avaient fait du temps de la colonisation. Les Russes ont placé un homme, Valery Zakharov  au cœur du Palais présidentiel qui a plus de pouvoir qu’il n’en paraît. Les Français sont fatigués, déçus par le président  Touadéra qui n’a pas ramené la paix dans le pays où les ex-Seleka (à majorité musulmans) s’entre déchiraient contre les Balaka d’obédiance chrétienne (le pays est encore chrétien à 80 %.) L’ancien président Bozizé, un règne marqué par le népotisme et le tribalisme. Il avait  fait venir des Sud-Africains pour le défendre en 2013, mais effrayés par la cruauté des clans et ayant perdu 13 soldats, ils se sont retirés rapidement. En 2015 le pape François est allé redonner confiance à toutes les parties en allant notamment prier à la mosquée de Bangui avec le grand Imam. Mais la réconciliation a été de courte durée, le pays est retombé dans une situation de non-droit  malgré la présence des Français qui ont eu alors « l’idée » de dire  au président centrafricain d’aller demander l’aide du président Poutine de venir les remplacer, et à l’ONU, d’accepter la levée de l’embargo sur les armes pour la RFA…

Evidemment, venir dans le pré carré de la France, n’est pas pour déplaire à la Russie qui est aussi attirée par les ressources minières (diamants) et à du retard par rapport aux autres puissances.  Mais du temps de la guerre froide, ils soutenaient les mouvements de libération  dans les années 60-70. Et comme les Russes ne font rien pour rien, on craint qu’ils utilisent les méthodes brutales qu’on connaît en Syrie et en Ukraine.  En effet,  trois journalistes russes qui voulaient enquêter sur la mystérieuse société Wagner et ses mercenaires, ont été assassinés le 30 juillet dernier. Son gérant est Evgeni Khodotov homme de main d’ Evgeni Prigozin, un proche du président Poutine, propriétaire de la société.  De plus, les Russes, qui disent faire de l’humanitaire, ont ouvert deux bases militaires dans le nord-est du pays près des zones diamantaires à Bria et Ouata. Leur venue coïncide aussi avec une campagne antifrançaise dans les media centrafricains, pour affaiblir l’influence de la France sur la scène africaine et de ce fait gagner des voix à l’ONU. Une stratégie à long terme, comme la Chine…

Sur le plan politique, les Russes aimeraient arriver à obtenir une signature entre les groupes armés. Le 28 août, la Russie a obtenu la signature d’une entente de paix entre les leaders des ex-Seleka et quelques chefs des anti-Balaka à Khartoum, en présence de membres du gouvernement. Ceux qui sont venus ont touché 40 millions de FCFA (61 000 Euros). Un nouvel accord avec les leaders manquants pourrait ensuite partager les ressources minières en trois : un tiers pour le gouvernement, un tiers pour les groupes armés, un tiers pour les Russes. Et voilà, on recommence avec d’autres !

Les vautours sont toujours plus nombreux planant dans le ciel du continent africain  avant de plonger et de se repaître de ses précieuses ressources. Ces vautours ont besoin de groupes armés locaux et étrangers, soit pour défendre leur butin, soit pour combattre certaines multinationales, qui, elles veulent assurer un développement rapide chez eux (Chine) ou le plein emploi et les rentes de vieillesse (Europe). Même des Etats vautours sont en quête de terres arables pour nourrir leurs peuples (Vietnam, Corée, Libye, etc..),  ou les chameaux de l’Arabie saoudite. Enfin il y a les marchands d’armes européens, chinois, coréens du nord qui luttent ainsi contre le chômage chez eux et enveniment l’avenir africain.  Penser que la Suisse puisse en faire partie est inacceptable. Elle a un autre rôle à jouer avec sa réputation humanitaire.

Il y a heureusement beaucoup des mères et pères courage sur ce continent malmené par tant de mauvais vents contraires, comme le docteur Mukwege, récent prix Nobel de la Paix ?

Nicolas Hulot et l’Afrique

Evidemment il y a la récupération politique de gauche et de droite, mais Nicolas Hulot c’est tout autre chose. Même si sa manière de quitter le gouvernement français est choquante, mais il est sincère. Nul mieux que lui à parcouru la planète dans tous les sens, dans les airs et dans les mers, et spécialement en Afrique dont il nous a fait découvrir les beautés époustouflantes par son émission Ushuaïa

Une société, a-t-il dit, qui est incapable de descendre dans la rue pour laisser à ses enfants une planète décente, et qui, égoïstement, assiste aux conséquences du dérèglement climatique dans les pays du Sud et notamment en Afrique par la sécheresse, sans vouloir renoncer à son confort et à son modèle de développement… Peut-on l’appeler encore « société » ?  C’est le court terme qui compte, et tant pis pour le long terme qui est « le temps de l’écologie », mais dont le politique ne veut pas entendre parler. Est-que l’éthique dont les entreprises se targuent à bon marché aujourd’hui dans leurs offres d’actions, peut encore être synonyme de responsabilité ? Non ! On ne veut pas reconnaître qu’on est en face d’un défi de civilisation qui prime sur tout. Déjà Jacques Chirac disait « la maison brûle », mais qu’est-ce qu’on fait ? Cela nous concerne tous, pas seulement un ministre et un ou deux gouvernements ou pays, mais toute l’humanité, notre « maison commune » comme le dit le pape François dans sa très intéressante encyclique Laudato Si . Mais qui l’a lue ? Les journaux préfèrent parler des abus sexuels honteux d’ecclésiastiques…

Et en Suisse on ne fait pas mieux. Le Conseil fédéral a accepté de changer la loi qui interdisait d’exporter des armes dans les pays en guerre, maintenant c’est possible ! Les entreprises d’armement sont allées pleurnicher auprès de nos institutions et ont fait un intense lobbying pour assurer le plein emploi dans ce domaine. Court terme d’abord ! Et c’est notre Coopération au développement qui assurera le service après-vente en tentant de réparer les dégâts ! Alors nos valeurs de neutralité et notre réputation de médiateurs, sous le tapis. Où sera encore notre crédibilité avec le CICR ? On détruit ce qui nous assurait la paix.

 

Un accord au Soudan du Sud ?

Parmi les réfugiés que la Suisse accueille, il y a plusieurs sud-soudanais. Pourquoi ?  Créé en 2011, le Soudan du Sud est le plus jeune Etat d’Afrique. En 2013, un conflit a éclaté entre le président Salva Kiir et son vice-président Riek Machar accusé d’avoir fomenté un coup d’Etat. Ils sont issus de deux groupes ethniques importants, les Dinkas et le Neuers. Ils vont s’affronter pendant 5 ans, et le pays s’enfonce dans une guerre civile qui fera fuir près d’un million de personnes en Ouganda où ils seront bien accueillis, en recevant même un lopin de terre en attendant un retour. Ils seront aidés en outre par le HCR et le PAM. (Programme Alimentaire Mondial)

Ainsi, en 2018, 7 millions de Sud-Soudanais sont encore dépendants dans leur pays de l’aide humanitaire et survivent avec peine, car la faim fait son apparition, les brigandages, les viols, la prostitution. Cela a motivé des jeunes à émigrer en Europe.

Mais coup de théâtre dimanche 5 août,  un accord sous forme de pacte est signé à Khartoum, en présence d’Omar El Béchir, entre les deux frères ennemis qui s’engagent à aboutir à un accord de paix définitif et à former un gouvernement de transition pour une durée de 3 ans avec 35 ministres  se partageant le pouvoir. « C’est du bricolage », commente un chercheur du CNRS, Roland Marchal, « mais pourquoi pas ? ». Une nième tentative visant à établir la paix au Soudan du Sud  où tant d’êtres humains luttent pour leur survie. On a même pu voir ces jours à la TV des enfants-soldats démobilisés…

Cette fois-ci, on est vraiment tenté d’y croire à cause de l’arrivée au pouvoir du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed en avril 2018 qui a fait la paix avec l’Erythrée et vise la stabilisation de toute la région. Un exemple à suivre donc et il semble que les deux rivaux sud-soudanais y soient prêts. A suivre…